Affaire des écoutes: condamné à 3 ans de prison, Nicolas Sarkozy va faire appel
« Les faits dont s’est rendu coupable Nicolas Sarkozy sont d’une
particulière gravité ayant été commis par un ancien président de la
République qui a été le garant de l’indépendance de la justice. Il s’est
servi de son statut d’ancien président de la République et des
relations politiques et diplomatiques qu’il a tissées alors qu’il était
en exercice pour gratifier un magistrat ayant servi son intérêt
personnel . »
Les attendus du tribunal
correctionnel de Paris sont secs comme un coup de trique. Nicolas
Sarkozy est reconnu coupable de « corruption par particulier sur un
magistrat », et condamné à trois ans de prison dont deux avec sursis
dans l’affaire dite « des écoutes Paul Bismuth ». Thierry Herzog, son
ami et avocat de longue date, est déclaré coupable du même délit, et
condamné à la même peine assortie d’une interdiction professionnelle de
cinq ans qui, pour un homme de 65 ans, équivaut pratiquement à une mise à
l’écart professionnelle. Coupable de « corruption passive par magistrat
», Gilbert Azibert se voit également condamné à trois ans de prison
dont deux avec sursis.
Le tribunal précise qu’«
il convient d’aménager la partie ferme de la peine sous le régime de la
détention à domicile sous surveillance électronique, eu égard à la
situation actuelle » des trois hommes. Thierry Herzog a été le premier,
rapidement suivi par Nicolas Sarkozy, à faire appel de la sentence, qui
n’est donc pas définitive. Après Jacques Chirac (deux ans avec sursis
pour les emplois fictifs de la mairie de Paris), c’est la deuxième fois
qu’un ancien chef de l’État est condamné en correctionnelle.
L’audience,
pourtant, ne semblait pas avoir mis en lumière de preuves assez
irréfragables pour justifier une telle sévérité. Au contraire : au fil
des débats, en décembre dernier, les faiblesses de l’accusation soutenue
par le parquet national financier (PNF) étaient apparues, habilement
exploitées par une défense très offensive menée conjointement par Mes
Jacqueline Laffont, conseil de l’ancien président de la République, et
Hervé Temime et Paul-Albert Iweins, aux intérêts de leur confrère
Herzog. « Je peux affirmer sans outrance, avait plaidé Me Laffont, que
jamais je n’ai assisté à un tel recours à des vocables exprimant le
doute dans un réquisitoire: “Nous pensons”, “nous croyons”, “cela
pourrait ressembler à”, “faisceau d’indices”, “nous acceptons de nous
tromper”… » Le PNF, cependant, a convaincu les juges de la 32 e chambre
présidée par Christine Mée, même s’ils n’ont pas suivi jusqu’au bout les
réquisitions du parquet (4 ans de prison dont deux fermes pour le
trio).
Un revers sérieux
Les
délits visés par la prévention sont particuliers : nul besoin que les
personnes mises en cause aient tiré un avantage réel de leurs
manigances, l’intention frauduleuse suffit. Encore faut-il prouver qu’un
pacte a bien été scellé préalablement.
Dans
l’affaire Bismuth, il est reproché à Nicolas Sarkozy d’avoir, par le
truchement de Thierry Herzog, promis à Gilbert Azibert, magistrat à la
Cour de cassation, un poste à Monaco en échange de renseignements sur un
pourvoi qu’il avait formé – ou d’une influence sur son traitement. Or,
l’arrêt rendu par la juridiction suprême s’est révélé contraire aux
souhaits de l’ancien chef de l’État, et Gilbert Azibert n’a obtenu aucun
hochet monégasque. Accessoirement, les magistrats chargés de traiter le
pourvoi ont attesté que personne n’avait tenté de les circonvenir. Idem
pour les plus hautes autorités de Monaco.
«
La preuve du pacte de corruption ressort d’un faisceau d’indices
graves, précis et concordants résultant des liens très étroits d’amitié
noués entre les protagonistes, des relations d’affaires renforçant ces
liens (…) »
Tribunal correctionnel de Paris
Lors
du procès, la défense avait proposé une démonstration percutante, au
terme de laquelle la chronologie des « écoutes Bismuth » (du nom d’une
ligne ouverte par Nicolas Sarkozy et Me Herzog pour converser,
croyaient-ils, à l’abri des oreilles indiscrètes) écartait l’existence
d’un pacte préalable. Mais le tribunal ne l’a pas suivie, qui tranche : «
La preuve du pacte de corruption ressort d’un faisceau d’indices
graves, précis et concordants résultant des liens très étroits d’amitié
noués entre les protagonistes, des relations d’affaires renforçant ces
liens, Thierry Herzog était l’avocat de Nicolas Sarkozy, des intérêts
communs tendant vers un même but, celui d’obtenir une décision favorable
aux intérêts de Nicolas Sarkozy, et des écoutes téléphoniques
démontrant les actes accomplis et la contrepartie proposée ».
Le
jugement valide également une procédure vouée aux Gémonies par les
prévenus. Le fait que des conversations entre un justiciable et son
avocat aient été écoutées n’a pas choqué les juges : ils ont estimé que
certains extraits contiennent « intrinsèquement des indices de
participation de l’avocat à l’infraction ».
Pas
davantage ne les a contrariés l’enquête préliminaire secrète de près de
six ans menée par le PNF pour identifier la « taupe » qui aurait
prévenu les utilisateurs de la ligne Bismuth que cette dernière avait
été découverte et « branchée » par les enquêteurs. L’enquête n’a mené à
rien, mais les factures téléphoniques détaillées de nombreux avocats –
dont celles de l’actuel garde des Sceaux -, de journalistes et même de
magistrats ont été épluchées, au mépris assumé du secret professionnel
et du secret des sources.
La condamnation de
lundi, bien que non définitive, constitue un revers sérieux pour Nicolas
Sarkozy qui, du 17 mars au 15 avril, doit affronter d’autres juges et
un autre parquet dans le cadre de l’affaire Bygmalion, portant sur le
financement supposément illicite de la campagne présidentielle de 2012.