« Dites-moi, c’est bien Ousmane Sonko, ce sprinter ? » (Par Madiambal Diagne)
En mars 2021, une bourrasque avait
soufflé sur la scène politique, avec des manifestations meurtrières,
suite à une escapade de Ousmane Sonko, dans un salon de massage, ce
jeune leader politique arrivé en troisième position lors de l’élection
présidentielle de février 2019. La perspective d’une arrestation de
Ousmane Sonko, pour viol présumé, avait mis le Sénégal sens
dessus-dessous. Le Président Macky Sall avait accusé le coup et avait
promis qu’on ne l’y prendrait plus à deux fois. C’est ainsi qu’il a
immédiatement procédé à quelques réaménagements majeurs, dans le
commandement des Forces de sécurité et leur a permis de mieux s’équiper
pour pouvoir désormais maintenir l’ordre public, en cas de besoin.
L’occasion
lui a été donnée, le 10 novembre dernier, de mesurer la capacité de ses
troupes à empêcher la réédition de la casse des 6, 7 et 8 mars 2021. Il
faut dire qu’il a été aidé en cela, non seulement par un contexte
social fort différent, mais aussi par la circonspection des populations
qui n’ont pas, cette fois-ci, voulu s’associer à des actions subversives
menées par des hommes politiques, qu’ils apprennent à connaître un peu
plus. Sans coup férir, les autorités de l’Etat ont su dompter la
manifestation engagée notamment par Barthélemy Dias, Ousmane Sonko,
Khalifa Ababacar Sall et El Hadji Malick Gakou. Ces leaders se sont
montrés pleutres et pathétiques et ont sans doute érodé leur capital
estime. Qu’il est bien drôle de voir les chefs prendre la tête de la
débandade ! L’image est ravageuse.
Mais,
c’est surtout l’irresponsabilité de leur provocation du 10 novembre
2021 qui a sidéré le monde. Comment lire autrement l’attitude de clamer,
sur toutes les radios et télévisions, qu’ils se rendront, coûte que
coûte, au Palais de justice, en dépit de la décision de renvoi de
l’audience au cours de laquelle Barthélémy Dias devait être jugé ?
Réagissant à la décision de renvoi de l’audience après le constat de
l’absence des différentes parties (prévenus et parties civiles) à
l’appel du dossier, ces opposants avaient tenu à aller «envahir le
Palais de justice», comme ils l’avaient, du reste, annoncé des jours
auparavant. Ils ont réussi à prouver qu’ils cherchaient la
confrontation, la bagarre violente et même sont dans une logique
insurrectionnelle. Et pour ce faire, Ousmane Sonko a repris sa casquette
de meneur pour revisiter son lexique favori, demandant à ses partisans
de faire «don de leur vie». Paradoxalement, à la première charge de la
police, Ousmane Sonko a pris ses jambes à son cou, perdant, dans le
tohu-bohu, sa casquette, bousculant ses compères, Malick Gakou et
Barthélemy Dias, pour passer en premier sous le rideau à moitié baissé
d’une échoppe et y trouver refuge. Les vidéos du sauve-qui-peut
continuent de faire fureur sur les réseaux sociaux. Ils se sont ainsi
rendus ridicules, se sont humiliés eux-mêmes. La police est restée dans
son rôle régalien, car si les manifestants avaient réussi à accéder au
Palais de justice, l’avaient mis à sac et laissé sur le carreau des
juges ou auxiliaires de Justice, ç’aurait été une bien autre situation
au Sénégal.
