EMMANUEL MACRON-ASSIMI GOÏTA : L’escalade lourde de périls
Loin des flonflons du Sommet de Montpellier, résonnent des bruits inquiétants, bougent dangereusement des lignes et, surtout, se multiplient des péripéties peu rassurantes pour l’avenir des relations franco-maliennes.
Le
diplomatique duel à fleurets mouchetés (phrases-chocs de Choguel Maïga,
phrases furieuses d’Emmanuel Macron et convocation rapide de
l’ambassadeur de France à Bamako) cède la place aux offensives secrètes
(déstabilisatrices) de la France et à la parade adaptée de la Junte du
Colonel Assimi Goïta et de ses supporters présents et vigilants dans
certains segments de la population.
Entre le Mali de la Junte de Kati-Koulouba et le locataire de
l’Élysée, il n’existe désormais que le pont de l’aversion. Les faits
avant-coureurs d’une lutte à mort sont, à la fois, affichés et
camouflés. La partie visible de l’iceberg est meublée de charges
verbales par lesquelles, chaque orateur brûle tous ses vaisseaux et
ferme les portes d’un retour éventuel vers des relations normales, à
fortiori cordiales ou amicales.
Lorsque le Président Emmanuel Macron dit que « cette équipe de Bamako
n’est pas un gouvernement », il atteint le double pic de l’hostilité et
de l’hystérie. Question découlant de l’assertion du chef de l’État
français : pourquoi accréditer ou maintenir alors un ambassadeur auprès
d’un Président fantôme, d’un Premier ministre fantôme et d’un
gouvernement introuvable au Mali ? Son Excellence, Joël Meyer, a ses
interlocuteurs au Palais de Koulouba ou au marché de Dabanani ? Cette
colère extrême est évidemment le parfait baromètre des plans ou des
préparatifs de la France contre Assimi Goïta et le noyau dur de Colonels
aux commandes de l’armée et du pays.
Pourtant, le gouvernement (réel) formé à Ndjamena et le gouvernement
en voie de formation à Conakry sont ceux de deux régimes non issus des
urnes ou des dispositions constitutionnelles mais nés des baïonnettes.
Baïonnette fascinante par-ci, baïonnette sinistre par-là ! Le régime
tchadien est tellement convenable et fréquentable que le Premier
ministre français, Jean Castex, lui a récemment rendu visite. La
politique de la France en Afrique, c’est davantage Talleyrand que
Descartes. La logique étant le cadet des soucis de Paris au Sahel.
Quant à la partie immergée du bras de fer entre la France et le Mali,
elle renvoie à des faits récents et en cascade qui troublent les
milieux bien informés et sèment des interrogations porteuses de
cauchemars pour le futur immédiat. Tout se passe comme si on veut
déboulonner net et vite le Président de la Transition. Jugez-en ! Il y a
quelques jours, une dizaine de militaires sont arrêtés dans la garnison
de Kati, donc au cœur du dispositif de sécurité de la Junte.
L’information, initialement bien verrouillée, est fuitée par l’activiste
Adama Diarra alias « Ben le Cerveau ». Un animateur enflammé du groupe
dit « Debout sur les remparts » qui est catalogué comme le confident
d’un ou de deux membres influents de la Junte.
Cette arrestation de la dizaine de soldats a-t-elle entrainé
l’interpellation du Colonel-major Kassoum Goïta (à ne pas confondre avec
Assimi Goïta), ancien directeur de la Sécurité d’État débarqué au
lendemain de l’éviction de l’ancien Président Bah Ndaou et de son
Premier ministre Moctar Ouane ? En tout cas, le Colonel-major Kassoum
Goïta est, aujourd’hui, écroué. Du coup, ce sont trois ex-directeurs des
Services de renseignements du Mali (Soumeyla Boubèye Maïga, le Général
Moussa Diawara et le Colonel-major Goïta) qui sont emprisonnés, en
l’espace de quelques mois, par la Junte. C’est un fait sans précédent
dans les annales de l’Histoire politico-sécuritaire du Mali.
