Critiques, indépendance de la Justice, CSM…: le président de l’UMS s’exprime!
Face aux critiques qui s’abattent sur la Justice, le Président de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums) a tenu à prendre la parole. Ci-dessous son discours.
« Depuis
son élection, le bureau s’est attelé à rencontrer les autorités
judiciaires dans un souci de rassemblement au sein de la corporation, et
Étatiques pour des visites de courtoisie et s’était promis de faire sa
première sortie médiatique sous la forme actuelle dans le but de prendre
contact avec vous.
En effet, nous vivons dans un monde de
communication, où les activités de distribution de la Justice font
l’objet d’un débat public nourri et la critique envers elle s’exerce
avec moins de retenue et plus d’immédiateté que par le passé. Elle ne
peut plus donc se contenter de vivre dans une tour d’Ivoire, de dire le
droit sans se soucier de la perception de la société.
Force est de
reconnaître que ces dernières années, son image a été écornée à tort ou à
raison par un excès de communication négative à son sujet venant
d’acteurs judiciaires et de justiciables.
Il est donc impératif
que l’UMS, dans le strict respect de l’obligation de réserve, se lance
dans une campagne de communication constructive basée sur les principes
fondamentaux qui gouvernent le fonctionnement de la justice en précisant
qu’elle n’est pas une juridiction habilitée à se prononcer sur des
procédures judiciaires en cours, encore moins une instance chargée de
critiquer les décisions rendues par ses membres. Des voies de recours
étant prévues par la loi, tout plaideur mécontent d’une décision peut à
sa guise les exercer.
L’UMS est une association dont le but
essentiel est la défense des intérêts matériels et moraux de ses membres
et doit tout faire également pour vulgariser le mode de fonctionnement de la justice pour une meilleure compréhension des justiciables et a, à ce titre, besoin d’un partenariat franc avec la presse.
Il est également nécessaire d’intégrer des activités de sensibilisation et de partage en instituant une journée de la Justice
sur l’étendue du territoire permettant à tout intéressé de s’imprégner
des règles gouvernant le fonctionnement de la justice, et cette communication avec les magistrats eux-mêmes pourrait permettre de lever certaines équivoques.
Il
est donc impératif, étant acteurs majeurs dans la distribution de la
Justice, de clarifier certains principes qui animent l’intégralité du
débat public à savoir l’indépendance de la justice.
A ce sujet, la quasi-totalité des intervenants publics émettent de sérieux doutes sur l’indépendance de la Justice Sénégalaise,
se fondant sur leur propre analyse de quelques décisions ou procédures
intéressant des hommes politiques, ou sur une ingérence de l’exécutif
dans le traitement de certaines affaires.
Il est utile de
rappeler que l’indépendance est le socle de la Justice parce que
consacrée par l’article 88 de la Constitution. La Justice, en effet, est
incompatible avec toute forme d’ingérence, de domination, de pression,
quelles que soient leurs formes et leur origine.
A ce titre, il y
a lieu de rappeler que cette notion d’indépendance est différemment
appréciée selon la fonction exercée par le magistrat. Celui du parquet,
du fait des dispositions des articles 25 et suivants du code de
procédure pénale, est soumis à l’autorité du ministre de la justice et
est tenu, sous peine de sanctions disciplinaires, de se conformer aux
instructions écrites reçues de sa hiérarchie, mais retrouve sa liberté
de parole une fois debout à l’audience et peut même aller à l’encontre
des ordres reçus en développant librement son point de vue, c’est
l’application de la règle, la plume est serve mais la parole est libre.
Concernant
le magistrat du siège, à savoir juge d’instruction ou du siège
c’est-à-dire ceux chargés de juger, aucune limite ne lui est fixée, et
dans l’exercice de ses fonctions, il n’est soumis qu’à l’autorité de la
loi, principe consacré par l’article 90 de la constitution.
D’aucuns
estiment que la composition actuelle du conseil supérieur de la
Magistrature ne permet pas aux magistrats de jouir pleinement de leur
indépendance du fait de la présence du Chef de l’État et du garde des
sceaux, limitant donc leur conception de cette notion aux seules
décisions prises par cette instance.
