Cheikh Mouhamadou Mahi Ibrahima Niass: «je ne me considère pas comme un khalife, je suis un Khadim (serviteur)»
« C’est mon style » !
Avec un sourire aimable ! C’est la réponse que Cheikh Mouhammadou Mahi
Ibrahima Niass a donnée à ses proches qui lui demandaient d’enfiler une
tenue moins décontractée avant que le photographe du quotidien national «
Le Soleil » ne commence à immortaliser cet instant ; comme s’ils ne le
connaissaient pas. L’entretien se déroulera finalement – et c’était
prévisible – avec ce « style » soft, ce naturel sensible et enchanteur
du Khalife général de la Fayda Tidianiya, homme de foi, d’esprit et de
sciences dont le verbe est empreint de sagesse et de sincérité. Il est
un délice pour l’âme qui écoute ses leçons de vie sans ésotérisme
déroutant. Et Dieu sait qu’il est de ces lumières qui ont percé les
mystères de la vie et de l’« insondable ». Le guide des disciples de
Cheikh al Islam El Hadj Ibrahima Niass, directeur de conscience de
plusieurs millions d’individus dans le monde, parle de tout dans cet
entretien. Sauf de lui. Le devenir collectif, au-delà des appartenances,
et l’héritage de son illustre père, le « Sahibul Fayda », sont au
premier rang de ses nobles préoccupations.
C’est
la première fois qu’un Khalife général de la Fayda tidianya effectue
une visite officielle à Dakar. Quelle signification lui en donnez-vous ?
Je
viens à Dakar sur invitation des disciples de Cheikh Ibrahima Niass «
Baye », dont l’association « Jamhiyatu Ansârud-Dîn ». Nous sommes tous
des Sénégalais. Je suis un Sénégalais habitant à Kaolack et vous (les
journalistes du quotidien « Le Soleil ») êtes des Sénégalais résidant à
Dakar. Et nous devons nous connaître, créer des liens fraternels pour
faire face aux défis de notre temps. Il est important que nous sachions
ce qui nous unit et ce que nous devons et voulons faire de cette
communauté de sentiments et d’idées, au-delà même des appartenances.
J’inscris cette visite dans cette optique. Nous devons être en mesure de
montrer que le Sénégal est un pays capable de se prendre en charge pour
se construire, se fabriquer un destin meilleur. Une seule personne ne
pourrait y arriver. Un groupe non plus. Agissons en synergie, mobilisons
nos énergies et nos intelligences en créant des cadres d’échanges.
C’est pourquoi j’ai répondu à l’appel des disciples de Baye Niass qui
ont ce dernier comme mémoire et référence pour réaliser notre destin
commun. Cheikh Ibrahima a réfléchi sur toutes les questions destinées au
bien-être de l’humain et de la communauté, au développement qui ne
saurait précéder la connaissance. Pour lui, celle-ci doit guider nos
actions. Nous voulons que Cheikh Ibrahima soit la mémoire vers laquelle
nous nous tournons pour donner une définition à notre existence
terrestre et de celle-ci on ne peut exclure le Sénégal dont le sort est
une préoccupation majeure pour nous. Je ne viens pas à Dakar pour le
folklore, pour une manifestation mondaine, ou pour ma propre personne.
Nous voulons voir avec nos atouts comment faire pour construire notre
patrie en tirant parti du potentiel de chacun de nous.
La « Jamhiyatu Ansârud-Dîn » a beaucoup contribué à votre venue à Dakar. Que pouvez-vous dire de cette association ?
Son
nom rend compte de sa mission essentielle. C’est une association qui
s’emploie à servir l’Islam par la diffusion de la connaissance,
l’édification de mosquées, l’appel islamique, la coopération avec les
musulmans du monde entier… Elle s’illustre également dans la solidarité,
l’entraide. Elle exalte, à travers sa mission, les vertus de la
religion musulmane et contribue donc à son rayonnement sans en attendre
une quelconque rétribution autre que les grâces du Seigneur. La religion
englobe la vie, l’humain, car allant au-delà du rite sacré, chaque
communauté de foi a sa compréhension de la religion. Chacun, dans sa
foi, pense que c’est sa religion qui peut mener l’homme à la paix
intérieure, au bonheur serein. Puisque Cheikh Al Islam considère l’Islam
comme la religion la plus aboutie, qui préserve l’homme dans cette
existence terrestre et à l’au-delà, nous avons choisi cette voie.
