Fin de mandat d’ABC : Retour en zone d’un camarade encombrant ?
Pour Me Alioune
Badara Cissé, le compte à rebours a sonné le clap de fin.
Officiellement, c’est aujourd’hui, jeudi 5 août 2021 que prend fin le
mandat en qualité de Médiateur de la République, poste qu’il occupe
depuis le 5 août 2015, et qui l’obligeait à une certaine réserve dans la
marche politique du pays. Connu pour sa propension à donner son avis
sans fard dans la gestion du parti qu’il a contribué à mettre au
pouvoir, ABC, qui sera remplacé par le juge Demba Kandji, retrouvera sa
liberté de ton. Ce qui ne sera pas forcément pour plaire à ses camarades
au pouvoir…
Après
cinq (05) années de bons et loyaux services à la Médiature de la
République, ABC retrouve donc son terrain de prédilection : La
politique. Qu’il n’a d’ailleurs jamais totalement quitté même en étant
Médiateur, n’hésitant pas à s’offrir quelques incursions qui ont pu
faire trembler les tenants du pouvoir, comme ce fut le cas lors des
événements de mars dernier et a bien d’autres occasions.
Le
Saint-Louisien, membre fondateur de l’Alliance pour la République
(parti au pouvoir) fut un des plus proches du Président Macky Sall dont
il a été le Directeur de Cabinet lors de son séjour à la Primature entre
2004 et 2007, quand ce dernier était aux manettes pour la réélection de
Me Abdoulaye Wade. Et c’est lui, l’actuel Médiateur de la République
pour quelques heures encore, qui lors du second tour de 2012, aurait
permis le coup de fil entre Wade et Sall, alors en pleine adversité.
Un positionnement scruté
Ses
premières sorties seront assurément attendues. A quelques mois des
élections locales, la nouvelle planque qui lui sera proposée le sera
encore plus. Cela pourrait donner une indication sur la suite de sa
relation avec son ami Président dont beaucoup voient en lui un potentiel
candidat à la succession.
Alors
que de nombreux observateurs de la scène politique sénégalaise voyaient
en lui un dauphin de l’actuel occupant du Palais, d’autres analysaient
sa nomination au poste de Médiateur comme une façon subtile de l’écarter
du champ politique et de le réduire au silence. Sa trajectoire durant
le magistère de Macky Sall n’aura pas été rectiligne. Ainsi, son passage
au ministère des Affaires Etrangères et des Sénégalais de l’Extérieur,
en 2012, ne sera que de courte durée (7 mois). Limogé du gouvernement,
alors qu’il se trouvait hors du territoire, Alioune Badara Cissé avait,
par la suite, décidé de reprendre sa robe d’avocat en gelant ses
activités au sein de l’APR. Un recul qui lui permit de garder une
certaine liberté. En s’éloignant du navire présidentiel, ABC se
présentait de plus en plus comme un électron libre, n’hésitant pas à se
présenter à l’assemblée générale, en 2013, du mouvement Bok Bok Gis,
devenu plus tard un farouche parti d’opposition au régime de Macky Sall.
Ses
soubresauts politiques avec le régime ne s’estompent qu’avec sa
nomination par le chef de l’État à la Médiature, en août 2015. Une
nouvelle fonction qui le mettait complètement à l’écart de la politique
partisane. Le Médiateur de la République exige une autorité
indépendante. Cela n’a pas empêché, qu’à l’approche de la présidentielle
de 2019, qu’on lui prête des ambitions de candidature.
À
62 ans (né en 1958), Me Alioune Badara Cissé devrait investir à nouveau
la politique, une perspective qui pourrait déjà donner des sueurs
froides à ses camarades de la mouvance présidentielle, à en croire
certains analystes politiques interrogés par eMedia, tant l’homme aura
fait tremblé les tenants du pouvoir à chaque qu’il a pris la parole en
public, même sous le costume de Médiateur de la République.
Son remplacement annoncé un an avant la fin de son mandat
Rien
que l’annonce de son remplaçant, un an avant la fin de son mandat avait
suscité moult interrogations. L’information publiée par eMedia fut
ensuite confirmée par le ministre de la justice : « Le juge Demba Kandji
prendra le poste de médiateur de la République. Je le confirme. C’est
pourquoi, on l’a mis, pour le moment, en détachement à la présidence de
la République », avait confirmé le Garde des Sceaux, Me Malick Sall,
devant le Jury du dimanche (JDD).
Contacté
par eMedia, le journaliste politique Abdoulaye Mbow ne doute pas une
seconde que le concerné va camper sur ses positions très tranchées.
