Film Eiffel, l’histoire d’amour derrière cette grande tour : Entretien avec Martin Bourboulon, Réalisateur
Venant tout juste de terminer sa collaboration
sur la Statue de la Liberté, Gustave Eiffel est au sommet de sa
carrière. Le gouvernement français veut qu’il crée quelque chose de
spectaculaire pour l’Exposition Universelle de 1889 à Paris, mais Eiffel
ne s’intéresse qu’au projet métropolitain. Tout bascule lorsqu’il
recroise son amour de jeunesse, Adrienne Bourgès. Leur relation
interdite l’inspire à changer l’horizon de Paris pour toujours. C’est
cette histoire d’amour qui est relatée dans le film « Eiffel » dont la
sortie est prévue ce 15 Octobre à Dakar. Il est réalisé par Martin
Bourboulon. Une grosse production cinématographique pour la France qui a
été projetée pour la presse récemment au Centre Cinématographique
Sembene Ousmane. Voici un entretien avec le réalisateur.
Quand et comment vous retrouvez-vous aux commandes d’EIFFEL ?
La
longue histoire d’EIFFEL débute il y a plus de 20 ans. On doit l’idée
du film et le scénario original à Caroline Bongrand. Au fil du temps,
plusieurs versions sont écrites. Pour ma part, j’arrive sur ce projet en
2017 lorsque je rencontre la productrice Vanessa van Zuylen. Je flashe
immédiatement sur l’ambition de ce projet : raconter une grande histoire
d’amour romanesque sur fond de construction de la Tour Eiffel. Nous
avons retravaillé le scénario original avec Caroline Bongrand et Thomas
Bidegain, avant que n’interviennent plus tard Tatiana de Rosnay, qui
apportera l’idée de la construction du récit en flashbacks et Natalie
Carter.
Quelle ligne de conduite vous donnez-vous avec vos co-auteurs ?
Celle
de proposer le plus généreusement possible le spectacle d’une grande
histoire d’amour croisée avec un film d’aventures, autour de la
construction d’un des monuments les plus connus au monde. Tout le
travail au scénario – puis à la réalisation et au montage – a consisté à
veiller à ce que ces deux histoires se nourrissent l’une de l’autre en
permanence, tout en respectant les balises de la réalité. La force du
cinéma tient dans sa capacité à se glisser dans ce que l’histoire ne dit
pas et à offrir une matière romanesque puissante en développant une
hypothèse : Eiffel aurait décidé de construire cette tour dont il ne
voulait pas au départ, dans un geste d’amour pour Adrienne. Nous avions
tous envie d’un grand film spectaculaire et populaire avec un moteur
émotionnel puissant.
Le casting se construit en parallèle de l’écriture ?
Même
avant dans le cas de Romain Duris ! Il est le seul que j’ai eu en tête
pour le rôle de Gustave Eiffel et à qui j’ai fait lire le scénario. Il
correspondait exactement à l’ambition de modernité que je souhaitais
insuffler à ce projet. Romain a quelque chose de très ambivalent en lui ;
il est rock et moderne dans sa gestuelle comme dans sa manière de se
mouvoir dans l’espace, mais porte aussi magnifiquement le costume
d’époque. Il a quelque chose de très roman[1]tique que je souhaitais
aussi pour cette histoire d’amour, et il sait tout jouer ! Pour moi, il
cochait toutes les cases.
Comment est née l’idée de l’associer avec Emma Mackey pour créer ce duo inédit à l’écran ?
C’est
Vanessa van Zuylen qui en a eu l’idée en la découvrant dans la première
saison de Sex Education. Avec cette série et la force de Netflix, Emma
était déjà connue dans le monde entier… Mais son visage hors Sex
Education, n’est pas forcément identifié par le plus grand nombre en
France. On ne pouvait rêver mieux pour personnifier le mystère qui
devait entourer Adrienne. Emma a beaucoup de talent, un sens du jeu et
de la situation toujours juste, et instinctif. Avec sa présence, l’idée
de modernité que j’évoquais prenait de plus en plus corps.
Pourquoi avoir choisi de faire appel à Matias Boucard pour la lumière d’EIFFEL ?
J’avais
beaucoup aimé son travail sur L’AFFAIRE SK1 – cette photo un peu
déstructurée en 16mm – comme sur L’ODYSSÉE avec une dimension plus
épique, sans compter tout ce qu’il fait en publicités, et ses
expériences de tournages multiples. Je notais surtout une grande
capacité à travailler une lumière en fonction du sujet du film, en
trouvant toujours le ton juste.
Comment avez-vous construit ensemble l’univers visuel du film ?
Il
m’a tout de suite parlé des PORTES DU PARADIS de M. Cimino et de THERE
WILL BE BLOOD de P.T Anderson. Une image très texturée avec du grain qui
assume le fait que cette histoire soit un film d’époque mais sans
chercher à faire les bons élèves. Ne pas chercher absolument à être
histori[1]quement collé à l’époque, mais rester toujours vraisemblable
et vivant. On a pris des libertés sans pour autant, je pense, choquer
l’œil du spectateur. Pour les costumes par exemple, il n’y a pas
d’anachronisme mais une manière de porter l’habit qui n’est pas
forcément celle de l’époque. Je tenais par exemple lorsque Eiffel
harangue la foule, qu’il soit chemise ouverte et le col relevé. Cela lui
allait mieux, il était plus héroïque, et aussi plus sexy ! Je pense que
dans la réalité, Eiffel était dans un uniforme plus guindé… Se pose
aussi le défi de la représentation de la Tour Eiffel…
Y avait-il des scènes que vous étiez particulièrement impatient de tourner ?
J’étais
heureux par avance de me confronter à quelque chose d’inédit pour moi :
les scènes de sentiments intimes. Plus que la technique et l’enjeu de
certains plans en mouvement compliqués, j’étais impatient de tourner la
séquence où Eiffel est envahi par une émotion, simplement en regardant
une photo. Venant de la comédie, le défi de la mise en scène et la
difficulté de faire passer cette émotion au spectateur dans une séquence
silencieuse m’attirait beaucoup.
Le montage a duré 36 semaines. Qu’est-ce qui le rend si compliqué ?
Cela
a été difficile de trouver la structure et le juste équilibre entre les
diffé[1]rentes périodes de l’histoire d’amour et la construction de la
Tour. Le scénario est un document qu’il faut savoir oublier pour
réinventer une autre écriture. On avait de belles images, des acteurs
magnifiques, des scènes très réussies mais l’histoire ne fonctionnait
pas encore, la magie de l’émotion n’était pas encore assez présente. Ce
fut un travail très long et très coopératif avec Valérie Dessine, la
monteuse du film. Vanessa van Zuylen, Ardavan Safaee et Marie De
Cenival, se sont montrés très disponibles durant cette période, en
suivant les différentes versions de mon[1]tage. Leur regard frais et
pertinent nous ont aidés à trouver la bonne version, celle dont nous
étions tous heureux et fiers.
C’est pendant ce temps du montage se compose aussi la musique ?
Absolument.
Alexandre Desplat travaillait en parallèle en nous nourrissant de ses
maquettes. Son regard et ses propositions m’ont permis de redécouvrir
différemment certaines scènes du film. Avec la musique, je revoyais le
jeu des acteurs, les cadres avec un œil nouveau. Très vite, il nous a
proposé un thème qu’il a réussi à décliner dans différentes couleurs. Il
a su trouver cet équilibre fragile entre l’intime et l’épique.