Si vous deviez nous décrire Cheikh Ibrahima Niass, que diriez-vous ?
Je
dirai tout simplement qu’il est un Sénégalais comme vous et moi. Il a
trouvé son père, Cheikh Abdoulaye Niass, sur la voie de la vertu, de la
quête du savoir et de la transmission. Celui-ci, qui a combattu le
colonisateur français, aimait à dire que Cheikh Ibrahima Niass a pris
l’ascendant sur nous par la connaissance. Il nous conseillait d’aller à
la quête du savoir pour que le colonisateur quitte notre patrie sans
qu’on ait besoin de le combattre. Cheikh Al Islam a également toujours
incité sa descendance et ceux qui sont avec lui à aller à la quête du
savoir pour être des hommes libres prenant leur destin en main. Mame
Abdoulaye Niass disait que toutes les connaissances sont utiles, mais il
a choisi celles-là islamiques pour son existence terrestre et
l’au-delà. C’est pourquoi Cheikh Ibrahima Niass a mis l’accent sur
l’instruction et l’éducation de l’humain.
La Fayda est une expression souvent utilisée par la communauté niassène. Que signifie-t-elle ?
À
un homme qui lui posait la même question, Cheikh Ibrahima Niass
répondit ceci : « La Fayda, c’est un puits plein d’eau et duquel un
homme vigoureux et inépuisable puise de l’eau pour une assemblée
désirant remplir des bassines. Et il les approvisionne sans geindre
parce que sa source est intarissable et ses ressources illimitées ». La
Fayda est un flot de grâces divines qui envahit l’adepte. C’est la
plénitude dont peuvent jouir aussi les autres. Cheikh Ahmed Tidiane,
fondateur de la Tarîqa Tidiane, qui connaît mieux que quiconque cette
confrérie, l’avait prédit. Il en connaît les bienfaits et a donné des
signes. Cheikh Ahmed Tidiane Chérif avait prédit, avant sa disparition,
que l’effluve viendra avec un de ses disciples au moment où le monde est
exposé aux périls. À travers ce disciple, plusieurs groupes entreront
dans la confrérie tidiane. Ce n’est pas Cheikh Ibrahima qui a été le
premier à dire qu’il est ce disciple prédit par Cheikh Ahmed Tidiane. Il
y a des Mauritaniens et bien d’autres qui en avaient la prétention. Le «
Sahibul Fayda », c’est une grâce féconde qui irradie vers les autres,
qui irrigue les âmes. Aujourd’hui, le nombre de ses adeptes dans le
monde et leurs origines diverses montrent que la prophétie de Cheikh
Ahmed Tidiane Chérif s’est accomplie à travers le destin de Cheikh
Ibrahima. Aujourd’hui, on parle de plus de 400 millions de disciples de
Baye Niass dans le monde. C’est assez révélateur. Nous n’en tirons
aucune fierté personnelle. C’est la volonté du Seigneur qui s’est
accomplie.
En tant que Khalife général de la Fayda tidianiya, quels sont vos projets ?
Je
dis souvent que je ne me considère pas comme un Khalife, je suis un
Khadim (serviteur) ou j’aspire à l’être comme toutes ces braves
personnes qui nous accompagnent dans cette mission. Mes projets épousent
la pensée et l’action de Cheikh Ibrahima. Celui-ci était un
travailleur. Il allait au champ pour cultiver. Il avait l’une des
meilleures productions agricoles du Sénégal. De mon point de vue, cela
devrait inspirer les Sénégalais, nous inspirer. Au Sénégal, nous avons
des ressources humaines importantes. On peut en dire autant des
disciples de Cheikh Al Islam. Est-ce que cette énergie doit être
utilisée uniquement pour faire des prêches, des zikr… ? Ou doit-on
l’employer pour la transformer en opportunités économiques, sociales… ?
