[DOSSIER] Cherté du loyer à Dakar : Un crime CENT coupable (s)
C’est un secret de
polichinelle. A Dakar, le prix du loyer a crevé le plafond de verre
depuis bien longtemps. Et ceci malgré l’entrée en vigueur de la loi
2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse des loyers n’ayant pas été
calculée suivant la surface corrigée. Pourtant, à entendre les acteurs,
on a l’impression que personne n’est coupable, alors que courtiers,
bailleurs et Etat sont tous au banc des accusés.
Le
constat est à la fois unanime et amer pour les ménages. Le loyer coûte
cher au Sénégal, principalement à Dakar. De 2000 à 2009, une
augmentation de presque 50% des loyers a été notée. En novembre 2010,
des députés avaient tiré la sonnette d’alarme, en interpellant le
gouvernement. Ainsi, 34 propositions avaient été émises dans le but
d’endiguer cette hausse. Augmentation de la population dakaroise,
l’exode, l’arrivée des étrangers, l’échec des politiques de régulation,
le ralentissement de la production des logements sociaux (Sicap, Sn Hlm)
entre autres… étaient pointés du doigt pour justifier cette flambée
inacceptable du prix du loyer. Quant aux acteurs, agents immobiliers,
bailleurs, locataires, chacun renvoie la balle à l’autre.
Face
à ce tableau très sombre du reste, Seneweb a essayé d’apporter des
explications à cette problématique de la cherté des loyers tout en
mettant les projecteurs sur les pistes de solutions susceptibles
d’alléger la souffrance des manages durement éprouvés. Vu la complexité
du problème, l’Etat du Sénégal, garant par excellence du mieux-être des
populations, est interpellé au premier chef quant à l’application
effective des textes législatifs et règlementaires afin de réguler le
secteur immobilier devenu une vraie jungle où les plus forts (bailleurs
et courtiers) écrasent sans pitié les plus faibles (locataires).Les solutions proposées par les acteurs …
D’après
les acteurs, l’anarchie a déjà planté ses solides racines dans ce
secteur mais elle est loin d’être indéboulonnable. C’est d’ailleurs la
conviction de Cheikh Coumba Nar Diagne, expert en immobilier contacté
par Seneweb.
«
Je pense que pour réduire le phénomène, il y a lieu de revoir la
méthode de détermination de la valeur locative des immeubles. Fixer un
montant plafond du loyer par m² par rapport à chaque zone déterminée
dans toutes les communes en tenant compte de l’état de l’immeuble
(ancien ou neuf). Donner aux bailleurs la latitude de fixer leurs prix
et permettre aux propriétaires de réévaluer le loyer tous les trois ans
sur la base d’un indice de référence qui sera publié triennalement (3
ans) par l’ANSD », suggère-t-il.
Selon
lui, si malgré la loi de 2014 le loyer ne cesse de monter en flèche,
c’est parce que l’Etat pêche sur le plan du suivi et de la régulation. «
Mettre en place, pour le suivi, une Agence Nationale de Régulation des
Loyers, permettra à l’Etat de mieux contrôler les prix et de pouvoir
faire appliquer les sanctions prévues par la loi en cas de dépassement.
Revoir aussi les textes qui sont épars et inefficaces afin de les rendre
opérationnels et compréhensibles par les populations. Actuellement, il y
a près de 9 textes qui consacrent la surveillance de la hausse illicite
des loyers et les prix continuent de flamber de plus belle »,
constate-t-il.
Du
côté des bailleurs, le discours est tout autre. Même si certains
admettent que le loyer est cher, tous estiment que c’est justifié et les
arguments ne manquent pas. Enseignante à la retraite, Mme Guèye, Fatou
Cissé estime que l’Etat du Sénégal « doit subventionner les locataires
». Ses loyers varient entre 20 000 F Cfa et 100 000 F Cfa. La
septuagénaire qui a construit sa maison à Grand-Mbao, vit de la recette
de ses locations. Mais, elle ne demande qu’une caution de deux mois à
ses futurs locataires là où les courtiers en demandent quatre.
«
Comme en France, l’Etat peut par exemple subventionner les locataires.
Tous les matériaux qui vont à la construction d’une maison ont connu une
hausse, le ciment est passé de 55 000 à 68 000 F la tonne, le mètre
cube de béton varie entre 11 000 et 22 000, les 20m2 de sable sont à 70
000f, le fer de 100 kg à 62 000 f…, tous les prix ont augmenté et
l’Etat ne veut pas que le bailleur augmente le prix de location de son
bien, c’est irrationnel », se plaint-elle.
