Face à des images choc, les témoins du calvaire de George Floyd expriment leur désarroi
Un jeune caissier empli d’un sentiment de « culpabilité », un vieil homme qui pleure d' »impuissance » : les témoins à la barre, mercredi lors du procès du policier Derek Chauvin, accusé du meurtre de George Floyd, ont livré des récits poignants du jour du drame. L’audience a aussi été l’occasion de visionner des images inédites tournées par la police.
De
multiples caméras ont capté sous tous les angles les derniers instants
de George Floyd, qui ont été joués et rejoués mercredi 31 mars au procès
du policier Derek Chauvin, accusé de l’avoir tué, au point de raviver
le traumatisme des témoins.
Les jurés avaient
été confrontés dès l’ouverture des débats, lundi, à la vidéo la plus
connue du calvaire de l’Afro-Américain. Filmée par une passante, elle a
suscité des manifestations géantes contre le racisme aux États-Unis et
au-delà.
Cette fois, ils se sont retrouvés au
cœur même du drame, avec les enregistrements des caméras-piétons portées
par les quatre policiers qui, le 25 mai à Minneapolis, ont voulu
arrêter George Floyd, soupçonné d’avoir écoulé un faux billet de vingt
dollars dans une épicerie.
« Ne me faites pas ça »
En
juillet, la justice avait autorisée les médias à visionner ces vidéos,
sans les enregistrer ni les publier. Elles étaient donc restées assez
confidentielles. Sur ces films, les suppliques du quadragénaire noir se
font plus personnelles : « S’il vous plait, ne me tirez pas dessus », « Je
ne suis pas mauvais », « Ne me faites pas ça », « Vous me faites peur »,
dit-il aux agents, en assurant « être claustrophobe » quand ils essaient
de le faire monter dans leur véhicule.
Face à
sa résistance, ces hommes en uniforme le clouent au sol et le plus
expérimenté d’entre eux, Derek Chauvin, s’installe, un genou sur son
cou. Il conservera cette position pendant plus de neuf minutes, ce qui
lui vaut d’être jugé pour meurtre.
Ce policier
blanc de 45 ans, dont 19 au service de la police de Minneapolis, a
maintenu sa pression même quand ses collègues ont noté que George Floyd
« s’était évanoui » et n’avait « plus de pouls », ont confirmé les vidéos
des caméras-piétons.
« Curiosité »
L’accusation
s’est également appuyée mercredi sur des caméras de surveillance
installées dans l’épicerie Cup Foods pour raconter les moments qui ont
précédé l’intervention des policiers.
À
la barre des témoins, un jeune caissier, Christopher Martin, a raconté
avoir vendu un paquet de cigarettes à George Floyd, qui a payé avec un
billet de vingt dollars. « J’ai vu un pigment bleu (…), j’ai trouvé ça
bizarre et j’ai pensé qu’il était faux », a raconté le jeune homme noir
de 19 ans, visiblement nerveux.
Dans ce
magasin, si un employé encaisse un faux billet, la somme est retirée de
son salaire. Christopher Martin l’a accepté mais, « après réflexion », il
en a parlé à son responsable, qui lui a ordonné de demander à George
Floyd de revenir. Le quadragénaire étant resté dans un véhicule garé
devant la supérette, le jeune caissier et des collègues sont sortis pour
lui parler. Mais ils ne sont pas parvenus à le convaincre et un des
employés du magasin a fini par appeler la police.
La
suite a été racontée par Charles McMillian, un homme noir de 61 ans
qui, passant par là en voiture, s’est arrêté « par curiosité ». Deux
agents ont d’abord pointé une arme sur George Floyd pour le faire sortir
de sa voiture, lui ont mis des menottes et l’ont ramené vers leur
véhicule, a-t-il raconté.
« Maman, je t’aime » Charles
McMillian a alors entamé un dialogue avec George Floyd, qui refusait de
monter dans la voiture de police. « Je lui ai dit d’obéir, qu’il ne
pouvait pas gagner », a raconté le sexagénaire. Les agents, désormais
quatre, finissent par plaquer le quadragénaire au sol qui se fait de
plus en plus suppliant. « Je ne peux pas respirer, j’ai mal au ventre »,
« Maman, je t’aime », l’entend-on prononcer sur un enregistrement.
À
la vue de ce film, Charles McMillan, qui avait jusque-là gardé sa
contenance, a éclaté en sanglots. « Je me sentais tellement
impuissant… », a-t-il soufflé, avant que le juge n’interrompe
l’audience pour lui laisser le temps de reprendre ses esprits.
Sur
une autre vidéo, on voit Christopher Martin sorti du magasin pour
suivre la scène. Effaré, il a les mains sur sa tête. Interrogé sur ses
sentiments à ce moment-là, il a répondu, la voix étranglée par l’émotion
: « De l’incrédulité et de la culpabilité. » « Si je n’avais pas pris le
billet, tout ça aurait pu être évité. »
Le
procès de Derek Chauvin, qui plaide non coupable, doit durer jusqu’à la
fin avril et le verdict sera rendu dans la foulée. Ses trois
ex-collègues Alexander Kueng, Thomas Lane et Tou Thao, seront jugés en
août pour « complicité de meurtre ».