Je pense qu’on peut le faire. Chez les disciples de Baye Niass, on
trouve des ingénieurs, des journalistes, des philosophes, des
informaticiens… avec une très grande expérience. Ces ressources doivent
être utiles au Sénégal. Je m’y emploie quotidiennement. Nous sommes un
pays en voie de développement, et l’agriculture est essentielle pour
améliorer le sort des Sénégalais, relever l’économie du pays, donner de
l’espoir aux jeunes. Pour l’instant, nous n’avons que l’agriculture pour
changer la donne, pour aspirer à des lendemains meilleurs. La terre,
c’est notre richesse. Au Sénégal, on aime le bricolage, la facilité et
la patience n’est pas notre fort. On préfère disserter sur des
futilités, entretenir des querelles inutiles. Mobilisons nos énergies,
nos intelligences pour inciter les Sénégalais à travailler, à leur faire
comprendre que l’on y arrivera que par le travail.
Les
gens dissertent sur votre style décontracté, sans trop de protocole.
D’ailleurs, pour les besoins de cette interview, on vous a trouvé assis
dehors, devant votre maison, entouré de quelques-uns de vos proches et
talibés, sobrement vêtu. La simplicité est-elle un idéale de vie pour
vous ?
Je
suis avant tout « ndongo daara », un produit de l’école coranique. Le
paraître, le style fleuri et les habits de gala n’ont jamais été une
préoccupation pour moi, même s’il faut s’habiller correctement et
décemment. C’est mon style. J’ai toujours été ainsi. Cheikh Ibrahima
Niass me disait souvent ceci : « Mahi, il faut privilégier un
habillement adapté à ta petite silhouette » ! Un jour, il m’a offert un
beau boubou. Après l’avoir enfilé, je suis passé devant lui alors qu’il
était assis sous sa tente. Ne m’ayant pas reconnu, il a demandé à un de
ses disciples, Omar Kata, « c’est qui celui-là ». Surpris de savoir que
c’était moi, il s’exclama ainsi : « Donc, il sait s’habiller élégamment »
! Je n’ai jamais été porté sur les mondanités. Le « je suis, je suis »,
« le moi » est indisposant. Ce n’est pas bien. Quand j’étais jeune, je
n’étais préoccupé que par la quête du savoir, par la volonté ardente de
saisir le message de Baye Niass. L’argent ne m’a jamais non plus
obnubilé. La quête de connaissances et Cheikh Al Islam sont les moteurs
de ma vie. Mais demain, quand je serai à Dakar, je vais me faire beau
(rire) !
Vous voulez rendre hommage à ceux-là qui ont construit la grande mosquée de Médina Baye. Quelle est la portée de cette action ?
Un
homme sans mémoire n’a pas de repère ni de référence. Quand Cheikh
Ibrahima a voulu entreprendre l’extension de la mosquée de Médina Baye,
il s’est tourné vers les disciples. Mais il a dit qu’il voulait que ses
homonymes soient les premiers à répondre à son invite. Ils ont passé une
bonne partie de leur vie, dans le plus grand dévouement, à œuvrer pour
la concrétisation de ce projet de leur guide. Certains y ont même laissé
leur vie. Si on oublie ces âmes dévouées et leur belle contribution,
cela voudra dire que l’on n’a pas de mémoire. Il faut les célébrer,
raviver ces souvenirs qui ne doivent pas être oblitérés par le temps.
Leur œuvre est immense. Seul Dieu est en mesure de la rétribuer.
L’Afrique
et le reste du monde traversent des moments difficiles avec des
conflits, l’instabilité politique, la pandémie de Covid -9, la crise
économique… Quelle lecture en faites-vous ?
Ce
sont des faits auxquels nous sommes confrontés. Nous prions que le
monde s’en débarrasse, que nous ayons la paix des cœurs. Quand la
Covid-19 s’est déclarée au Sénégal, et surtout au plus fort de la
pandémie, nous avons joué notre partition à notre manière. Chaque jour,
nous procédons à la lecture intégrale du Coran en priant que le Bon Dieu
aide surtout nos médecins qui sont au front à vaincre cette maladie
pour le bien de tous nos compatriotes. Nous n’avons jamais cessé de
prier. Aujourd’hui, nous pouvons rendre grâce Dieu parce que la maladie
est en net recul même s’il faut continuer à être vigilant. Personne ne
remet en doute le travail des médecins, mais ils avaient besoin des
prières de tous les Sénégalais pour qu’ils réussissent leur mission qui
était de lutter contre cette pandémie. Pour ce qui est des tensions
politiques, vu l’enchaînement des choses, nous avons l’impression que
les acteurs politiques du Sénégal, qu’ils soient du pouvoir ou de
l’opposition, ne connaissent pas l’essence de la politique. Pour eux,
tout semble se résumer à occuper postes et sinécures, à conquérir le
pouvoir alors que la politique, dans le vrai sens du terme, consiste à
se battre pour les intérêts communs, à apporter des solutions aux
préoccupations des populations, à leur construire une vie meilleure.
