Soupçons de confit d’intérêt : Éric Dupond-Moretti convoqué en vue d’une possible mise en examen
Le ministre français
de la Justice, Éric Dupond-Moretti, se rend, vendredi, devant la
commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) en
vue d’une possible mise en examen pour « prise illégale d’intérêts ».
L’intéressé est « extrêmement serein », selon son entourage.
Une
première. Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, est attendu,
vendredi 16 juillet, à la Cour de justice de la République (CJR) pour y
être interrogé par les magistrats chargés d’enquêter sur de possibles
conflits d’intérêts avec ses anciennes activités d’avocat. Une situation
inédite pour un ministre de la Justice en exercice. Le membre du
gouvernement est convoqué à 09h00 pour un interrogatoire qui peut durer
toute la journée et se conclure par sa mise en examen.
« Extrêmement serein »
Sa
convocation lui a été remise lors d’une rarissime perquisition à la
Chancellerie le 1er juillet, menée pendant quinze heures par une
vingtaine de gendarmes de la section de recherche de Paris, avec des
magistrats de la CJR, seule juridiction habilitée à poursuivre et juger
des ministres pour des infractions commises dans le cadre de leurs
fonctions. « Extrêmement serein », le ministre est, selon son entourage,
« combatif » et « déterminé à s’expliquer », au côté de ses trois avocats.
Dans
cette affaire, Éric Dupond-Moretti est soupçonné d’avoir profité de sa
fonction de garde des Sceaux pour régler ses comptes avec des magistrats
avec lesquels il avait eu maille à partir quand il était avocat, ce que
le ministre réfute.
La
CJR a ouvert en janvier une information judiciaire pour « prise illégale
d’intérêts » après avoir reçu les plaintes des trois syndicats de
magistrats et de l’association Anticor dénonçant des situations de
conflits d’intérêts dans deux dossiers.
« Méthodes de barbouzes »
Le
premier concerne l’enquête administrative ordonnée en septembre par le
garde des Sceaux contre trois magistrats du parquet national financier
(PNF) qui ont fait éplucher ses relevés téléphoniques détaillés
(« fadettes ») quand il était encore une star des prétoires.
Le
PNF cherchait alors à débusquer une « taupe » ayant pu informer Nicolas
Sarkozy et son conseil Thierry Herzog – un ami d’Éric Dupond-Moretti –
qu’ils étaient sur écoute dans l’affaire de corruption dite « Bismuth »,
et qui a valu en mars une condamnation historique à l’ex-chef de l’État.
Vilipendant
les « méthodes de barbouzes » du parquet anticorruption, Éric
Dupond-Moretti avait déposé une plainte, avant de la retirer au soir de
sa nomination comme garde des Sceaux, le 6 juillet 2020.
Dans
le second dossier, il est reproché au garde des Sceaux d’avoir
diligenté des poursuites administratives contre un ancien juge
d’instruction détaché à Monaco, Édouard Levrault, qui avait mis en
examen un des ses ex-clients et dont il avait critiqué les méthodes de
« cow-boy » après que ce magistrat a pris la parole dans un reportage.
Des interventions problématiques
Les
syndicats de magistrats ont par ailleurs signalé à la commission
d’instruction de la CJR trois autres interventions du garde des Sceaux
qu’ils jugent problématiques, dont une à l’automne auprès de détenus
corses alors qu’il avait été l’avocat de l’un d’eux, Yvan Colonna.
Mais
la commission des requêtes de la CJR a rendu un avis défavorable,
refusant donc d’ordonner un supplément d’information pour ces faits,
selon une source judiciaire.
Éric
Dupond-Moretti s’est toujours défendu de toute prise illégale
d’intérêts, martelant qu’il n’a fait que « suivre les recommandations » de
son administration.
Sa
défense a demandé, en vain, un report de l’interrogatoire, estimant que
le procureur général près la Cour de cassation François Molins – qui a
ouvert l’enquête à la CJR – était à la fois juge et partie. Selon les
avocats du ministre, François Molins avait recommandé l’ouverture d’une
enquête administrative et devrait donc être entendu comme témoin dans
cette affaire.
Les
potentiels conflits d’intérêts du nouveau garde des Sceaux, soulevés
dès son arrivée à la Chancellerie par les syndicats de magistrats,
avaient finalement conduit fin octobre à l’écarter du suivi de ses
anciennes affaires, désormais sous le contrôle de Matignon.
Manœuvre politique
Éric
Dupond-Moretti accuse ces mêmes syndicats de « manœuvres politiques »
afin « d’obtenir un nouveau garde des Sceaux ». « On ne fait pas de
politique. À aucun moment, d’aucune manière nous n’avons demandé la
démission du ministre », rétorque Céline Parisot, présidente de l’USM,
syndicat majoritaire dans la magistrature.
Une mise en examen compromettrait-elle l’avenir d’Éric Dupond-Moretti à la tête de ce ministère régalien ?
« Il
a le soutien d’Emmanuel Macron et Jean Castex. Il était d’ailleurs le
choix personnel du président de la République, qui ne peut se déjuger »,
commente une parlementaire LREM.
Une ministre juge au contraire sa situation « compliquée, surtout quand on est garde des Sceaux ».
Le
président de la République s’est posé en « garant de l’indépendance de
la justice », jeudi alors qu’il se trouvait sur le Tour de France.
« Je
pense que le garde des Sceaux a les mêmes droits que tous les
justiciables, c’est-à-dire celui de la présomption d’innocence de
pouvoir défendre les droits qui sont les siens, et je pense qu’il n’est
pas sain d’avoir des commentaires de magistrats avant des décisions et
d’avoir des annonces de presse avant des décisions de justice parce que
le travail de la justice doit se faire dans le bon ordre et dans la
sérénité », a déclaré Emmanuel Macron, qui avait promis de supprimer la
CJR, sans mener à son terme la révision constitutionnelle nécessaire.