Dans de nombreux milieux, on
redoutait la date du 10 novembre 2021, comme pouvant servir à Ousmane
Sonko à faire oublier les émeutes de mars 2021. En effet, c’est du
cynisme, mais un bilan plus macabre, avec plus de morts et de violences,
lui permettrait d’effacer son sinistre record des tablettes de
l’histoire politique du Sénégal. Mais on retiendra que le Président
Macky Sall a quelque part bien manœuvré et la stratégie des Forces de
sécurité a efficacement fonctionné. Elles ont bien réussi à couper la
tête des manifestations, sans trop de dégâts. La facile arrestation des
leaders a pu apparaître, pour nombre de leurs adversaires, comme une
aubaine ou du pain béni. Il est presque assuré que, présentés devant les
juges, ces leaders politiques n’auraient pu bénéficier du moindre
cadeau, pour avoir appelé publiquement à envahir le Palais de justice et
sans doute s’en prendre aux magistrats qu’ils ont voués aux gémonies,
des jours durant. On ne voit pas un juge, dont la main aurait tremblé
pour protéger l’institution judiciaire et d’ailleurs, sa propre peau et
celle de ses collègues, face à de pareils fauteurs de troubles !
La dernière folle bravade de Barthélemy Dias
La
décision de libérer les leaders politiques arrêtés, en ne retenant
aucune charge contre eux, a pu paraître incompréhensible, pour bien
d’observateurs et même des proches du Président Sall. Mais à y
réfléchir, le chef de l’Etat a joué un excellent coup politique. Il a
ainsi évité de tomber dans le piège de conforter la prétendue idée que
le Sénégal est une dictature prompte à emprisonner des leaders
d’opposition qui manifestent dans la rue. Macky Sall aurait été dans un
réel inconfort, durant son séjour en France, où il devait parler de paix
avec des pairs, notamment au Forum de Paris, pendant que ses
adversaires politiques étaient en détention; même si, toutes choses
égales par ailleurs, des leaders politiques français par exemple, qui
auraient appelé à envahir un Palais de justice, subiraient, à coup sûr,
toute la rigueur de la loi pénale.
En
d’autres termes, si le gouvernement avait voulu priver des opposants de
leur liberté, l’occasion aurait été belle pour le faire. Une simple
procédure de flagrant délit aurait suffi et, pendant qu’il serait en
détention, il aurait été loisible au Parquet de demander la révision en
détention provisoire de la situation de contrôle judiciaire de Ousmane
Sonko, dans laquelle il se trouve depuis son inculpation dans l’affaire
du présumé viol dont se plaint Adji Sarr.
Les
autorités sénégalaises ont donc apprécié l’inopportunité des poursuites
pénales pour la manifestation du 10 novembre 2021. C’est de bonne
guerre. Elles n’ont pas, cette fois-ci, eu besoin d’une demande ou d’une
intercession quelconque de milieux religieux ou autres. C’est en
quelque sorte un signe d’apaisement, de conciliation. Une prochaine
fois, le régime de Macky Sall pourrait avoir le beau rôle de dire avoir
accepté l’inacceptable, avoir toléré l’intolérable, avoir fait toutes
les concessions possibles, toujours au nom d’une volonté de paix civile,
mais que, devant la surenchère ou l’escalade sans fin de cette
opposition, l’Etat ne pourrait que finir par y mettre un terme et
restaurer l’autorité de l’Etat et la sécurité publique.
L’affaire
de la comparution avortée de Barthélemy Dias a été aussi une occasion,
de plus, pour mettre à nu les manœuvres de manipulation de l’opinion
publique. L’opposition s’était fait fort de vouloir lier la date de
l’audience du 10 novembre 2021 au dépôt de la candidature de Barthélemy
Dias pour briguer le fauteuil de maire de Dakar. Mal leur en a pris, car
il a été très rapidement rétabli que la date de l’audience était connue
depuis le 7 juillet 2021, de Barthélemy Dias et ses conseils. Le
prévenu avait participé au choix de cette date, alors qu’à ce moment-là,
nul n’était encore candidat pour briguer la mairie de Dakar. Mieux,
plusieurs médias, au lendemain de l’audience du 7 juillet 2021, avaient
indiqué la date de renvoi du procès. Tout cela a pu participer à
discréditer les appels à manifester et à braver les Forces de l’ordre.
