La politique au Sénégal : à chacun son tour chez le coiffeur
Quand un président gagne les élections, que cela soit par un coup d’état ou par les urnes, ses troupes font le nécessaire pour éterniser leur chef au pouvoir par tous les moyens. Chaque président qui est passé au Sénégal est reproché par les opposants de discréditer la démocratie. Pendant ce temps, la plupart des chefs d’états africains démocratiquement élus, gouvernent avec une peur d’être destitué, ce qui fait que l’article faisant référence à l’offense du chef de l’état est souvent utilisé.
Les
populations s’opposent avec hargne contre tout parti au pouvoir,
faisant qu’il est presque impossible pour les deux partis de cohabiter
pacifiquement pour l’intérêt de la nation.
Au Sénégal, pour être président, il faut être prêt à détruire ses
meilleurs amis et ne pas prendre des décisions émotionnelles. Par
exemple, quand Senghor était en vacances à Verson en Normandie, il y
avait un petit incident entre Diouf et Babacar Ba et on en a profité
pour le rapporter à Senghor, qui est immédiatement rentré de vacances.
Un comité central est convoqué et Senghor a pris la décision de procéder
à un remaniement ministériel. Abdou Diouf, qui était chef du
gouvernement, était responsable de cette tache ; c’est naturellement que
Babacar Ba ne figurait pas sur cette nouvelle liste de ministres
proposée par Abdou Diouf à Senghor. Quand les présidents sénégalais sont
au pouvoir, ils deviennent obstinés par le pouvoir et ils veulent
liquider tout potentiel adversaire à tout prix.
Le président Senghor ne faisait confiance à personne cela s’est
confirmé avec l’arrestation du président Dia. Le PAI de Majemout Diop
avait disparu en 1960, car il était accusé d’être à l’origine des
troubles lors des élections municipales de la même année. Le parti de
Cheikh Anta Diop était aussi interdit de toute activité en 1962. Ne
faisant plus confiance à son entourage, le président Senghor avait fait
voter une nouvelle constitution le 3 mars 1963 qui fait de lui chef de
l’Etat et du gouvernement. Il va plus loin et fait voter une autre loi
constitutionnelle le 20 juin 1967 lui donnant le pouvoir de dissoudre
l’Assemblée nationale quand il veut.
A l’aube des élections de 83, l’opposition était dispersée et
l’ouverture démocratique, qui a permis l’avènement du multipartisme, a
été l’ennemi de l’opposition. Il n’y avait aucun programme ni un plan
d’action commune. Comme le PDS était le parti le plus en vue de
l’opposition, il fallait réduire sa force. Le gouvernement a profité de
l’affaire Mamadou Fall, ancien officier, pour tourner l’affaire en une
affaire politique. Doudou Camara, député du PDS a été placé sous examen
après que son immunité parlementaire fût levée. Abdoulaye Wade s’exila
en France pour éviter d’être mouillé dans cette affaire des membres de
son parti qui étaient accusés de se rendre en Libye pour recevoir une
formation militaire.
Les jeux de phrases avaient commencé à l’aube des élections de 1988,
Abdou Diouf accusait Abdoulaye Wade d’être financé par la Libye du
Colonel Kadhafi. Jean Collin, ira plus loin, pour accuser Abdoulaye Wade
et le discréditer. Le ministre d’État disait que « Wade est un homme
dangereux. Il n’a qu’une idée, c’est de devenir Président, il est prêt à
tout sacrifier à cette idée. Il n’est pas l’homme d’un programme, mais
l’homme d’une ambition personnelle ». Comme en 1983, Abdou Diouf
refusait toujours de changer le code électoral ; en politique, tous les
moyens sont bons pour rester au pouvoir. Quelques jours avant les
élections, deux personnes, d’origine libyenne, étaient arrêtées avec de
faux papiers, à l’aéroport de Dakar, en compagnie d’Ahmed Khalifa
Niasse. Étant donné qu’Abdou Diouf avait accusé Abdoulaye Wade d’être
financé par Kadhafi, le gouvernement en a profité pour aussi lui coller
cette affaire. Finalement, il parait que c’est Jean Colin qui avait
acheté les billets de ces deux Libyens.
Après le déracinement du président Diouf, Abdoulaye Wade était devenu
le troisième président du Sénégal. Il y avait toujours de l’euphorie
dans l’air, et après quelques années au pouvoir, le bilan de Wade était
piteux et l’euphorie donnait sa place à la déception. Abdoulaye Wade
changea alors le fusil d’épaule. Malgré qu’il soit très vulnérable, sa
personne faisait peur, car il était prêt à tout pour garder le pouvoir,
ce pouvoir, qu’il recherchait depuis 1978. Alors qu’il était le « fils
spirituel » et le stratège d’Abdoulaye Wade, Idrissa Seck sera viré et
emprisonné, car il commençait à afficher des ambitions présidentielles.
Il a fallu l’accuser de quelque chose pour l’écarter. Qui veut tuer son
chien l’accuse de rage.
Macky Sall devait se charger du dossier d’Idrissa Seck. Restant
convaincu que l’ancien Premier ministre Idrissa Seck a détourné des
fonds et s’est illégalement enrichi aux dos du peuple sénégalais, Macky
Sall voulait profiter de cette occasion pour éliminer un adversaire
redoutable. Macky disait ne pas vouloir rester au sein du parti tant
qu’Idrissa Seck y serait, et que sa place, c’était plutôt la prison.
