Au Rwanda, Kigali se rêve en ville verte
La capitale, qui dispose d’un système de vélos en
libre-service depuis début septembre, est la vitrine des ambitions du
régime de Paul Kagame en matière environnementale.
Placide
essuie la sueur de son front. « Cela m’aurait pris plus d’une heure de
faire ce trajet en bus. Mais là, en vélo, je n’en ai eu que pour vingt
minutes », lâche ce jeune commerçant rwandais en descendant d’une
bicyclette flambant neuve. Roues vertes et guidon jaune : la start-up
Guraride a choisi les couleurs du drapeau du Rwanda pour ses vélos en
libre-service, disponibles à Kigali depuis début septembre.
C’est
dans ce petit pays vallonné d’Afrique centrale que l’entrepreneur
nigériano-américain Tony Adesina, déjà à l’origine de deux entreprises
spécialisées dans l’écomobilité et basées au Rwanda, a décidé de lancer
son nouveau projet destiné à réduire l’utilisation des transports
polluants.
Et
pour cause : dans une région où les centres urbains sont souvent
exclusivement réservés aux voitures, Kigali fait figure d’exception. «
Le Rwanda fait beaucoup d’efforts en termes d’infrastructures pour les
cyclistes. Le pays est prêt à adapter ses politiques et mettre en place
les mesures nécessaires pour le bon fonctionnement d’initiatives comme
celle-ci », affirme Jerry Ndayishimiye, directeur marketing de la
start-up.
Certains
des grands axes du centre-ville de Kigali ont en effet été récemment
doublés de pistes cyclables. Au total, la mairie assure travailler sur
un réseau de 17 kilomètres à travers la capitale. Le pays a également
mis en place des incitations économiques pour attirer les entreprises
dans le secteur des « transports verts » : exemption de taxe à
l’importation de matériel pour véhicules électriques, taux d’imposition
préférentiels ou encore réduction de frais d’électricité.
Kigali, vitrine des ambitions du régime
Aujourd’hui,
Guraride n’en est qu’à ses débuts : un peu moins d’une centaine de
vélos sont disséminés sur treize stations dans la ville. Mais Tony
Adesina assure que l’application a déjà été téléchargée près de 9 000
fois et qu’elle enregistre en moyenne 180 trajets par jour.
Reste
à savoir si son modèle économique sera viable : le service est pour
l’instant gratuit pour attirer le plus de clients possible et la
start-up assure ne pas avoir encore défini les prix de la location. Elle
est en tout cas soutenue par la mairie, partenaire du déploiement des
vélos. « Guraride correspond à notre projet de ville technologique,
écologique, où il fait bon vivre », assure ainsi Pudence Rubingisa, le
maire de la capitale rwandaise.
En
effet, Kigali est devenue une véritable vitrine des ambitions du régime
de Paul Kagame en matière de climat. Le président rwandais,
régulièrement épinglé par les organisations de défense des droits
humains, n’en porte pas moins un audacieux projet de protection de
l’environnement et de réduction des gaz à effet de serre.
Le
pays est le premier du continent africain à avoir déposé, en mai 2020,
sa deuxième contribution nationale à l’Accord de Paris auprès de la
Convention cadre des Nations unies sur le climat. Il s’y engage à
réduire ses émissions de CO2 d’au moins 16 % d’ici à 2030.
Devenir « le joyau du pays »
Un
dimanche matin sur deux, plusieurs kilomètres de routes de la capitale
sont fermés à la circulation. Ces « journées sans voiture » sont
particulièrement appréciées des classes aisées de Kigali qui viennent
faire du jogging, de la marche rapide ou du vélo sur ces axes. Le
président et la première dame se prêtent régulièrement à l’exercice.
Dernièrement,
la mairie a également entrepris de rénover la zone piétonne du
centre-ville, où les citadins peuvent maintenant profiter du Wi-Fi
gratuitement sur des bancs installés à l’ombre de palmiers. « C’est
vraiment beau. Pourvu que cela nous ramène plus de clients et nous
permette d’augmenter notre chiffre d’affaires », dit Joshua, qui vend
des habits au coin de la rue. En attendant, « plus la ville se
transforme, plus les prix des loyers montent. Et, pour l’instant, nos
recettes ne se sont pas vraiment améliorées. Donc nous espérons que cela
va bientôt changer », souffle-t-il.
Le
plan directeur de transformation de Kigali d’ici à 2050 soulève des
inquiétudes quant à une exclusion des populations les plus pauvres de la
nouvelle capitale rwandaise, dans un pays classé, en 2020, à la 160e
place sur 189 en termes d’indice de développement humain par le
Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
«
Kigali est devenue une image de marque destinée à être le joyau du pays
», estime Benjamin Michelon, consultant pour la Banque mondiale et
auteur d’une thèse sur la mutation des capitales rwandaise et
camerounaise (Yaoundé). « La ville s’est transformée d’une manière
formidable, à une vitesse jamais vue ailleurs en Afrique, décrit-il.
Mais cela a aussi des conséquences sur la population. Certains quartiers
ont été complètement rasés, leurs habitants relégués dans des zones
périphériques où ils perdent le lien économique et social. »
Fin
2019, une vaste opération d’évacuation et de destruction d’habitations
dans Kigali avait fait polémique, certaines personnes expulsées
dénonçant des problèmes dans les indemnisations. La mairie avait, de son
côté, expliqué que ces constructions se trouvaient sur des zones
humides avec des risques élevés d’inondation.
Le
gouvernement rwandais se défend de vouloir mener une politique
d’urbanisation verte aux dépens des plus pauvres. En témoigne son projet
« Green City » qui prévoit la construction d’un quartier 100 %
écologique dans la périphérie de Kigali. Outre le recours aux énergies
renouvelables, la mise en place de systèmes de recyclage des déchets et
l’usage de matériaux respectueux de l’environnement, cette future ville
nouvelle est censée s’adresser à tous les Rwandais, y compris les plus
modestes. Des logements abordables doivent leur être proposés, assortis
d’une politique de prêts innovants. Reste que cette cité verte, annoncée
mi-2019, est toujours largement en friche aujourd’hui.