Tous les acteurs politiques confondus prétendent défendre cet idéal,
mais à y regarder de plus près, ce n’est vraiment pas le cas. Comme le
disait un de mes professeurs au Maroc, les Africains se sont battus pour
l’indépendance et une fois celle-ci acquise, parfois de haute lutte,
ils ont oublié pourquoi ils se battaient pour cette indépendance. C’est
pour dire que nos politiciens tiennent souvent de beaux discours,
prennent beaucoup d’engagements, mais nous avons l’impression que ce
n’est pas toujours en phase avec la réalité que vivent les populations. À
mon avis, nous devons penser le Sénégal dans sa globalité en tenant
compte des préoccupations et attentes de tous et de tous les recoins du
pays qui manquent d’eau, d’électricité, d’infrastructures sanitaires
fonctionnelles, mais aussi du devenir du Sénégalais né aujourd’hui. Donc
action et projection. Ce n’est pas pour jeter la pierre aux
politiciens, je les respecte beaucoup, pouvoir comme opposition, mais
j’ai l’impression qu’ils n’ont pas encore pris la bonne voie qui devrait
développer le Sénégal à la hauteur de nos ambitions et de nos
aspirations. Et Dieu sait que nous avons les moyens de faire avancer les
choses. En matière de ressources humaines, nous ne nous plaignons pas,
le Sénégalais est intelligent. Nous avons des concitoyens qualifiés dans
beaucoup de domaines à travers le monde. Nous avons assez
d’intelligences pour comprendre et analyser les dynamiques du monde,
mais quand il s’agit de passer à l’action, une certaine paresse semble
nous frapper. Nous préférons la facilité, en ne faisant le moindre
effort possible, passant notre temps à débattre du matin au soir sur des
sujets qui n’intéressent pas forcément les Sénégalais. Est-ce qu’il
reste assez de terres arables au Sénégal ? Si oui, comment les mettre en
valeur au bénéfice de l’ensemble des Sénégalais ? Comment convaincre et
aider les Sénégalais à s’investir dans l’agriculture ? Comment les
rendre autonomes pour qu’ils ne soient plus obligés d’attendre un geste
d’un homme politique ou un autre pour survivre ? Voilà, par exemple, des
problématiques dignes d’alimenter le débat.
Un
débat entre les partisans d’un Islam soufi et un autre dit salafiste a
défrayé la chronique ces derniers temps. Qu’est-ce que cela vous inspire
?
Ceux
qui sont contre les soufis, surtout contre nos grands guides religieux
comme El Hadji Oumar Tall, El Hadji Abdoulaye Niass, El Hadji Malick Sy,
Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké…doivent se rappeler du contexte dans lequel
ces derniers se battaient pour que l’Islam reste debout au Sénégal face
aux colonisateurs qui faisaient tout pour freiner l’expansion de notre
religion. Ils doivent se rappeler des brimades, privations et
souffrances qu’ils ont subies. Ils ont été exilés, pourchassés pour
réduire à néant ce qu’ils avaient commencé à bâtir pour un Islam fort au
Sénégal. Ces guides religieux étaient seuls au front face à un
adversaire déterminé à réduire notre religion à néant. Mais armés de
leur foi en Islam et de leur détermination, ils ont combattu les colons.
