Football en Europe : Sur les bancs, les Sénégalais montrent la voie
S’il y a beaucoup de joueurs africains dans les
clubs européens, il est plus rare d’en retrouver comme entraîneurs ou
dirigeants. Il y en a peu mais il y en a. Et ils sont souvent
Sénégalais, comme Mbaye Leye, Omar Daf et Kader Mangane, en attendant
Habib Beye.
Il
est devenu banal dans le football européen d’observer la présence d’une
majorité de joueurs d’origine africaine. La plupart des spectateurs ne
s’y arrêtent même plus. Si le terrain a depuis longtemps adopté la
couleur, les cuisines et le salon (entraîneurs, dirigeants, médias)
demeurent en blanc et blanc. Cela évolue, lentement, notamment dans les
coulisses.
En
Suisse, cette saison, trois des dix clubs de Super League ont confié
l’opérationnel à des dirigeants noirs. Ineos a placé il y a un an
l’Ivoirien Souleymane Cissé au poste de directeur sportif du
Lausanne-Sport. Depuis mai dernier, le Nigérian Seyi Olofinjana occupe
la même fonction à Grasshopper. En Valais, Christian Constantin compte
beaucoup sur Gelson Fernandes, Cap-Verdien de naissance et Valaisan de
cœur, pour apporter un nouveau souffle au FC Sion. A l’étranger, on peut
encore citer le Nigérian Michael Emenalo, ancien directeur sportif de
Chelsea et de l’AS Monaco. Et avant eux le regretté et charismatique
Pape Diouf, ancien président de l’OM.
Creuser son sillon
Les
Africains ont toujours beaucoup de peine à se faire reconnaître comme
entraîneurs en Europe. Lorsqu’ils y arrivent, ils sont souvent
Sénégalais (comme l’était Diouf). Mbaye Leye a été nommé coach du
Standard de Liège, en Belgique, fin 2020. En France, Omar Daf continue
d’imposer sa vision à Sochaux, dans le laboratoire tactique qu’est la
Ligue 2. Kader Mangane, lui, est devenu le coordinateur sportif du
Racing Club de Strasbourg en 2018. Le plus médiatique d’entre eux, Habib
Beye, est le consultant phare de Canal+. L’ancien international (44
sélections avec les Lions de la Teranga) est l’un des dix admis de la
volée 2021-2022 du très sélectif BEPF, le plus haut diplôme d’entraîneur
du football français. A moyen terme, un banc en Ligue 1 est promis à
l’actuel entraîneur adjoint du Red Star (troisième division).
Attaquant
formé en France, mais ayant surtout marqué en Belgique (la Gantoise, le
Standard de Liège, Mouscron), Mbaye Leye (38 ans) a vécu sa carrière de
joueur comme une préparation à celle d’entraîneur. «Il y a des moments
où j’aurais pu signer des contrats plus lucratifs dans le Golfe ou en
Turquie, mais j’ai préféré rester en Belgique toute ma carrière parce
que j’avais la volonté de marquer les gens. Le football, c’est un petit
cercle. Si vous vous éparpillez dans beaucoup de pays, c’est difficile
de revenir.» Celui qui a débuté son mandat au Standard par cinq
victoires en huit matchs sait que son poste de consultant à RTL
(télévision belge) l’a aussi aidé à «partager sa philosophie».
«Je voulais aider le football africain»
Omar
Daf (43 ans) a commencé à passer ses diplômes d’entraîneur dès 2006
lorsqu’il jouait à Sochaux. Après un transfert à Brest, l’ancien latéral
revient terminer sa carrière dans le Doubs en 2012, puis rejoint le
staff technique la saison suivante. Au bout de quelques semaines, il
assure déjà l’intérim. «Le coach a démissionné, alors je reprends
l’équipe. A cette époque je me sentais déjà prêt. Je voulais devenir
entraîneur pour aider le football africain, et le football tout court.
J’ai fait les choses dans l’ordre, je me suis formé pour ça», rembobine
Daf.
En
2013, Hervé Renard reprend l’équipe (qui descendra en Ligue 2) et Omar
Daf continue sa formation de coach. Après un autre intérim en 2015, il
prendra finalement les rênes de son club de cœur fin 2018. Aujourd’hui
en Ligue 2, il compte parmi ces coachs qui ont choisi de faire pratiquer
un football offensif à leur équipe. «La tactique est importante. Mais
le métier a tellement évolué, ce métier, c’est aussi faire progresser
les joueurs, comprendre le management et l’approche psychologique. Etre
un entraîneur moderne, c’est d’abord être complet, ce que j’essaie
d’être.»
Kader
Mangane est coordinateur sportif au Racing Club de Strasbourg, où il
facilite le quotidien des joueurs du groupe et accompagne les jeunes
formés au club. Et comme ses compatriotes, l’ancien central se forme, au
Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges, pour
continuer d’avancer. Habib Beye officie dans la lumière à la télévision
où, comme Mbaye Leye, il exprime une pensée tactique et ses idées de
football offensif. Il travaille aussi dans l’ombre pour entraîner un
jour. «Je ne suis pas prêt, je suis en formation, dans l’apprentissage
de ce métier», disait-il au micro de la chaîne L’Equipe l’an passé.
«On est très peu nombreux»
Avant
d’être un tacticien sur le pré, Mbaye Leye l’est dans la coulisse. A
l’automne 2020, il refusait de devenir l’entraîneur des M21 du Standard.
Il rêvait de l’équipe première. «C’est sûr, j’aurais pu rester un,
deux, cinq ans sans offre, mais j’avais la conviction que je pouvais
réussir comme entraîneur principal, c’était ma voie», glisse-t-il,
sibyllin. Le 30 décembre, il devenait le coach principal des «Rouches».
Un pari osé sur un marché où les postes sont rares, d’autant plus quand
on a la peau noire. «Le fait de diriger, de donner des ordres, ne dépend
pas de ta couleur de peau, corrige Leye. Exécuter, tout le monde sait
le faire, le Blanc comme le Noir. Mais diriger, il faut se former et
développer ces aptitudes.»
«Quand
on compare le nombre de grands joueurs africains, et le nombre
d’entraîneurs ou de dirigeants, on se rend compte qu’on est très peu
nombreux», constate Omar Daf. Leye, Daf ou Mangane ont nourri leur
ambition de volonté pour arriver à leur place, et s’y sont préparés,
mais leur parcours sur le terrain les y a aidés. Ils défendent encore
aujourd’hui les couleurs de leur club de cœur respectif, où ils ont pu
se faire connaître et apprécier. «Au Standard, les gens me connaissent,
ma couleur de peau n’a pas été importante dans mon recrutement, affirme
Mbaye Leye. Je n’aime pas cette connotation d’entraîneur noir, parce que
je suis avant tout un entraîneur pour qui quand ça marche bien, c’est
cool, et qui se fera virer comme les autres quand ça ira moins bien.»
En
fin de contrat en juin 2021, Omar Daf a été prolongé jusqu’en 2023 par
Sochaux, un club où il a passé plus de vingt ans. Peut-être un indice
pour le premier club de Habib Beye, ancien joueur de Strasbourg et de
l’OM.