Mohamed Mbougar Sarr: Le Goncourt de la polémique
Ancien enfant de
troupe dévoreur de livres, devenu écrivain Goncourisé, Mohamed Mbougar
Sarr est célébré en France. Au pays de la Téranga (hospitalité), son
sacre est accueilli dans une atmosphère moins ‘’gay’’, polluée par une
position ‘’tranchée’’ du Diourbelois sur l’homosexualité au Sénégal
affichée sur son précédent livre.
Il
a l’air aux anges mais tente, tant bien que mal, d’inhiber cette
sensation débordante de laisser exploser sa joie. Pour un lauréat du
prestigieux Goncourt, Mohamed Mbougar Sarr est trop serein. Pour un
écrivain qui vient de franchir les portes du Panthéon des illustres noms
de la littérature française, son humilité frise l’indifférence. Normal!
« Une distinction comme le Goncourt est tellement forte et
impressionnante qu’elle vous met dans un état presque second. C’est dans
quelques jours voire quelques mois que je me poserai pour réfléchir sur
ce qui s’est passé », sert-il enfin pour soulager les sceptiques.
Décontracté
dans sa chemise rose et son veston en cuir marron tabac, minois candide
mis en exergue par une coiffure dégradée, les yeux du plus jeune
écrivain Goncourisé (il est le plus jeune lauréat du Goncourt depuis
1976) et le premier en Afrique subsaharienne, s’illuminent sous le feu
des projecteurs. Devant une nuée de micros aux portes de Chez Drouant,
du nom de ce restaurant historique parisien fondée en 1880 et siège des
célèbres prix littéraires Goncourt et Renaudot depuis 1903, le jeune
Diourbelois qui trône sur le toit de la littérature francophone, trinque
à sa propre gloire, une coupe de champagne à sa main droite pincée avec
le pouce et l’index. Le Baol-Baol a bien assimilé les codes de la
bienséance française, dis donc!
Ce
mercredi 3 novembre 2021, sous le ciel d’automne nuageux qui enveloppe
Paris, il est célébré comme un héros par la presse internationale. De
l’autre côté de l’Atlantique, dans son Djollof natal, son succès s’est
hissé au pinacle avant de subitement tomber de haut. Nul n’est prophète
chez soi, s’empresseront sûrement de dire certains. Soit ! Mais, cet
effet boule de neige est suscité par ses positions antérieures sur le
très sensible sujet de l’homosexualité qui lui sont retombées sur le
nez. Et cela de façon assez violente. Un tabou que même le chef de
l’Etat Macky Sall a esquivé devant Barack Obama, alors tout-puissant
président des Etats-Unis d’Amérique, et récemment devant le Premier
ministre Canadien et sponsor attitré de la communauté Lgbt, Justin
Trudeau.
Un Goncourt pas si « gay » que ça !
Mbougar
Sarr, lui, l’aborde de manière assez froide et courageuse. « De purs
hommes » ! Le titre assez provocateur de son précédent livre relate le
sort réservé à un cadavre de « Goor-Jiguen » (homosexuel) traîné hors
d’un cimetière par une foule déchaînée. Une scène devenue banale au pays
de la Téranga. Et la trame de fond de ce roman est partie d’une vidéo
devenue virale au Sénégal.
Cette
fiction romanesque met en scène Ndéné Guèye, un jeune enseignant
exaspéré par l’hypocrisie morale de sa société, notre société sur cette
question taboue. Un roman bouleversant dans lequel l’auteur s’interroge
aux yeux de son héros sur un sujet existentiel : « trouver le courage
d’être pleinement soi, sans se trahir quel qu’en soit le prix ». Un
livre polémique publié en 2018 qui n’a quasiment pas été vendu au
Sénégal et qui vaut d’anathème à son auteur.
Le
retour de flamme inattendu a fini par irradier son nouveau livre, La
plus secrète mémoire des hommes primé au Goncourt dès le premier tour.
Du moins, sous nos cieux où il est voué aux gémonies. Le lauréat du
Goncourt essuie un tir groupé de détracteurs qui lui rappellent sa
posture dans De purs hommes qu’ils perçoivent comme une allégeance à la
fratrie Lgbt. « Au Sénégal, un bon homosexuel est soit caché, soit
drôle, soit mort », une déclaration que beaucoup d’entre eux ne lui
pardonneront. D’autres comme Jamra trouvent louche le choix porté sur
Mohamed Mbougar Sarr devenu le premier subsaharien à décrocher le
prestigieux prix devant de grands noms de la littérature africaine tels
que : Cheikh Amidou Kane, Amadou Hampaté Bâ, Cheikh Anta Diop.