Et chacun y est allé avec la stratégie qui était la sienne. Il ne faut
pas l’oublier, quand on se bat contre un adversaire plus fort, il faut
user de subterfuges, de stratégies pour arriver à ses fins. Par exemple,
certains soutiennent que le Gamou c’est du « bidâ » (innovation). Je
peux le leur concéder, mais il faut qu’on soit d’accord sur la nature de
ce « bidâ ». Nos guides religieux y ont fait recours pour des raisons
nobles : l’expansion de l’Islam. En effet, à l’époque, nous n’avions pas
assez d’écoles coraniques pour propager le message de l’Islam. Seuls
ces rassemblements leur offraient la possibilité de le véhiculer et de
retracer la vie et l’œuvre de son Prophète (Psl) ainsi que de ses
compagnons, de transmettre les enseignements de cette religion. À
l’époque, il existait des Gamous, mais cela n’avait rien de religieux,
c’était du paganisme. Etant donné que le mot « Gamou » était synonyme de
rassemblement chez les populations, nos guides religieux ont décidé de
conserver le nom, mais en changeant foncièrement le contenu qui n’est
plus d’essence païenne mais religieuse. En appelant ainsi les gens à
venir à ce nouveau type de Gamou, ils réussissaient ensuite à en
convertir beaucoup grâce aux messages qu’ils délivraient à cette
occasion. Donc, le Gamou était pour nos guides religieux une stratégie
pour répandre l’Islam au Sénégal. Cela n’a rien à voir avec la
connotation que certains veulent lui donner de nos jours. Je n’ai rien
contre ceux qui brocardent les soufis, mais il serait bien que nous
apprenions à respecter notre passé et le rôle éminemment crucial joué
par nos guides religieux pour que l’Islam s’installe et se répande au
Sénégal. Toutes les confréries du Sénégal visent la même chose :
rassembler les gens autour de l’Islam dans une ambiance d’entente
cordiale, de convivialité, de paix, de respect mutuel.
Avant
les indépendances, existait un Conseil supérieur des chefs religieux
musulmans du Sénégal. Ne serait-il pas aujourd’hui nécessaire de le
ressusciter pour en faire un cadre d’échanges qui réunirait toutes les
sensibilités ?
Effectivement,
il existait, entre 1958 et 1959, le Conseil supérieur des chefs
religieux musulmans du Sénégal. Cheikh Al Islam El Hadji Ibrahima Niass,
Serigne Abdoul Aziz Sy « Dabakh » et bien d’autres furent parmi ceux
qui se sont battus pour que ce Conseil voie le jour. Ressusciter cette
structure, aujourd’hui, ne me semble pas possible. Quelqu’un est déjà
venu me le proposer, mais je lui ai répondu que ceux qui avaient conduit
à son éclatement, pour des intérêts politiques, sont toujours là. Donc
si on remet en place ce Conseil, les mêmes intérêts politiques qui
l’avaient disloqué à l’époque referont jour et conduiront à sa perte. Il
y a des forces, des gens qui n’ont pas intérêt à voir au Sénégal une
structure forte de défense de l’Islam. Donc quand ils verront que les
chefs religieux veulent reformer ce cadre unitaire, ils manœuvreront
pour qu’il ne voit jamais le jour. D’autant plus que, vu le contexte
sous-régional, il est encore plus facile pour eux de semer la discorde
aujourd’hui entre les chefs religieux que par le passé. Moi, je suis un
soufi, j’y suis né, mais je ne m’en suis pas contenté. Je suis allé
élargir mes connaissances, savoirs et recherches sur ce courant et cela
m’a conforté dans cette appartenance. Parce que, comme philosophie, le
soufisme ce n’est rien d’autre que la sincérité dans ce que l’on fait
avec comme finalité la quête du salut et de la grâce de Dieu. Tout autre
chemin nous éloigne de la voie qui mène à cette aspiration. Le soufi,
c’est aussi la discipline et la quête de Dieu à travers des guides. Un
vrai guide soufi apprend au disciple à se prendre en charge lui-même, en
le responsabilisant sur les allées qui mènent à Allah. Bref, le
soufisme c’est éduquer l’individu, en le réconciliant avec lui-même et
avec son Seigneur.Que pensez-vous de l’extrémisme religieux et du terrorisme ?
Vous
savez, ces termes sont connotés et créés par les Occidentaux. Mais
c’est loin d’être l’Islam. Nous sommes dans un monde très agité. Des
gens cherchent aujourd’hui à créer une nouvelle religion appelée «
Ibrahimite » ou « Ibrahimiya » qui serait le condensé des trois
religions révélées que sont le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam.
