Mustafa Sanalla : « Le blocage du pétrole est un désastre pour la Libye »

Mustafa Sanalla : « Le blocage du pétrole est un désastre pour la Libye »

Alors que la production d’or noir a chuté de 90 % en un mois, le président de la National Oil Corporation s’alarme d’une situation « catastrophique » pour la population et l’économie.

Depuis le 17 janvier, le pétrole libyen est quasiment à l’arrêt. Le blocage d’installations stratégiques dans le croissant pétrolier (Cyrénaïque) et des champs de Sharara et d’El-Feel, dans le Fezzan (sud), par des forces loyales au maréchal Haftar, a provoqué l’effondrement de la production d’or noir en Libye. La chute est d’environ 90 %, induisant pour le Trésor libyen un manque à gagner de 1,5 milliard de dollars (1,4 milliard d’euros) en un mois. Le dommage est sévère dans un pays où le pétrole représente 65 % du PIB et alimente 95 % des recettes fiscales.

Le maréchal dissident Khalifa Haftar, qui avait déclenché en avril 2019 l’assaut contre le gouvernement d’accord national de Tripoli (le GAN, formellement reconnu par la communauté internationale), a décidé de recourir à l’arme du pétrole afin de fragiliser l’assise financière de ses adversaires. L’essentiel des actifs pétroliers libyens se situe en effet dans des zones, la Cyrénaïque et le Fezzan, qu’il contrôle à des degrés divers. Article réservé à nos abonnés Lire aussi En Libye, le pétrole à l’arrêt dans l’indifférence internationale

Dans un entretien au Monde Afrique, Mustafa Sanalla, président de la National Oil Corporation (NOC), la société d’Etat maîtresse de l’exploitation et de la commercialisation du pétrole libyen, dénonce une « action illégale » qui constitue « un désastre » et une « tragédie » aux « conséquences dévastatrices » pour la Libye. Il appelle la communauté internationale à « ne pas [le] tolérer », sous peine d’« encourager des acteurs violents ».

Comment évaluez-vous l’impact pour la Libye du blocage par le maréchal Haftar du croissant pétrolier et des champs de Sharara et d’El-Feel ?

Il s’agit d’un désastre, d’une tragédie. La production a chuté de 1,25 million à 110 000 barils par jour. Je suis très inquiet. La situation créée par ce blocage est catastrophique pour la population et va détruire l’économie libyenne. Comme vous le savez, le pétrole et le gaz constituent le pilier de notre économie. Ils permettent de payer les salaires des Libyens, ils fournissent les hôpitaux en électricité… Et les choses ne peuvent qu’empirer dans les semaines et les mois à venir. Le manque à gagner dû à ce blocage est déjà de 1,5 milliard de dollars en trente-trois jours, tandis que nous devons augmenter nos importations de produits pétroliers, dont la facture a augmenté de 50 %. Nous avons certes des réserves financières, mais elles vont s’épuiser rapidement. Nous allons devoir emprunter, ce qui est une honte.

Le maréchal Haftar justifie son action par le déséquilibre de la redistribution des revenus du pétrole entre l’ouest et l’est. Qu’en pensez-vous ?

Il est vrai qu’il y a cette doléance, surtout dans l’est, concernant l’injuste répartition des revenus du pétrole entre les régions. Nous avons admis ce problème. Nous ne pouvons y répondre qu’en augmentant la transparence de la Banque centrale, ce que j’ai moi-même réclamé à plusieurs reprises. Mais bloquer les installations pétrolières n’a aucun sens. Cela aggrave les souffrances de la population ordinaire, dont la résilience a ses limites. Cela risque d’avoir des conséquences dévastatrices sur l’Etat de droit, en rendant certaines personnes davantage enclines à l’action violente, à l’extrémisme. Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’Afrique veut prendre la main dans les crises en Libye et au Sahel

La communauté internationale, d’ordinaire si sensible à tout ce qui touche aux actifs pétroliers en Libye, a réagi en ordre dispersé et sans grande vigueur. Le regrettez-vous ?

Il y a eu des déclarations dans certains pays, et je leur en suis reconnaissant, mais l’impact sur le terrain a été minimal. Il faut être clair : si la communauté internationale récompense ce type d’action illégale, cela risque de se renouveler ailleurs, et pas qu’en Libye. Il s’agit d’un dangereux précédent. Le secteur énergétique ne doit pas devenir un objet de marchandage. Cela endommagera le secteur au niveau global.

La Libye n’a pas été aidée par la conjoncture du marché, avec la crise du coronavirus chinois qui entraîne l’affaiblissement de la demande mondiale. Du coup, l’intérêt international pour la chute de la production libyenne a été limité. Le déplorez-vous ?

La Libye vient de voir sa production chuter d’un million de barils par jour et personne ne réagit sérieusement. Je ne dis pas que nous sommes victimes de la crise du coronavirus. Mais si le prix du pétrole avait augmenté, je pense qu’on aurait assisté à des réactions différentes. La communauté internationale doit comprendre que si elle tolère ce type de violation de la loi, cela va encourager les acteurs violents et éliminer les voix modérées.

Souare Mansour

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