Mais le summum du trouble est atteint avec et par ce fait insolite
voire explosif que les habitants de Kati ont observé avec frayeur. Deux
véhicules bourrés de militaires européens de l’EUTM (la Mission de
Formation de l’Union Européenne au Mali) ont stationné longuement devant
la résidence du Ministre de la Défense, le Colonel Sadio Camara.
L’homme qui a accueilli avec ferveur les hélicoptères et instructeurs
russes. La présence prolongée des deux véhicules a intrigué et alarmé
les habitants favorables à la Junte. Lesquels ont encerclé les soldats
européens et précipité leur fuite. Que faisait l’EUTM à Kati ? Était-on
en attente d’une mutinerie programmée pour mieux la coordonner ?
Mystère.
Comme on le voit, l’escalade entre Macron et Goïta emprunte
visiblement des pistes périlleuses qui peuvent déboucher sur les options
les plus tentantes mais, aussi, les moins contrôlables en termes de
répercussions ou d’ondes de choc lointaines. L’équation est, en effet,
très ardue. Des parachutistes français de Barkhane – aux yeux bleus et
aux cheveux blonds – ne peuvent pas donner l’assaut simultanément à Kati
et à Koulouba, soixante après les indépendances. Un tel mandat ne peut
être octroyé ni par les Nations-Unies (la Russie est membre permanent du
Conseil de sécurité) ni accordé par la CEDEAO.
Au demeurant, si
Emmanuel Macron franchissait le Rubicon de cette façon-là, les opinions
publiques d’Afrique et les populations du Mali s’insurgeraient. Autre et
immédiate conséquence : l’armée malienne se briserait en mille
morceaux. Le prétexte aurait été bien trouvé si le Colonel Assimi Goïta
avait été candidat malheureux et usurpateur de la victoire. Au Mali, on
n’est pas dans le cas de figure ivoirien de 2011 marqué par le refus de
Laurent Gbagbo ; encore moins dans le contexte gambien de 2017 ponctué
par la volte-face de Yaya Jammeh.
Il s’y ajoute qu’au plan domestique, tout le vivier d’hommes
politiques estampillés « amis de la France » est vidé soit par la fuite
en exil, soit par les emprisonnements massifs. Reste la carte habituelle
du cheval de Troie, c’est-à-dire le « traitre » longtemps glissé et
jamais identifié dans les entrailles de la Junte. Sur ce point précis,
le trio de Colonels putschistes (Goïta, Koné et Camara) semble avoir
pris ses dispositions. Précisément, ce sont cette hantise et cette
perspective qui, entre autres motifs, expliquent l’accélération des
contacts avec les mercenaires russes de WAGNER. Enfin, signalons que
tous les spécialistes du Mali et de sa crise, sont convaincus qu’une
chute violente et sanglante de la Junte de Goïta creuserait la tombe de
l’État malien. Ce qui exporterait la tragédie humaine au Sénégal (des
millions de réfugiés en provenance de Kayes), laisserait le barrage
hydroélectrique de Manantali à la merci des djihadistes et, in fine,
répandrait l’insécurité en direction des sept pays frontaliers du Mali.
Heureusement que les lignes n’ont pas bougé exclusivement vers les dangers ou les périls. La religieuse et otage Gloria Cecilia Narvaez a été libérée par ses ravisseurs du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) de l’islamiste touareg Iyad Ag Ghali, « grâce aux efforts conjugués de plusieurs Services de renseignements » selon la terminologie officielle. En vérité, c’est le DRS algérien qui est le maître d’œuvre de cette libération, en liaison avec la Sécurité d’État du Mali et deux autres services du G5 Sahel. Libération intervenue, quelques heures après le séjour à Bamako, du Ministre algérien Ramtane Lamamra. La Colombie, pays natal de la sœur Gloria Cecilia n’a cessé de jouer sa partition. Bogota avait décidé de dépêcher à Bamako, un embryon de Forces spéciales colombiennes commandées par l’officier Fernando Murillo. Cet officier du Renseignement militaire colombien qui a fait récemment des va-et-vient entre Alger et Bamako.