Ils partent de leur propre constat qui veut que ces trois religions-là
ont échoué dans leur mission et que donc cette nouvelle religion,
ouvertes à toutes les sensibilités religieuses, aura comme ambition de
pacifier le monde. Quand on m’a demandé mon avis, j’ai répondu qu’on ne
peut pas appeler cela « religion » parce que quand on parle de religion,
automatiquement ses adhérents penseraient à celle à laquelle ils
appartenaient à l’origine. Pourquoi « Ibrahimiya », du nom du Prophète
Ibrahima parce que ce dernier est la source des trois religions
révélées. Les ambitions des porteurs de ce projet, c’est de diluer ou de
réduire l’influence du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam dans
cette nouvelle grande religion. Les Nations unies adhèrent à cette idée
et entendent la vulgariser dans le monde. Les Occidentaux ont réussi à
embarquer des musulmans dans ce projet. Tout ceci a pour objectif de
détourner les gens de leur croyance, de créer de nouveaux types de
croyants qu’ils pourront conditionner à leur guise. Pour en revenir aux
intégristes qui écument le Nigéria, le Burkina, le Mali, la bande
sahélo-saharienne, il faut bien se demander qui les finance. D’où
tirent-t-ils tout cet argent qui leur permet d’acheter ces armes
sophistiquées ? Qui leur balise le chemin pour atteindre leurs cibles ?
De sévir là où ils veulent et quand ils veulent avec autant de facilité ?
Pour des gens qui habitent dans des pays africains pauvres, réussir à
avoir de tels armements, ça suscite forcément des questionnements.Votre
arrivée à Dakar coïncide avec une certaine fièvre dans l’espace
politique. Quel message adressez-vous aux acteurs politiques et aux
populations en direction des élections territoriales de janvier prochain
?
Le
peuple sénégalais doit revisiter ce qu’est la politique. Nous ne
pouvons pas comprendre que les plus grandes tensions au Sénégal ne
surviennent qu’en période électorale ou aient des relents politiques. La
question politique ne doit pas rythmer la vie des Sénégalais. Il y a un
Sénégal avant et après les élections et nous aspirons à vivre dans la
paix et la sérénité. Il faut que nous apprenions à encourager les
Sénégalais et surtout les jeunes dans des initiatives et actions qui
leur profitent et profitent à tout le pays au lieu de les inciter à
descendre dans la rue, à s’affronter, à saccager, jusqu’à ce que des
vies tombent. La politique au Sénégal doit-elle se limiter à cela ? Non.
Il faut en revenir aux fondamentaux de la politique : choisir par les
urnes les hommes en qui nous avons confiance. Personnellement, je
respecte les institutions du pays. Je respecte le Président de la
République, non pas forcément sa personne, mais par rapport à ce qu’il
incarne. Et c’est en cela que je prie pour qu’il réussisse à la tête du
pays. Jusqu’au policier dans nos rues, en tant qu’institution, je lui
voue beaucoup de respect parce qu’il représente l’Etat. Baye Niass nous
disait souvent qu’être en bons termes avec ton chef de quartier vaut
mieux que l’être avec le Ministre de l’Intérieur parce que le premier
cité est plus proche de toi quand un problème se présente. Pour dire que
tous ceux qui se trouvent dans notre environnement proche et qui
incarnent l’Etat méritent respect et considération de notre part.
Maintenant, une fois que l’heure des choix arrive, chacun pourra aller
voter pour celui qu’il veut élire dans le respect des règles
démocratiques. La façon dont on cherche actuellement à accéder au
pouvoir ne nous produira pas forcément un leader à la hauteur de nos
aspirations. Parce que ceux à qui on demande de descendre dans la rue,
d’insulter et de se battre, ce sont les mêmes qui, demain, seront aux
affaires et donc perpétueront les mêmes pratiques. Pour dire donc qu’on
risque de ne rien apporter de nouveau à la construction du Sénégal de
demain.De
son vivant, Cheikh Ibrahima Niass a eu à prendre position pour la paix
en Palestine, la sauvegarde de Bayt Al Maqdis (Jérusalem) et la
jouissance du peuple palestinien de ses droits inaliénables sur sa
terre. Cet héritage est-il bien préservé ?
Medina
Baye continue d’avoir la même posture, rien n’y a changé. À chaque
Gamou, nous invitons les Palestiniens et nous leur offrons une tribune
pour faire entendre leur discours. Ils étaient ici il n’y a pas
longtemps. Seulement, les choses ont évolué sur le plan national et
international. Le contexte des années 1970 n’est plus le même que celui
d’aujourd’hui. Les données ont changé, mais notre position reste la même
pour le peuple palestinien.