Extradition de Julian Assange : «Le virage à 180 degrés de la justice britannique»
La Haute Cour de justice de
Londres a annulé le refus en première instance de l’extradition du
fondateur de WikiLeaks. Il est poursuivi par la justice américaine pour
espionnage après avoir publié des documents secrets. Cette décision
ouvre la voie à son extradition vers les États-Unis, mais tous les
recours ne sont pas épuisés. Analyse de cette décision avec Olivier
Tesquet co-auteur de l’ouvrage Dans la tête de Julian Assange (Éditions
Actes Sud) et journaliste à Télérama, spécialiste des questions
numériques
RFI : Quelle analyse faîtes-vous de cette décision de la Haute cour de justice de Londres ?
Olivier
Tesquet : C’est une décision qui est un virage à 180 degrés par rapport
à celle qui avait été rendue en première instance au mois de janvier,
puisqu’à ce moment-là, la juge avait estimé qu’en raison de son état de
santé, particulièrement son état de santé psychologique, Julian Assange
ne pouvait pas être extradé vers les États-Unis. Or, la décision
d’aujourd’hui [vendredi 10 décembre] ouvre la voie à une extradition, on
revient d’une certaine façon à la case départ, et c’est évidemment un
gros revers pour Assange et pour son entourage.
Vous
dîtes que la décision de ce vendredi ouvre la voie à une extradition,
car effectivement ce n’est pas la fin de cette saga judiciaire…
Tout
à fait. Cette affaire est renvoyée vers un tribunal qui lors d’audience
ultérieure sera amené à réexaminer son cas. Si la demande d’extradition
était confirmée, Julian Assange pourrait aller devant la Cour suprême
britannique, et si la justice devait décider de revenir sur cette
autorisation, les autorités américaines seraient aussi fondées à se
pourvoir « en cassation », pour garder une terminologie française, dans
le cas de cette procédure.
Il y a revirement, mais tout n’est pas donc perdu pour Julian Assange ?
Alors
tout n’est pas perdu, mais pour autant on a quelqu’un qui est détenu
dans une prison de haute sécurité sans avoir été jugé, sans avoir
comparu devant un tribunal lors d’un procès. Et cela depuis avril 2019
quand il a été extrait de force de l’Ambassade d’Équateur à Londres, et
on voit bien que cette détention lui coûte physiquement et
psychologiquement.
Le risque de suicide était d’ailleurs un des arguments de ses avocats pour s’opposer à son extradition…
Tout
à fait, et c’est d’ailleurs la seule raison qui avait poussé la juge en
première instance à refuser l’extradition. C’est-à-dire que la juge n’a
jamais dit que Julian Assange ne pouvait pas être extradé parce que la
procédure des États-Unis était politique, ou parce qu’elle était nulle
et non avenue. Le seul motif qui a poussé la juge à s’opposer à
l’extradition en première instance, c’est que Julian Assange présentait
un risque non négligeable de suicide s’il devait être extradé vers les
États-Unis. Donc effectivement, on a une procédure qui traîne depuis
avril 2019. On peut imaginer que tout cela va encore nous occuper
pendant quelques mois, voire quelques années. Et pendant ce temps-là,
Julian Assange reste incarcéré en détention provisoire.
Les
garanties apportées par la partie américaine sur le traitement qui lui
serait réservé au États-Unis ont-elles pu peser dans la décision de la
Haute cour de Londres ?
C’est en tout cas ce
qui est invoqué par la Haute Cour de justice de Londres pour motiver sa
décision. C’est qu’effectivement il y a eu des garanties écrites qui ont
été fournies par les autorités américaines, notamment celle que Julian
Assange ne serait pas incarcéré dans une prison baptisée « super max »,
notamment celle de Florence dans le Colorado, que l’on appelle l’«
Alcatraz des Rocheuses », qu’il ne serait pas non plus soumis à
certaines mesures qui ont été prises après le 11-septembre, qui
entravent singulièrement la relation entre un client et son avocat et
qui visent en général des terroristes dangereux.
Ils
ont promis que Julian Assange pourrait purger sa peine s’il devait être
condamné en Australie, son pays d’origine, et qu’il recevrait les soins
nécessaires si sa santé mentale le nécessitait. Mais ses avocats ont
dit et répété pendant les audiences, qu’ils ne croient pas en ces
promesses parce qu’eux soutiennent que cette procédure est une
persécution judiciaire, et que Julian Assange risque 175 ans de prison,
il faut le rappeler, pour une activité qui est une activité
journalistique. Donc dans ces conditions, les promesses telles qu’elles
ont pu être formulées, finalement, ne sont pas prises au sérieux, par un
certain nombre de défenseurs de Julian Assange.