N’avait-il pas accusé Abdoul Latif Coulibaly d’avoir conspiré avec
Idrissa Seck pour avoir publié certains de ses livres contre Wade ?
Macky Sall ne voulait pas laisser l’affaire et il s’assurait que les
enquêtes se poursuivraient en France et en Suisse et il avait même
transmis une commission rogatoire au gouvernement suisse afin
d’identifier les fonds qu’il pensait être logé dans ces banques. Il
avait même dit qu’Idrissa Seck avait accepté de restituer les fonds, ce
que l’équipe juridique avait catégoriquement nié. Il disait encore qu’il
était nécessaire de poursuivre Idrissa Seck si on voulait éradiquer la
corruption au Sénégal. Il faut se rappeler qu’Idrissa Seck avait refusé
de demander une mise en liberté provisoire, car il disait être
innocent.
Macky Sall disait aussi qu’il avait reconstruit le PDS et
qu’il ne pouvait pas se permettre qu’on ternisse l’image du parti. Il
était prêt à démissionner de n’importe quel poste si le président Wade
avait donné à Idrissa Seck un quelconque poste de responsabilité au sein
du gouvernement. Après que Macky Sall ait fait le sale travail pour
Abdoulaye Wade, c’était à son tour d’être destitué, car après tout,
c’était la seconde personnalité de l’Etat.
Macky Sall est reproché
d’avoir commis une erreur politique en n’ayant pas avisé le président
Wade avant de convoquer le patron de l’ANOCI devant le Parlement. La
machine judiciaire va être mise en marche pour démettre le chef de
l’organe législatif. Le ministre de l’Intérieur du temps, Cheikh Tidiane
Sy, avait demandé à Macky Sall de se présenter au commissariat central
pour être placé en garde à vue pour blanchiment d’argent. En ce moment,
Macky Sall commençait à s’inquiéter, car il croyait qu’il allait être
emprisonné.
Il lui était reproché d’être impliqué dans une affaire
de blanchiment d’argent avec un Sénégalais établi au Gabon. Une
correspondance, fut interceptée par les renseignements sénégalais, entre
Macky Sall et un chef d’État africain, qui prouve que les fonds
provenaient de ce dernier. Les carottes pouvaient être cuites pour Macky
Sall sur ces charges. Il a fallu l’intervention de feu Serigne Bara
Mbacké pour calmer l’affaire. Serigne Abdou Lahad Mbacké, ancien
ambassadeur et Madické Niang, étaient les médiateurs auprès du Khalife.
Macky Sall, avait auparavant, déjà demandé une intercession auprès de
feu Serigne Saliou pour une réconciliation avec le président Wade. Le
président Wade finira par le recevoir et il était convenu d’enterrer la
hache de guerre. Ce sera avec l’aide de feu Serigne Bara Mbacké quand
même que cela se passera et le chef du groupe parlementaire, Doudou
Wade, s’était chargé d’annoncer la bonne nouvelle de réconciliation. Le
destin voulait que Macky Sall devienne président.
Une fois sur le
trône, il faut maintenant écarter tous les opposants qui puissent lui
poser des problèmes. Le premier opposant, qui n’était certes pas
redoutable, a été écarté. Karim Wade sera condamné par la Cour de
répression de l’enrichissement illicite (CREI), une juridiction
spéciale, à une peine de six ans d’emprisonnement et à une amende de 138
milliards de francs CFA. Il était accusé de montages financiers
complexes quand il était au sein du gouvernement. À la suite d’un décret
daté le 24 juin 2016, il bénéficie d’une grâce présidentielle même si
les sanctions et l’amende sont toujours maintenus.
Après s’être vengé
du fils du président Wade, il fallait maintenant écarter l’opposant qui
était le plus redoutable. Khalifa Sall a remporté toutes les élections
contre le régime de Macky Sall. Il a battu Aminata Touré, aux élections
municipales, dans la localité de Grand-Yoff et avait même remporté les
quinze communes sur les dix-neuf de Dakar. Étant donné que la
condamnation de l’ancien maire est exécutoire et définitive, une demande
de grâce pouvait être introduite par lui, son avocat ou sa famille pour
pouvoir bénéficier d’une liberté. Cette demande a été introduite et
Khalifa Sall est libre, mais ne jouit toujours pas de ses droits
civiques.
Quand des ministres de son gouvernement ont commencé à
afficher des ambitions présidentielles, un remaniement ministériel a
écarté les plus optimistes. Un dialogue de plusieurs mois permit de
récupérer Idrissa Seck et d’essayer de réduire l’opposition au néant. Il
va détruire quiconque il trouvera sur son chemin. C’est malheureusement
la manière de faire la politique au Sénégal. A chacun son tour chez le
coiffeur. C’est seulement quand le peuple en a ras-le-bol que le vote
sanction vient destituer un président au lieu d’élire un président.
Il
est temps que des mesures correctives soient prises pour s’attaquer à
ce problème. N’importe quel pays qui aspire à devenir une nation
émergente doit avoir une police libre, une presse libre, une séparation
des pouvoirs et surtout une justice indépendante. Le manque
d’indépendance du pouvoir judiciaire est la raison principale qu’il
n’arrive pas à faire respecter la loi. Quand les procureurs, les juges
et les magistrats sont redevables d’intérêts politiques et que le
président et son ministre de la Justice contrôlent leur carrière, il est
presque impossible de leur demander de faire leur travail avec
impartialité.
Mohamed Dia (mohamedbaboyedia@gmail.com)