Délitement de l’Etat et de la démocratie (Par Moussa Diaw, politologue)
Si l’Etat se définit par le monopole de la violence physique
légitime en se référant à l’auteur, Max Weber, aujourd’hui cet Etat
westphalien, importé de l’Occident et transposé dans des réalités
différentes où ses fondamentaux se sont effrités par des comportements
et pratiques relevant des logiques patrimoniales, se retrouve dans des
contradictions qui bloquent sa fonctionnalité normale. L’exception
sénégalaise s’est volatilisée depuis les événements de mars 2021
démontrant la fragilité de la société politique qui n’a pas réussi à
anticiper sur les demandes sociales et désamorcer du coup la crise dont
les germes sont multidimensionnels. La pire des attitudes est de
sous-estimer des situations annonciatrices de révoltes et de laisser
pourrir en espérant reprendre la main après la tempête. Le constat a été
amer et il semble, au regard des agissements post-turbulences, qu’on
n’ait pas tiré des leçons de cet avertissement dont les racines restent
encore vivantes.
Comment expliquer la régression de l’Etat et de la République?Certes,
les Etats africains sont faibles dans leur fondement en raison de
multiples facteurs variés qui représentent un frein à leur développement
politique, économique et social. Mais, le cas du Sénégal, qui était
souvent cité comme exemple en Afrique, en termes de contrat social, de
stabilité et de démocratie, est rattrapé par la géopolitique régionale
car, à l’épreuve des contingences multiformes, des effets de la
mondialisation, surtout de la pandémie de la Covid-19, sa capacité de
résilience a montré ses limites face à cette double pression. Les
institutions, souvent revues et corrigées, remplissent partiellement
leurs fonctions puisqu’elles apparaissent désincarnées et mises au
service de calculs et d’actions politiques partisanes. Au bout du
compte, le principe de la séparation des pouvoirs demeure un vœu pieux
au-delà des discours d’autosatisfaction des dirigeants, peu enclins à
faire fonctionner de façon judicieuse les organes de contrôle et de
régulation. Le manque de rigueur et de transparence dans la gouvernance
politique et économique contribue à approfondir les dysfonctionnements
qui affectent certaines institutions et leur crédibilité. La perception
d’une justice à deux vitesses peut créer des frustrations faisant le
lit de la violence imprévisible à l’image des manifestations du mois de
mars dernier. Ajoutons à cela, les affaires de blanchiment d’argent et
de trafic de passeports diplomatiques qui ont éclaboussé certains élus
de la représentation nationale. Ainsi, la république, malmenée par des
discours de haine, inadmissibles de la part de certains leaders
politiques, vient d’être confrontée à une rude épreuve fragilisant la
construction nationale. Le silence des autorités instaure davantage un
climat de suspicion et un malaise persistant. De plus, la démocratie
sénégalaise éprouve des difficultés à sortir de l’étau de la
concentration des pouvoirs et des stratégies machiavéliques contre
toutes formes d’opposition, engendrant le raidissement de leaders
supposés porteurs de projets alternatifs. Cette velléité autoritaire
favorise paradoxalement l’émergence d’acteurs d’obédiences diverses
paralysant l’éclosion de la vitalité démocratique et l’exercice de
l’autorité étatique.
L’heure est venue de se
ressaisir et de décloisonner la démocratie en respectant les principes
et les règles établis pour garantir la stabilité de l’Etat de droit, la
cohésion sociale et le « désir de république ».
Moussa DIAW,
Enseignant-chercheur en science politique,
UGB, Saint-Louis