On n’aura reculé devant aucune manipulation, comme celle de chercher à
chauffer à blanc les manifestants, en annonçant, à travers des médias
bien choisis, qu’un garde du corps de Ousmane Sonko avait été grièvement
blessé par balle. A l’heure du bilan de la manifestation, ce cas est
oublié, comme par enchantement.
Barthélemy
Dias devrait d’ailleurs se demander où se trouvaient les Dakarois sur
lesquels il compte s’appuyer pour gagner, au soir du 23 janvier 2022. En
tout cas, il n’y avait pas foule pour répondre à ses appels à
l’accompagner au Tribunal. Là aussi, on ne devrait pas oublier,
qu’encore une fois, les 6, 7 et 8 mars 2021, il y avait dans les rangs
des manifestants, tout le monde et peut-être n’importe qui, et ce serait
une grave erreur que de vouloir considérer que les rangs des émeutiers
de mars 2021 n’étaient constitués que par des partisans politiques.
Macky
Sall se serait-il fait violence pour en arriver à cette décision de
faire relâcher les opposants arrêtés ? En tout cas, l’enjeu en vaudrait
bien la chandelle. En effet, ce serait une tache noire pour le système
démocratique sénégalais d’organiser les prochaines élections locales,
après avoir mis sous les verrous les deux principaux candidats déjà
investis par l’opposition, à savoir Barthélemy Dias (candidat à Dakar)
et Ousmane Sonko (candidat à Ziguinchor). Assurément, les élections du
23 janvier 2022 perdraient de leur intérêt si les candidats de
l’opposition, dans les deux localités qui restent les plus disputées,
étaient ainsi empêchés de battre campagne. On peut entendre l’analyse
selon laquelle l’opposition chercherait, par des actes de provocation, à
semer le chaos pour éviter la tenue des prochaines élections locales,
dont l’issue est partie pour lui être défavorable. D’ailleurs, la
promptitude avec laquelle certains milieux de la Société civile, bien
connus pour leur proximité avec l’opposition, demandent le report des
élections locales, est assez étonnante.
Au
demeurant, Barthélemy Dias, en particulier, semble, lui, ne rien perdre
pour attendre. Il poursuit son outrance verbale, comme un enfant mal
élevé, et sa dernière bravade risque de le jeter dans la gueule du loup.
Il annonce qu’il ne comparaîtra pas le 1er décembre 2021, date à
laquelle son procès est renvoyé par la Cour d’appel de Dakar.
Ignore-t-il que si l’affaire est retenue à cette date, le verdict rendu
sera réputé contradictoire pour lui et il aura raté l’occasion de se
défendre ? Le cas échéant, les juges d’appel confirmeraient fatalement
le verdict de première instance, le condamnant à une peine
d’emprisonnement ferme. On peut augurer que l’Etat ne devrait pas avoir
grande difficulté à faire exécuter la condamnation. Qui Barthélemy Dias
pourra-t-il mobiliser, après coup, pour empêcher l’exécution d’une
décision de justice devenue définitive ? Du reste, il est on ne peut
plus absurde de braver la rue (en risquant sa vie ou sa liberté) pour
vouloir se rendre à une audience, que l’on sait déjà renvoyée, pour
exiger d’être jugé hic et nunc et dire, dans le même temps, refuser de
se rendre à l’audience de renvoi prévue dans moins d’un mois. Barthélemy
Dias ne pourra se plaindre que de sa propre turpitude, en refusant
d’aller à l’audience prochaine de la Cour d’appel qui aura à examiner
l’affaire du meurtre par balle du nervi Ndiaga Diouf. C’est dire que la
nouvelle campagne, née sur les réseaux pour supplier Barthélemy Dias de
se rendre à l’audience, apparaît comme cousue de fil blanc. Personne ne
s’y trompe, l’homme cherche à sauver la face, pour se résoudre à se
présenter devant les juges.
Ah, les juges ! Ils
sont de bons juges quand ils rétablissent les listes de l’opposition
lésée par les préfets, et ils sont de mauvais juges quand ils statuent
en faveur du pouvoir !