D’autant plus qu’analyse-t-il : « (ABC) que l’on connait comme un homme
libre, du point de vue de l’approche politique, a toujours montré sa
liberté de ton. » Et, bien qu’ayant « occupé ses fonctions de médiateur de
la République, cela ne l’avait pas empêché, justement, sur des
questions qui intéressent la marche du pays, et sur des questions
politiques, de donner un avis tranché, un avis, une position, sans
sourciller. »
Donc,
« pour un homme qui n’use pas de la langue de bois, s’il n’est plus
médiateur de la République, c’est qu’il va retrouver sa totale liberté
de ton », insiste le Directeur de publication d’actunet.net. Il rappelle
que l’homme fait partie des « principaux géniteurs » de l’Alliance pour la
République (APR, parti au pouvoir). Avant de connaître une « descente
aux enfers » par rapport « aux postes qu’il occupait à un moment donné au
niveau de l’APR et qu’il a, par la suite, perdus, sur pression de hauts
responsables. Quoi qu’il en soit, on le connait, (ABC) ne mâche pas ses
mots. »
Un cheveu dans la soupe de Macky ? : « ABC ne mâche pas ses mots », Abdoulaye Mbow
Spécialiste
des questions politiques, Momar Diongue va plus loin, soulignant que le
concerné a hâte d’y être suite aux frustrations essuyées à l’intérieur
de son parti. Dans la mesure où explique-t-il : « pourquoi pas croire que
(ABC) a peut-être hâte de se libérer de ses fonctions de président de
la Médiature, pour retrouver sa liberté de parole, d’abord, mais aussi
sa liberté d’actions, sa liberté d’initiative. »
Ainsi,
l’analyste politique ajoute : « pour comprendre pourquoi il a si hâte de
se libérer de sa fonction, c’est qu'(ABC) est un des très grands déçus
de la trajectoire de l’APR, et de son compagnonnage avec le président
Macky Sall. Il a toujours revendiqué le fait d’avoir déposé lui-même les
papiers, pour obtenir le récépissé de l’APR, et que c’est lui qui a
fait la déclaration quasiment de naissance de l’APR. Et, il a
automatiquement hérité après la création de l’APR, de la fonction de
coordonnateur général de l’APR. Il a pensé qu’après la conquête du
pouvoir, le président Macky Sall allait prendre de la hauteur et lui
donner la gestion du parti au quotidien. »
Mais,
ses espoirs seront déçus. Car, rembobine-t-il : « sa première déception
ou sa plus grande déception, ça a été, qu’une fois Macky Sall est arrivé
au pouvoir, il n’a pas voulu lui donner les pleins pouvoirs, et le
plein exercice au niveau du parti. D’ailleurs, on a vite compris que,
même la fonction de coordonnateur général, était vidée de sa substance,
et qu'(ABC) était quasiment quelqu’un qui était ravalé au même rang que
n’importe quel militant de l’APR. »
D’abord,
l’une des conséquences à en tirer, c’est « qu’une fois qu’il (ABC) aura
terminé avec ses fonctions de président de la Médiature, c’est qu’il a
hâte de retrouver sa liberté d’initiative, sa liberté d’actions et de se
déployer au plan politique. »
Ensuite,
enchaîne Momar Diongue : « C’est qu’il a hâte aussi de retrouver sa
liberté de ton. Parce que c’est quelqu’un, malgré même le devoir de
réserve auquel il était assujetti en tant que médiateur de la
République, c’est quelqu’un qui, de temps en temps, n’hésitait pas à
afficher une certaine liberté de ton. Je crois qu’il aura davantage une
liberté de ton une fois qu’il sera définitivement libéré de cette charge
de médiateur de la République. »
« Un des très grands déçus de l’APR », selon Momar Diongue
Déçu,
mais pas pour autant frustré. De l’avis d’Abdoulaye Mbow, Me ABC va
chercher à se positionner par rapport à l’après-Macky. « D’autant plus,
qu’appuie-t-il, rien ne le lui interdit », agitant la rencontre qui a eu
lieu entre ABC et l’ancien Premier ministre, Aminata Touré.
Enfin,
tranche Momar Diongue : « Pour ce qui concerne son déploiement
politique, n’oublions pas qu’il n’y a pas très longtemps, il a eu à
rencontrer Mimi Touré, qui a connu la même désillusion auprès du
président de la République. Cela veut dire avant même la fin de ses
fonctions de médiateur de la République, il avait commencé à
entreprendre des initiatives auprès de personnes avec lesquelles
peut-être il envisage l’avenir politique en dehors de l’APR, en prenant
toutes ses distances avec le président Macky Sall. Donc, il faudrait
s’attendre à ce qu’il se re-déploie au plan politique, qu’il retrouve sa
liberté de ton, sa liberté d’initiative. Parce qu’il a été profilé pour
ça, surtout pour quelqu’un qui a connu une très grande déception auprès
de Macky Sall et qui a envie peut-être de prendre une revanche sur
l’histoire et sur le sort qu’il a eu à connaître en tant que
coordonnateur général de l’APR. »
« Est-ce
qu’il va prendre une position ferme et radicale par rapport à la
probable 3e candidature du président Macky Sall ? Ce sont des questions
en suspens », s’interroge le journaliste à D-Média.