« L’Europe a échoué car sa réponse a toujours été répressive… »
Mountaga Diop a donné sa vie à l’humanitaire. Juriste de formation et spécialiste en Droit des enfants, ce compatriote a fait ses armes en Allemagne et en Hexagone, avant de revenir en terre africaine se battre pour la cause des enfants et celle des migrants. Ils aborde ici, dans cet entretien, la lancinante question migratoire et explicite ses actions au sein de son »Kirikou » et au Croissant Rouge marocain.
Quel regard posez-vous sur la dernière vague d’immigration et ses tragédies?
C’est
un regard triste. Une tragédie qu’on déplore sans cesse, mais un
sentiment de colère à l’égard des dirigeants politiques des pays
d’origine, l’Afrique de l’ouest surtout. Le Sénégal, la Guinée Conakry,
la Côte d’ivoire et le Cameroun pour ne citer que ces pays qui regorgent
des richesses incommensurables mais malheureusement aucune politique de
développement ou d’insertion dédiée à la jeunesse.
Certains parlent des mauvaises politiques des gouvernants africains…
Tout
à fait. Bien sûr, il y a des raisons sociales qui poussent ces jeunes à
partir et prendre la route de la mort, mais la vraie et seule raison
sociale c’est l’absence de l’emploi. Un avenir incertain. Les Etats ne
déploient aucune stratégie pour endiguer le chômage des jeunes. Tu as
une Union Africaine qui compte 54 États, un seul parmi eux, le Maroc,
possède un programme ambitieux de régulation migratoire et d’intégration
avec son SNIA (stratégie nationale d’immigration et d’asile).
« La
solution, ce n’est pas d’injecter des millions d’euros en Afrique
puisque la jeunesse ne voit jamais le fruit de cette politique »
Quelle pourrait être, selon vous, la solution?
Déjà
on a une lueur d’espoir avec la mise en place de l’observatoire
Africain des Migrations qui vient d’être inauguré à Rabat, au Maroc. Il
faut rappeler que c’ était une proposition du Maroc au niveau de l’union
et ce qui permettrait, espérons, de mettre en place une vraie
régulation de la migration africaine et des programmes de développement
pour fixer les jeunes. Et nous aurons enfin notre propre stratégie de
collecte des données et statistiques. La solution aux problématiques de
la migration doit rester africaine.
L’Europe a-t-elle, elle, échoué dans la gestion de ce phénomène ?
L’Europe
a échoué sur l’approche car sa réponse a toujours été répressive et
donc n’a jamais réussi à voir le fond du problème. La solution aussi ce
n’est pas d’injecter des millions d’euros en Afrique sur des projets de
coopération et de développement puisque la jeunesse ne voit jamais le
fruit de cette politique. L’Europe doit se démarquer des pays qui n’ont
pas une politique inclusive d’employabilité des jeunes, car la seule
alternative est bien sûr la croissance, mais aussi l’émergence et
l’épanouissement de la jeunesse.
Ici, la mort du petit Doudou a fait débat. Que faites-vous pour venir en appoint aux migrants mineurs ?
Nous
ne cesserons de condamner ce drame et sommes attristés de voir cela
dans un pays comme le Sénégal. Le mal est profond. Mais Notre position
est ferme sur ce sujet : la place des mineurs, c’est dans la famille.
Ils doivent rester chez eux, aucun mineur ne doit prendre la route de
la mort. C’est une responsabilité des parents, des élus mais aussi de
l’Etat.
Au
sein de notre organisme Kirikou nous accueillons les mineurs primo
arrivants avec un appui sur le logement temporaire, l’accès aux soins et
tout de suite un programme de formation payé par le contribuable
marocain. Ce qui prouve que le Maroc est bien engagé dans la démarche
d’une politique d’intégration. Après, ce processus, nous proposons un
programme de rétablissement des liens familiaux aux mineur pour un
retour au pays avec son diplôme de formation en main. Toutefois il faut
une bonne politique de l’Etat à l’arrivée pour que le jeune retrouve sa
place dans la société et renonce au départ.
Sont-ils nombreux les sénégalais qui passent par le Maroc pour rejoindre clandestinement l’Europe, et quel est leur sort ?
Nos compatriotes bien évidemment essaient ce périple. Malheureusement la plupart se solde par un échec tragique.
« J’ai pu toucher du doigt la vulnérabilité des migrants sur le terrain et surtout la précarité des enfants migrants »
vous avez eu un riche parcours dans le domaine de l’humanitaire. Comment avez-vous embrassé Ce métier ?
Tout
est parti de la fin de mon cursus universitaire à l’Université Paris 8
en droit international humanitaire. J’ai pu toucher du doigt la
vulnérabilité des migrants sur le terrain et surtout la précarité des
enfants migrants. Dans ce métier il faut avoir le courage mais aussi
l’espoir, mais une seule qualité que je possède me permet de continuer,
c’est l’énergie.
Comment se porte Kirikou au Maroc ?
Elle
est très présente, nous accompagnons plusieurs familles étrangères dans
leur parcours d’intégration et dans vie quotidienne. Notre leitmotiv
est la pérennisation de l’éducation des enfants et leur protection. La
crèche Kirikou en est l’illustration. Nous sommes aussi convaincus que
la société civile et l’Etat peuvent travailler ensemble pour trouver des
solutions adéquates à ce phénomène de migration aujourd’hui.
Expliquez-nous votre concept de crèche interculturelle et l’objectif que vous visez à travers?
C’est un concept unique, inédit car notre crèche est la première en Afrique et au Maroc par son identité qui est interculturelle et gratuite pour tous les enfants pendant toute l’année. Elle reçoit un nombre paritaire des enfants migrants et marocains avec un programme en arabe et en français. Ce qui permet aux petits de bien se préparer pour l’école publique. L’objectif d’ici 2 ans est de mettre en place 4 crèches.
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