Cette conception réductrice appelle de notre part les remarques suivantes : le
magistrat lui-même ne doit pas créer les conditions de sa vulnérabilité
en faisant de son lieu de travail un critère d’indépendance,
il doit être prêt à servir partout où le devoir l’appellera en ne se
souciant que de bien faire son travail. Le sentiment du devoir accompli,
en ne sortant jamais du cadre de son serment, doit primer sur ses
ambitions personnelles.
La réforme dont a besoin le conseil
supérieur et qui ressort de l’avis de l’écrasante majorité des collègues
consiste à définir des critères objectifs de nomination basés sur
l’ancienneté, la compétence, la performance en juridiction et l’exclusion de toute affectation sanction
à la suite d’une décision rendue par un magistrat en son âme et
conscience. Le manque d’indépendance ne peut pas être lié uniquement à la présence du Chef de l’État et du garde des sceaux d’autant que le conseil est majoritairement composé de magistrats qui doivent pleinement jouer leur rôle.
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L’indépendance du magistrat ne peut résulter d’une simple déclaration
d’intention ; elle se vit au quotidien et aucun magistrat n’a le droit
de remettre en cause ce principe dans sa prise de décision pour quelque
motif que ce soit. Il y va de la responsabilité personnelle de chacun
d’entre nous. La justice est évaluée par l’opinion publique sur la base
des décisions rendues et concernant des hommes politiques. Doit on
rappeler que la politique n’est pas un fait justificatif en droit et que
la différence d’approche entre la conception de l’opinion fondée sur la
qualité des personnes poursuivies est radicalement différente de celle
des juges, basée essentiellement sur les faits qui leur sont reprochés.
La
politique n’est pas au dessus de la loi et ne peut transférer à la
justice ses propres règles de fonctionnement et de communication et il
appartient à tout inculpé, prévenu, ou accusé, de se défendre librement.
La justice est également critiquée du fait d’une différence de traitement de certaines affaires, surtout
du côté de la poursuite. Il est utile de préciser que la poursuite est
fondée sur le principe de l’opportunité donnant le pouvoir au Procureur
de la République de décider ou pas de mettre en mouvement l’action
publique, et de choisir le moment opportun pour le faire. Et face à
l’inaction de ce magistrat dans un délai raisonnable ou en cas de
classement sans suite de sa plainte, que doit faire la victime présumée
de l’infraction ?
La loi lui donne deux autres possibilités que
sont la plainte avec constitution de partie civile déposée entre les
mains du juge d’instruction ou la citation directe qui saisit
directement le tribunal, deux procédures ayant également pour
conséquence de déclencher l’action publique. L’inertie du parquet dans
la mise en mouvement de l’action publique n’est pas rédhibitoire, et
c’est l’occasion également pour nous de rappeler que la preuve d’une
culpabilité ou d’une innocence en matière pénale est fondée sur l’intime
conviction du juge basée sur des éléments produits et discutés devant
lui et non sur la clameur publique ou sur la commune renommée ou toute
autre forme de pression en précisant que l’aveu considéré comme la reine
des preuves en droit commun ne l’est pas au pénal, l’appréciation
souveraine du juge primant sur tout.
Par conséquent, avant la
saisine du juge du fond, nul ne peut anticiper sur sa décision, en
décidant de l’issue d’un procès, ce qui commence à devenir une tendance
au Sénégal.
Le Procureur de la République poursuit sur le
fondement d’indices graves et concordants, le juge d’instruction
recherche des charges de nature à motiver le renvoi devant le tribunal
et le tribunal se fonde sur des preuves pour condamner, et le tout est
régi par le principe de l’indépendance entre ces trois juridictions de
poursuite, d’instruction et de jugement.
La justice a besoin
d’être critiquée objectivement pour évoluer et cette critique doit se
fonder sur la globalité de son activité, or personne à l’heure actuelle
ne peut prétendre détenir les statistiques pouvant donner une vue
globale sur l’activité juridictionnelle dans notre pays. De plus, cette
activité ne se limite pas à la matière pénale. Que fait-on du travail
considérable effectué par le juge civil, celui des référés, celui de la
famille, du juge commercial, du juge social, du juge administratif et
dans quelles conditions travaillent-ils ? Et comment peut-on critiquer
une activité sans connaître ses règles de fonctionnement ?