«
Aucun de ces prestigieux auteurs littéraires subsahariens n’a jamais eu
l’heur de bénéficier de cette prestigieuse et plus ancienne distinction
littéraire francophone. Pas même cet auteur que ses contempteurs
contemporains considéraient comme ‘le plus Africain des Français et le
plus Français des Africains’, Léopold Sédar Senghor », fait remarquer
Mame Makhtar Guèye.
Même
dans son nouveau livre La plus secrète mémoire des hommes, les vigies
autoproclamées de la société sénégalaise lui cherchent des noises. Il
lui est reproché la crudité de son verbe, son caractère impudique. Un
style d’écriture totalement cash qui, pourtant, jure avec le caractère
très simple et un chouïa timide de Mbougar. En réalité, l’écriture
semble être un exutoire pour ce jeune, 31 ans (né en 1990), qui se lâche
quand vient l’heure de tremper sa plume dans l’encre pour dépeindre sa
société, ses convictions et ses pulsions.
Enfant de troupe, meilleur élève du Sénégal en 2009
Recouvrant
ses esprits dans son appartement parisien, après « ce tourbillon
médiatique », Mohamed Mbougar Sarr répond à ses détracteurs. « Ce que
dit une œuvre dépasse toujours ce dont elle parle, son sujet apparent.
Je suis un écrivain et je tente de faire mon travail. Et cela parfois
peut entraîner des malentendus, des incompréhensions ou des réactions
qui sont vives suite à des choses que j’aurais pu écrire. Moi je demande
toujours qu’on lise ce qui est écrit et qu’on sache lire aussi. Savoir
lire c’est aussi quelque chose qui s’apprend », lance-t-il d’emblée.
Malgré
la virulence des critiques, il préfère voir le bon côté des choses. «
Je respecte toutes les opinions tant qu’elles s’expriment dans le
respect et la liberté qui est mienne d’écrire, mais celle qu’ont les
autres de faire leurs critiques. Mais que la critique fait l’effort
d’être le plus juste possible. J’ai eu un très beau prix qui a rendu
très heureux beaucoup de gens. C’est la joie, je pense, qui doit
l’emporter. Mais si la joie ne l’emporte pas, ce n’est pas, non plus,
grave. En ce qui me concerne, en tout cas, la vie continue et
l’écriture, pour moi, va continuer », rembobine l’écrivain à la
trajectoire assez fulgurante.
En
quittant le très sélectif Prytanée militaire Charles N’tchoréré de
Saint-Louis en 2009 pour poursuivre ses études d’abord en classes
préparatoires à Compiègne dans l’Oise, puis à l’Ecole des hautes études
en sciences sociales (France), Mohamed Mbougar Sarr ne se doutait point
que les planètes s’aligneraient dès qu’il aura décidé d’embrasser une
carrière d’écrivain. Entre son premier livre, Terre Ceinte paru en 2015
alors qu’il n’avait que 24 ans, et son 4e livre La plus secrète mémoire
des hommes (après Silence du chœur 2017 et De purs hommes 2018), il
n’aura fallu que 6 ans à cet ancien « dévoreur de livres » devenu
écrivain prolixe pour mettre le monde littéraire à ses pieds.
Venant
de ce surdoué détecté au concours général 2009 lors duquel il décroche
le titre de meilleur élève du Sénégal dix ans avant une certaine Diary
Sow, cela n’étonne guère. L’enfant de troupe avait décroché le premier
prix en Philosophie et en histoire, ainsi que le 2e prix de géographie. «
Je vais emprunter quelques mots à Aimé Césaire qui disait : ‘faites-moi
rebelle à toute vanité mais docile à son génie’. Juste pour dire que je
suis très content, mais je ne me glorifie pas pour autant »,
déclarait-t-il après avoir reçu cette distinction du concours général en
2009. On comprend maintenant après cette déclaration le détachement
avec lequel il célèbre le Goncourt.Un rêve de Footballeur tombé à l’eau
Le
Goncourt, Mbougar Sarr l’aurait troqué contre un ballon d’or France
Football, il y a quelques années. Le milieu de terrain tombé sous le
charme de la bande à El Hadji Diouf après l’épopée de 2002, rêvait d’une
carrière de footballeur. Il avait également voulu marcher sur les pas
de son médecin de père. Mais la littérature à laquelle il voue un amour
profond en a décidé autrement.
«
L’encadrement a été très facile pour Mohamed Mbougar Sarr parce que
c’est un enfant qui a une bonne éducation », soutient son père qui lui a
inculqué le culte de la réussite. Aujourd’hui, la seule chose qui
vaille pour Mohamed Mbougar Sarr, l’aînée d’une fratrie de 7 garçons,
c’est de « donner le meilleur exemple qui soit à mes (ses) frères ».