MALI-France : Mercenaires d’hier et d’aujourd’hui
L’arrivée probable voire prochaine des paramilitaires ou mercenaires russes dans le merdier malien plafonne la colère de la France. Le niveau élevé de l’énervement français et l’ampleur surprenante de la mobilisation diplomatique (communiqué désapprobateur de la CEDEAO et interview agressive du Ministre des Affaires Étrangères du Niger) traduisent une fièvre sans précédent dans les relations bilatérales franco-maliennes et dans l’ambiance politico-stratégique au sein du G5 Sahel très arrimé à la France.
Passons
à la loupe l’événement, sans détacher les yeux du rétroviseur,
c’est-à-dire de l’Histoire récente ! S’il y a un pays mal placé pour
s’offusquer de la balade sanglante de mercenaires en Afrique, c’est bien
la France. Le Président Emmanuel Macron est jeune, mais de nombreux
chroniqueurs africains sont de vieux et vivants témoins des séquences du
film de la décolonisation, de la néo-colonisation et de la libération
inachevée de l’Afrique. Comme dirait Amadou Hampaté Ba : « Toutes les
bibliothèques n’ont pas brûlé ».
N’est-ce pas la France qui a inauguré l’ère des mercenaires dans la
déstabilisation de l’Afrique ? Le nom du tristement célèbre Bob Denard
est emblématique de cette période ponctuée de secousses. Les mercenaires
français (sous la conduite de Bob Denard) ont franchi le double mur du
son de la normalité universelle et du Droit international, en opérant
deux coups d’État aux Comores, en août 1975 et en mai 1978. Dans la
foulée, le mercenaire Bob Denard est resté, durant onze ans, le
Proconsul et le co-Président des Comores, aux côtés de son ami puis
victime Ahmed Abdallah. Durant tout ce temps, la France est restée
indifférente à l’indignation rugissante de l’OUA.
Collons encore au rétroviseur ! En 1960, quelques jours après la
proclamation de l’indépendance du Congo-Léopoldville (actuelle RDC), le
richissime homme d’affaires Moïse Tschombé décrète la sécession de la
province la plus riche du pays : le Katanga. Les mercenaires de tout
acabit accourent, notamment les chiens de guerre belges et Français.
Extraits de l’entretien entre le Général De Gaulle, Président de la
France et le Général Grossin, Directeur du SDECE, à cette époque. De
Gaulle : « Ce jeune homme du nom de Tschombé est intéressant… » Général
Grossin : « Oui, oui mon Général » ; De Gaulle reprend : « Il faut
l’aider alors… » ; Général Grossin : « C’est ce qu’on est entrain de
faire mon Général » ; De Gaulle conclut : « Ah, c’est bien, très bien…
».
Tellement bien et très bien que l’aide française à la rébellion
katangaise a culminé avec l’arrivée du Colonel Roger Trinquier (retraité
de l’armé française et mercenaire sous contrat) à la tête de la fameuse
Gendarmerie katangaise très mouillée dans l’élimination de Patrice
Lumumba. Après, le Katanga, les mercenaires français ont débarqué au
Biafra, en 1967, pour épauler la sécession du Colonel Ojukwu. À la
manœuvre depuis Libreville, l ‘ambassadeur atypique de France au Gabon,
Maurice Delaunay. Le but de la France et les méthodes des mercenaires
figurent dans le livre de Pierre Péan, intitulé : « Affaires africaines
».
Mémoire sélective : les mercenaires d’hier sont volontairement
oubliés, les mercenaires d’aujourd’hui sont bruyamment stigmatisés. Bien
entendu, aucun Africain avisé ne se fera l’avocat enflammé de la
présence des mercenaires russes de WAGNER au Mali. Car, l’Afrique a
tellement souffert des agissements de mercenaires européens (le Français
Bob Denard et le Belge Jean Schramme) que le vœu le plus ardent de tous
ses fils, est de vite célébrer la messe de requiem des éléments armés
et irréguliers de tout poil, sur place ou en route vers le continent.
D’abord, la pleine souveraineté et la réelle sécurité ne se
sous-traitent pas. Ensuite, feu le Président Sékou Touré l’a bien dit : «
Changer de maître, ce n’est pas se libérer ». D’un point de vue
sécuritaire comme sous l’angle politique, une armée étrangère et une
troupe de mercenaires sont peu désirées ou prisées. Toutefois, le Mali
est dans une urgence de sauvegarde nationale. C’est le tout-faire pour
ne pas disparaître de la carte. Surtout que le dilemme est digne de
Corneille pour le gouvernement de Bamako : choisir entre l’allié
français qui ampute le territoire (le brouillard statutaire de Kidal
verrouillée par la France et la MINUSMA) ; et l’assaillant djihadiste
qui coupe les mains au nom de la Charia.
Reste donc la firme de mercenaires WAGNER. Elle est hideuse mais
précieuse pour les Colonels de Bamako qui savent que tout ce qu’un fusil
fait, un autre fusil peut le défaire. Après avoir éjecté le Président
Bah Ndaou, le Premier Mocktar Ouane et le Général Doucouré (un aviateur
formé à la Flèche et catalogué pro-français), les jeunes et russophiles
Colonels de Kati et de Koulouba cherchent une assurance-vie et de longue
vie politique à travers WAGNER. Le seul bouclier capable de les placer
hors de portée d’un mauvais coup… téléguidé.
À cet égard, qui peut sermonner les dirigeants actuels du Mali ? Tout
le monde, sauf le Ministre des Affaires Étrangères du Niger, Hassoumi
Massoudou. « Faute de grives, on mange des merles » dit l’adage. Sans le
reliquat (des centaines de soldats) du Bataillon tchadien retiré de la
zone des trois frontières et l’escadrille de Mirage français stationnée à
Niamey, le régime de Bazoum serait balayé par une armée truffé de
Djerma et commandée par des Djerma. À défaut de grives françaises et
tchadiennes, les Colonels maliens se contentent de merles russes.
Quant à la CEDEAO, elle fut joyeusement silencieuse ou heureuse en
silence, lorsque le gouvernement Sierra-Leone fit appel, dans les années
90, à l’efficace firme de mercenaires sud-africains, Executive
Outcomes, pour enrayer les offensives rebelles du RUF de Foday Sonko,
allié de Charles Taylor du Liberia. Et, surtout, pour sécuriser les
mines de diamants de Kono.
Par Babacar Justin Ndiaye