Objectivement,
une personne qui a intérêt dans un débat ne peut émettre un avis neutre
et c’est l’occasion pour nous de rappeler que le débat judiciaire loyal
tel que prévu par les textes et tous les principes généraux qui
gouvernent l’activité juridictionnelle, doit se tenir au prétoire et
nulle part ailleurs, dans le respect du principe sacro-saint du
contradictoire. La recherche de la vérité ne peut résulter de
déclarations unilatérales de personnes intéressées dans un débat. En
effet, si l’action civile est l’affaire des parties, qui échangent
librement leurs écrits et pièces sous le contrôle du juge, le procès
pénal de son côté est fondé sur les prétentions d’une partie civile, le
ministère public devant requérir l’application de la loi, et il
appartiendra au juge de trancher.
Avant de conclure, il nous faut
parler de l’actualité puisque nous sommes à la veille de l’organisation
des élections locales dans notre pays et c’est l’occasion pour nous de
rappeler le rôle des magistrats dans ce processus qui a déjà commencé
avec le contentieux pré électoral lié au dépôt des listes, qui va se
poursuivre avec la supervision des opérations le jour du scrutin par le
biais des délégués de la Cour d’appel qui vont sillonner le territoire
national en se rendant au niveau des centres de vote, et par le travail
des commissions départementales chargées de procéder au recensement des
suffrages et de prononcer les résultats, sans oublier le contentieux
post électoral lié à la contestation des opérations de vote et à la
proclamation des résultats.
Nous attirons l’attention de
l’opinion sur le fait que les commissions départementales travaillent
sur la base des procès-verbaux issus des bureaux de vote et aucun
magistrat n’est présent au moment du dépouillement. Par contre, tous les
représentants de listes assisteront à cette opération et signeront les
dits procès-verbaux avec ou sans réserve. Et tous les représentants de
listes participent aux travaux de ces commissions et détiennent les
copies de ces procès-verbaux, ceci pour lever toute équivoque liée à la
sincérité des résultats qui seront proclamés.
Nous ne saurions
terminer notre propos sans rendre hommage à notre peuple qui malgré le
discours tenu tendant à faire croire à une perte de confiance de sa part
à la justice, continue de nous saisir de plus belle et l’augmentation
du volume de travail au niveau de toutes les juridictions entrainant un
cumul de fonctions pour la quasi-totalité des magistrats en est la
parfaite illustration. Doit-on rappeler que de par la constitution, la
représentation nationale est assurée par les députés, le Président de la
République tient sa légitimité du peuple et la justice est rendue au
nom du peuple Sénégalais. Aucune autre structure, aucune autre personne
ne peut prétendre détenir la légitimité de parler en son nom.
Juger
relève d’une activité divine, nous en sommes conscients, mais la
différence entre la justice divine et celle des hommes réside dans le
fait que l’omnipotent ne peut pas être trompé à la différence de l’homme
qui est appelé à statuer sur des faits commis hors sa présence, et de
la façon dont ces faits lui sont rapportés dépendra la façon dont le
droit sera dit. On nous donne le fait, nous donnons le droit. Et la
notion d’erreur est prise en compte dans l’organisation judiciaire
elle-même puisqu’à l’image de la séparation des pouvoirs, de par la
disposition naturelle des institutions judiciaires, un juge peut
toujours revenir sur la décision d’un autre juge, ce qui explique
l’existence de la première instance, de l’appel et de la cassation.
A
nous magistrats de faire le maximum pour mériter le respect de notre
peuple en cultivant la courtoisie, le respect de la loi en tout lieu et
en toute circonstance, la rigueur dans le travail et ne jamais oublier
qu’une décision de justice peut changer la vie d’autrui dans un sens ou
dans l’autre, et prendre à ce titre tout le recul nécessaire avant de la
prononcer. «