Alpha Condé, chronique d’une chute annoncée (Par Tierno Monénembo)
CHRONIQUE. Très
critique envers le président déchu, notre chroniqueur alertait depuis
des années sur les dérives autoritaires du régime en place.
Ah,
le lamentable sort où conduisent la bêtise et l’entêtement ! Alpha
Condé est donc tombé, victime de ce qu’il est convenu d’appeler le virus
du troisième mandat. Celui que les cabinets de communication parisiens
appelaient sans peur du ridicule le « Mandela de la Guinée » a mordu la
poussière pour avoir bravé le bon sens et la raison. Seulement, rien ne
dit que les insoutenables images de sa chute serviront de leçon aux
Alpha Condé en herbe qui rêvent d’escalader les rives escarpées de la
mégalomanie.
Alpha Condé se rêvait en « Mandela d’Afrique de l’Ouest »
Les
dieux de la politique sont pires que Jupiter : ils rendent absolument
fous ceux qu’ils veulent perdre. Et malheureusement, l’Histoire, ce
« total des choses qui auraient pu être évitées » (K. Adenauer) ne servira
jamais de leçon. Alpha Condé ne pouvait éviter ce qui vient de lui
arriver. On a même l’impression qu’il a remué ciel et terre pour
s’attirer les foudres des Guinéens. Alors qu’il avait été lu en 2010
dans des conditions plus que douteuses, ceux-ci lui avaient néanmoins
accordé le bénéfice du doute au motif qu’il avait refusé de se mouiller
avec les régimes de Sékou Touré et de Lansana Conté. On pensait à tort
qu’il se serait surpassé pour asseoir sa légitimité, que sa virginité
politique servirait de tremplin pour un nouveau départ ; pour une Guinée
nouvelle, ayant définitivement rompu avec ses vieux démons (la haine,
les discours faciles, la misère et la répression). Mais non, cet homme,
sur tous les plans, a agi en deçà de ce qu’on attendait de lui. Jamais
peut-être président africain ne s’est montré aussi décevant.
Dix ans de gabegie
Le
bilan économique et social s’avère particulièrement maigre en dépit
d’une légère amélioration de la desserte en électricité. Et pourtant, la
Guinée, qui n’exportait que 10 000 000 de tonnes de bauxite à son
arrivée au pouvoir, en exporte aujourd’hui 80 000 000. Un accroissement
de 70 000 000 ! Où est parti cet argent ? Cet ancien dirigeant de la
FEANF, renommé pour ses discours anti-impérialistes et ses violentes
diatribes contre les dirigeants pourris du continent, a érigé le système
le plus corrompu de l’histoire de la Guinée. Ne parlons pas du
tribalisme devenu le mode régulier de sa gouvernance !
Seul responsable de sa chute
Mais
c’est son obstination à briguer un troisième mandat en violation
flagrante de la Constitution sur laquelle il a prêté serment, qui a fait
tomber le masque de ce dirigeant cousu de fil blanc. C’est la goutte
qui a fait déborder le vase. Sans ce fichu troisième mandat, il n’y
aurait pas eu de coup d’État. Alpha Condé est le seul et unique
responsable de sa descente aux enfers. Que ces messieurs de la
communauté internationale arrêtent donc de nous bassiner les oreilles
avec leurs sermons, leur justice à deux vitesses et leur indignation mal
placée. Où étaient-ils quand leur protégé, Alpha Condé, tuait et
emprisonnait à tour de bras ? Qu’entendent-ils par « retour à la légalité
constitutionnelle », cette belle formule qui, on le sait, ne vaut que
pour les copains ?
À
ce propos, la réaction d’Antonio Guterres, le secrétaire général de
l’ONU, ne surprend personne : il « condamne fermement toute prise de
pouvoir du gouvernement par la force du fusil et appelle à la libération
immédiate du président Alpha Condé ». Il ne me souvient pas avoir
entendu ce monsieur prononcer un seul mot sur le hold-up constitutionnel
opéré par le président déchu, un vieux pote qu’il a connu dans les
couloirs de l’Internationale socialiste du temps où il en assurait la
vice-présidence.
Mais Monsieur Guterres, fermer les yeux sur les coups d’État constitutionnels, c’est légitimer les coups d’État militaires.