Lansana Kouyaté parle : « Au lieu de continuer à se battre pour des fonctions… »
-Alors qu’Alpha Condé sera investi le 15 décembre 2020, l’ancien premier guinéen, Lansana Kouyaté vient de briser le silence ! L’opposant que nous avons interrogé par téléphone depuis Paris survole l’actualité politique de la Guinée au lendemain de l’élection présidentielle du 18 octobre, marquée par des violences. Dans cet entretien, le leader du parti de l’Espoir pour le Développement National (PEDN) propose une piste de solution pour sortir de la crise. De la main tendue du Chef de l’Etat, à la manifestation projetée par le FNDC, en passant par la lettre de Macron à Alpha Condé, l’opposant parle sans détours. Interview exclusive!
AFRICAGUINEE.COM : l’élection présidentielle du 18 octobre que vous aviez boycotté a débouché sur des violences meurtrières. Quelle est votre première réaction ?
LANSANA KOUYATE : Le processus qui a conduit à cette élection a été marqué par des arrestations, d’imposition de calendriers électoraux, de changement de constitution à la volée et surtout accompagnés de plusieurs personnes tuées. C’est inacceptable ! Ce n’est pas parce que je suis opposant, mais si notre pays veut aller de l’avant, ce sont des pratiques qui sont à abandonner purement et simplement. Quiconque dit le contraire n’aura servi qu’à la démagogie.
Est-ce que selon vous il fallait s’attendre à des lendemains aussi troublés ?
Oui, rien ne m’étonne et rien ne m’étonnera d’ailleurs. Rappelez-vous les cent premiers jours de ce Président, j’avais dit qu’on ne peut pas juger des actions. Mais en ce qui concerne les orientations, il est très facile de dire que l’orientation est mal faite. Nous allons dans la mauvaise direction et que le bilan était déjà globalement négatif.
Alpha condé devrait être investi le 15 décembre dans un contexte toujours très tendu. Quelles solutions de sortie de crise entrevoyez-vous pour la Guinée ?
Comme j’aime à le dire, il n’y a pas de paix sans prémisse de paix. La Paix qu’on recherche se sent avant que ça ne vienne. Elle se sent par l’arrêt des hostilités, elle se sent par la modération du langage, elle se sent par le respect des textes et ce qui a été commis comme erreur qu’on le corrige. Quand il n’y a pas ces prémisses, inutile de penser que le miracle viendra. Il est plus facile de faire des crises, même des guerres si on veut, mais il est beaucoup plus difficile de les résoudre. On sait quand on commence, mais on ne sait pas quand on finit. Ce qui est sur place aujourd’hui vous le savez très bien. Une constitution a été soumise au suffrage universel, ça ne se devrait pas. Une Assemblée nationale en est issue, cela ne se devrait pas et une élection présidentielle en est suivie cela ne se devrait pas non plus. Le système électoral est totalement corrompu, on le sait. Mais tout ça pourquoi ?
Il n’est donné à aucun homme de terminer ce à quoi il aspire pour son pays. Il n’est donné à personne d’achever les travaux qu’on a prévu. Pourquoi nous allons continuer à arrêter les gens, à les emprisonner pour un Oui ou pour un Non. Le dialogue ne peut pas finir tout ça ? Quand il y’a dialogue il faut respecter les règles. Ce qui est adopté comme accord il faut le respecter, ce n’est jamais fait en Guinée. C’est ça la vérité. Or il arrivera un temps où il faut qu’on se parle nécessairement. J’aime à le dire : l’histoire si douloureuse qu’elle soit, ne peut amener les gens ensemble qu’en en parlant. Comme on le dit souvent, il faut tourner la page mais je dis toujours qu’il ne faut jamais tourner la page avant de l’aborder. Il faut avoir ce courage de lire, quand on le lira, beaucoup comprendront qu’il y a des interprétations qui sont fausses, qu’il y a d’autres victimes qui ne sont même pas connues.
Selon vous il faut remettre tout à plat et de reprendre le processus ?
C’est ce qui serait sain parce que quel que soit ce qu’on dit, ce n’est pas pour occuper une fonction. C’est pour donner tout d’abord aux guinéens un système qui donne le sérieux au système. Un système qui sera élaboré sur la base d’un consensus et sur la base de ce qui est universellement accepté comme standard dans une élection. Mais lorsque vous avez le fichier électoral pourri, lorsqu’on ne sait même pas jusqu’à la fin, les affichages nécessaires pour que les uns et les autres sachent exactement s’ils sont bien enregistrés ou pas du tout ou s’ils sont enregistrés deux à trois fois, si leurs parents qui ne sont plus de ce monde sont toujours enregistrés (…), si on ne corrige pas tout ça, on se précipite et on va à une élection, cette élection ne peut qu’aboutir à des situations de tension. Aujourd’hui, il y a dans des pays africains de façon générale plusieurs raisons de conflits. Mais la raison qui attrait d’être une raison première, c’est les crises post-électorales. Il ne faut pas biaiser, il faut voir le problème en face et l’affronter. Au lieu de continuer à se battre pour des fonctions, il faut plutôt se battre pour mettre en place un système décent. C’est possible, puisque ça s’est fait dans beaucoup de pays africains, là-bas l’alternance se fait et les gens ne suivent même pas et ne savent même pas que tel président a quitté et un autre est venu dans certains pays. Malheureusement c’est ce qu’on ne voit pas assez en Afrique de l’ouest.
L’opposition est émiettée face au régime en place. Est-ce qu’il n’est pas nécessaire de réunifier toutes ces forces au sein d’un bloc pour repenser ce que vous venez de développer en vue de l’appliquer ?