Attentats du 11-Septembre: «Il n’y aura jamais de procès équitable»
Alors que l’on commémore les vingt ans des
attentats du 11 septembre 2001 qui ont causé la mort de près de 3 000
personnes, des audiences préliminaires ont repris devant un tribunal
militaire sur la base américaine de Guantanamo. Cinq personnes se
trouvent sur le banc des accusés, dont le cerveau présumé de ces
attaques qui ont bouleversé l’Amérique et le monde. Ces audiences, déjà
retardées pour cause de Covid-19, piétinent, et c’est un huitième juge
qui reprend l’ensemble du dossier alors que les accusés sont détenus
depuis quinze ans. La défense invoque les aveux extorqués sous la
torture, qui ne peuvent pas garantir de procès équitable. Entretien avec
l’avocate des droits de l’homme Alka Pradhan qui représente Ammar
al-Baluchi, accusé d’avoir participé aux transactions financières pour
les attentats du 11-Septembre.
RFI
: Des audiences préliminaires se tiennent cette semaine à Guantanamo
contre cinq accusés des attentats du 11-Septembre, quand ont
véritablement commencé ces audiences ?
Alka Pradhan : Cela
fait plus de 9 ans que nous sommes en audience préliminaire ! Le cas
s’appelle « Les États-Unis contre Khalid Sheikh Mohammed » qui est
considéré comme le cerveau présumé des attentats du 11-Septembre, mais
il y a quatre autres accusés qui sont jugés avec lui. Ils sont accusés
d’avoir participé à différents stades dans cette conspiration du
11-Septembre. Je représente Ammar al-Baluchi.
En quoi consistent ces commissions militaires qui ont été créées à Guantanamo ?
Les
commissions militaires sont un système nouveau établi ici à Guantanamo
pour juger les détenus accusés d’être en lien avec les attaques
terroristes contre les États-Unis après le 11 septembre. Donc il fallait
des audiences préliminaires longues pour vérifier les procédures à
utiliser pendant le procès, pour savoir quels chefs d’accusation étaient
valables – car il s’agit de commissions militaires, donc on ne parle
que de crimes de guerre. Mais 9 ans, c’est très long et au fur et à
mesure, ces audiences ont mis le doigt sur la question de la torture.
Vous
représentez Ammar al-Baluchi, l’un des cinq accusés devant les
commissions militaires, quel a été le parcours en détention de ces
hommes ?
Mon
client Ammar et les autres accusés ont été détenus dans des prisons
secrètes de la CIA, connues comme les « sites noirs », pendant plusieurs
années avant d’être transférés à Guantanamo. Ammar y a passé trois ans
et demi. Et ils ont été torturés. On sait ce qu’il s’est passé : les
simulacres de noyade, ils ont été menottés et suspendus au plafond, ils
ont eu la tête balancée contre des murs, mon client souffre d’une lésion
cérébrale à cause de ça. Cela a duré des années. Puis en 2006, ils ont
été transférés à Guantanamo, il y a 15 ans. Le président Georges W. Bush
a annoncé qu’ils allaient être jugés pour leur implication dans les
attentats du 11-Septembre. Mais le problème, c’est qu’ils avaient passé
des années en détention au secret sous la torture. Ensuite, il a fallu
six ans pour inculper ces hommes auprès des commissions militaires. Et
depuis 2012, nous en sommes toujours à ces audiences préliminaires !
C’est donc à cause de la torture que la procédure est bloquée ?
Ils
avaient été interrogés des milliers de fois sous la torture, donc ils
ont été réinterrogés par des agents du FBI ici à Guantanamo afin de
rendre « propres » et recevables les dépositions qu’ils avaient faites
sous la torture dans les « sites noirs ». Ce qu’on a appris en 2018 pour
la première fois, c’est que les agents du FBI qui avaient interrogé
Ammar al-Baluchi ici à Guantanamo avaient en fait été impliqués dans les
interrogatoires subis dans les « sites noirs » de la CIA, car ils
envoyaient les questions qui lui étaient donc posées sous la torture.
Donc, lors des dernières audiences en février 2020 avant la pandémie, on
était en plein dans les auditions de témoins à propos de cette
connexion, qui montrait à quel point le FBI était impliqué dans les
programmes de torture, sans séparation entre les sites noirs de la CIA
et Guantanamo.
Donc à cause de la torture, un procès équitable ne peut pas avoir lieu ?
Il
n’y a aucune possibilité qu’il y ait un jour un procès équitable contre
ces hommes. Guantanamo est l’instrument utilisé pour cacher la torture.
C’est tout le processus qui est corrompu. Le gouvernement utilise des
règles qui lui permettent de faire de la rétention de preuves alors
qu’on parle de peine capitale à l’encontre des accusés ! Donc il n’y
aura jamais de procès équitable. Voilà ce que le gouvernement a fait,
non seulement aux familles des victimes du 11-Septembre, mais au pays
tout entier ! Je suis tellement en colère contre le gouvernement, et ce
n’était pas une seule administration qui était concernée : il s’agit de
4 gouvernements successifs, car ils ont tous participé à cette
entreprise criminelle pour couvrir nos actes répréhensibles et saboter
toute possibilité de rendre la justice pour un crime qui a pourtant été
commis contre nous !
Quelle était la stratégie voulue par l’administration américaine à l’époque ?
Certains
invoquent la panique, la crainte d’autres attaques, pour l’utilisation
de la torture. Mais cela ne s’est pas déroulé uniquement juste après les
attentats. En fait les États-Unis avaient un plan et ceci est indiqué
clairement dans le rapport du comité du Sénat sur le renseignement : les
États-Unis avaient le plan de ne jamais amener ces hommes devant la
justice. Ils n’ont jamais eu l’intention de les juger. Leur intention
était de les maintenir dans des prisons secrètes de la CIA à l’étranger,
au secret pour le restant de leur vie et de les interroger jusqu’à la
fin. Un des membres de la CIA qui interrogeait un détenu lui a dit : «
nous ne vous jugerons jamais car nous ne ferons jamais savoir au monde
ce que nous vous avons fait ». C’était leur plan ! Ils ont amené ces
hommes à Guantanamo quand la question des sites noirs a commencé à faire
du bruit. Ce n’était plus tenable, donc ils les ont transférés à
Guantanamo. Mais après toutes ces années de torture, ces cas ne
pouvaient plus être jugés ! Au lieu de reconnaitre tout cela et de
panser les plaies créées par cette situation, pendant 15 ans les
gouvernements successifs ont continué à couvrir tout cela, ce qui ne
conduit qu’à un processus encore plus long et plus douloureux ici,
auprès des commissions militaires.
Le
fait de reprendre les audiences la semaine du 20e anniversaire des
attentats du 11-Septembre était un calcul pour le gouvernement ?
Ils
ont réalisé que le 20e anniversaire allait mettre en évidence l’échec
de de la tenue d’un procès, l’échec pour parvenir à rendre la justice
pour les attentats du 11-Septembre. Mais ils avaient besoin de montrer
qu’ils faisaient quelque chose. Ce qu’ils ne veulent pas qu’on observe
de trop près, c’est le fait que nous sommes en réalité en train de
repartir en arrière. Ils n’avaient pas besoin de torturer ces hommes
pendant des années et ensuite essayer de dissimuler tout cela. Je vais
continuer à faire appel à Joe Biden à la Maison Blanche, comme je l’ai
fait avec les trois autres avant lui car, jusqu’à ce que quelqu’un rompe
ce cercle vicieux, nous allons continuer à ce rythme dans ce procès
épouvantable.