Si
l’on en croit Mme Guèye, les propriétaires sont confrontés à d’énormes
difficultés. « Je signe avec mes locataires un contrat d’un an
renouvelable mais personne ne renouvelle. Ce sont les courtiers qui
réclament trois voire 4 mois et qui prennent, un mois pour eux. La
caution est souvent consommée par le locataire avant sa sortie, s’il
décide de déménager. J’ai une fois eu un locataire qui a donné une
caution de 2 mois et qui n’est resté qu’un mois dans ce cas-là, je lui
ai remis sa caution d’un mois en espèces. Avant, il y avait la Sicap ou
la Sn Hlm, qui facilitent l’acquisition de logements aux fonctionnaires.
L’Etat n’a qu’à renouveler ce même modèle en allant construire dans les
autres régions des habitats sociaux », propose-t-elle.
Le dépôt de garantie ne peut pas excéder 2 mois de loyer
Bien
que le métier de courtage immobilier ne soit pas règlementé au Sénégal,
certains demandent son assainissement. Dans les normes, le courtier en
immobilier a un pourcentage ou une commission sur la location d’un bien,
immeuble, à usage d’habitat ou commercial. Cependant, depuis un certain
temps, ils font de la surenchère sur les prix de location, vu la forte
demande du moment.
«
Quand un propriétaire-bailleur demande une caution de 2 ou 3 mois,
nous, en tant qu’intermédiaire entre le client-locataire et le bailleur,
nous demandons des fois 3 mois, 4 mois et la caution d’un mois nous
revient. C’est comme cela que nous fonctionnons. Nous aussi, nous
faisons partie de la chaîne. L’Etat n’a pas le droit d’imposer un prix
fixe à un propriétaire, car il n’a pas financé la construction de son
bien», a fait savoir M. Diagne.
Revenant
sur les cautions de 3 à 4 mois exigées par ses camarades, le courtier
de préciser à ce propos : « les gens confondent conditions financières
d’entrée et dépôt de garantie (communément appelé caution). Les
bailleurs demandent en général un terme de loyer (un mois ou un
trimestre), une commission d’agence équivalente à un mois de location et
un dépôt de garantie d’un ou de deux mois, ce qui amène les 3 ou 4 mois
demandés, si le loyer est mensuel. Rien n’empêche à un propriétaire de
le demander. Cependant, légalement, le dépôt de garantie ne peut pas
excéder 2 mois de loyer ».
Rappelant
le décret 77-527 du 23 juin 1977 en son article 7 alinéa 3, il fait
savoir que « le montant du cautionnement et des loyers à verser d’avance
à titre de dépôt de garantie ne peut excéder une somme correspondante à
deux mois de loyer. Rappelons que le dépôt de garantie est affecté aux
frais de remise en état des lieux au départ du locataire, si ce dernier
ne le fait pas lui-même ».
A
la question de savoir pourquoi la location est plus chère en
centre-ville qu’en banlieue, notre expert immobilier apporte des
éclaircissements. «On note l’incidence de la croissance urbaine sur les
valeurs foncières et la formation des prix de l’immobilier. L’occupation
se fait toujours du centre vers la périphérie et des études ont pu
montrer que quand la taille de l’agglomération double, le prix du sol
dans le centre double également, et corrélativement le prix du m²
construit suit », analyse-t-il.
Selon
lui, dès que l’Etat essaye de réguler le secteur par la fixation de
prix, les bailleurs utilisent des subterfuges pour contrecarrer ses
mesures. Et c’est le cas avec la loi de 2014. L’avocat en immobilier
constate que c’est une « mesure salutaire dans un premier temps avec une
tendance baissière du fait de son effet immédiat mais a entrainé par la
suite une situation inflationniste puisque la loi n’a pas été étendue
aux contrats à venir. Ce qui a amené les propriétaires des logements, à
l’entrée en vigueur de la loi, à utiliser de subterfuges pour casser les
contrats et expulser les locataires afin d’augmenter le loyer de
presque 50 à 100% dans certains cas. En plus, les propriétaires des
logements neufs, pour éviter ultérieurement d’être rattrapés par une
mesure législative eurent recours à l’évaluation de la valeur locative
par la méthode des surfaces corrigées, ce qui a fait flamber les prix ».
L’appel au président de la République de l’Association pour la défense des locataires du Sénégal
Président
de l’association pour la défense des Locataires du Sénégal (Adls),
Elimane Sall regrette le manque de soutien et d’engagement des
locataires pour leur propre cause. « Notre organisation a toujours
dénoncé le fait que les locataires soient laissés à eux-mêmes. C’est
pourquoi nous lançons un appel, au chef de l’Etat et au président de
l’Assemblée nationale pour que le travail déjà effectué en commission,
par les parlementaires, soit pris en compte », exige Sall.
Toutefois
précise-t-il : « la loi existe et organise bien ce secteur mais,
malheureusement, les gens ne le savent pas. Même les intellectuels les
plus avertis ne connaissent pas leur droit en matière de location alors
que le droit sénégalais protège très bien les locataires ».
Face
à cette situation, l’association et son président proposent notamment «
une large campagne de sensibilisation afin que les gens se rendent
compte de leurs droits pour pouvoir les défendre ».