Magal et Covid-19 : Une braise dans la poudrière
En plus d’offrir un
terreau fertile à la propagation du virus, comme l’ont démontré
plusieurs études, le magal est suivi par le gamou et d’autres cérémonies
religieuses. Ce qui fait de cette édition une véritable poudrière.
Le
Magal 2020 aura donc bien lieu comme les précédentes éditions. Après
avoir entretenu le flou pendant des semaines sur le mode de célébration
du départ de l’exil de Cheikh Ahmadou Bamba, Touba a fini par trancher.
Les fidèles sont ainsi invités à faire le déplacement dans la ville pour
une communion dans la ferveur religieuse. La pandémie de Covid-19
n’aura donc pas changé la donne, malgré les 300 morts au Sénégal et la
nouvelle vague en perspective et déjà réel dans les pays européens.
Pourtant,
ce rassemblement religieux n’est pas sans risque. Au contraire, c’est
une véritable poudrière dans ce contexte. L’attention des autorités
étatiques et religieuses a été d’ailleurs attirée là-dessus par les
auteurs du rapport ayant créé la polémique sur les risques de la tenue
de cet évènement.
«
Des études scientifiques ont montré que le Magal de Touba, malgré ses
atouts et apports, expose, à l’instar de beaucoup de grands
rassemblements humains, à des risques accrus de transmission de maladies
infectieuses, surtout les infections digestives et respiratoires. Tel
qu’illustré par l’édition de 2004 ayant concouru à l’extension d’une
épidémie de choléra dans le pays », souligne le document.
Cette
affirmation est confortée par l’épidémie de choléra de 1999. A
l’époque, le magal a eu lieu en fin mars. En avril, la situation s’est
dégradée. « Nous étions passés de 25 cas à un cas de choléra par jour
dans la ville de Touba, mais avec le pèlerinage, l’épidémie a connu une
flambée », se plaignait Amadou Moustapha Sourang, alors médecin-chef du
district de Touba.
Ce
risque de propagation tient à la difficulté, voire à l’impossibilité de
faire respecter les mesures barrières. Pour le cas de la Covid-19, les
recommandations vont dans le sens d’éviter les déplacements non
essentiels et les rassemblements, d’observer la distanciation sociale,
de porter le masque et de se laver régulièrement les mains. Or, le magal
ne s’accommode avec presque aucune de ses mesures.
Appels documentés à un magal à domicile
D’abord
cet évènement draine 4 à 5 millions de personnes selon une étude
réalisée en 2017 par le cabinet de l’économiste Moubarack Lo. C’est donc
un important mouvement de population venant de partout dans le pays, de
la sous-région et de la diaspora.
Pourtant,
la tabaski célébrée quelques mois avant le magal a donné une idée assez
nette de ce que pourraient être les conséquences. Dans une contribution
assez critique datée du 15 août 2020, l’ancien ministre de
l’Enseignement supérieur Mary Teuw Niane reprochait au gouvernement sa
passivité pour n’avoir pas joint des mesures administratives aux appels
du ministre de la Santé à fêter la tabaski sur place.
La
conséquence est que le virus s’est fortement propagé. En fait, Mary
Teuw Niane a comparé les chiffres sur la Covid-19 entre la semaine du 25
au 31 juillet 2020 qui se termine le jour de la Tabaski et ceux de la
semaine du 9 au 15 août 2020. Ce mathématicien a donc laissé écouler une
semaine considérée comme la période d’incubation. Le résultat est sans
appel. La transmission communautaire a connu une augmentation de 340 %,
passant de 140 à 616 cas. D’où l’appel de l’ancien ministre à une
anticipation.
«
Nous devons tirer des leçons positives des errements de la gestion de
la maladie lors des grands déplacements de la Tabaski. Ainsi les
pouvoirs publics devraient-ils assumer leur leadership, anticiper, alors
qu’il est encore temps, sur les grandes manifestations religieuses à
venir pour éviter tout rassemblement qui risque de démultiplier les cas
positifs et de les disperser dans le pays », préconise-t-il. L’Etat a délégué ses pouvoirs
Mary
Teuw de faire remarquer que l’Arabie Saoudite a donné le bon exemple en
organisant le pèlerinage 2020 de façon symbolique, avec juste 10 000
pèlerins. Mais son appel est finalement tombé dans l’oreille d’un sourd.
Interpelé
sur la question, le ministre de l’Intérieur a dégagé ses
responsabilités, avec un ton qui semble inviter Serigne Moutakha à ne
pas opter pour le rassemblement. «Ce n’est pas moi qui organise le
Magal. Mais le khalife nous écoute sur tous les points. Il est au
courant de ce qui se passe dans ce pays. Il sait que la maladie est une
réalité. (…) Le moment venu, les décisions appropriées seront prises par
le khalife avec l’objectif de protéger les Sénégalais de la maladie».
La suite, on l’a connait.
Et
pourtant, force est d’admettre il n’est presque possible, en aucun
moment du magal, de respecter les gestes barrières. Les bousculades dans
les gares routières, les conditions de déplacement dans les moyens de
transport peuvent être de puissants vecteurs. Vient ensuite la
promiscuité dans la ville, plus que jamais propice à la propagation des
maladies respiratoires, comme l’ont déjà montré de nombreuses études. «
Les pénuries en eau, très courantes en période de Magal, pourraient
impacter (aussi) sur le respect des règles d’hygiène à même de prévenir
les contaminations », renchérit le rapport sur magal et Covid.
En
outre, Même si toutes les conditions matérielles étaient réunies, les
mesures barrières ne seraient quand même pas respectées. Les réalités
socioculturelles ont déjà montré la difficulté des Sénégalais de se
conformer à ces exigences. Et c’est encore plus difficile avec les
pratiques religieuses chez les mourides. Réalités socioculturelles et esprit mouride
En
effet, il est difficile, voire illusoire d’interdire les fidèles de se
masser aux alentours de la mosquée, de se précipiter dans les mausolées
des anciens khalifes généraux. D’ailleurs, on note déjà une
contradiction à ce niveau entre acteurs. Pendant que le Professeur
Massamba Diouf, membre de l’unité d’alerte et de prévention
épidémiologique mise en place par le Khalife général des mourides
déclare que tous les mausolées seront fermés, sauf celui de Cheikh
Ahmadou Bamba. Le Dahira Mouhadimatoul Khidma, par la voix de Matar
Kane, vient derrière pour démentir et affirmer que tous les mausolées
seront ouverts, avec respect des gestes barrières.
Outre
les ziars, les moments de partage du festin appelé berndé, les poignées
de main portées à la bouche sont autant de pratiques en contradiction
avec les mesures barrières édictées dans le cas de la Covid-19.
A
tout cela s’ajoute le fait que la population de Touba n’a jamais cru à
l’existence de ce virus mortel. Le gouverneur de Diourbel a été obligé
de lancer un cri de d’alerte au début de la maladie pour que la
population soit consciente du danger, mais rien n’y fait. Aujourd’hui
encore, le port du masque reste un luxe à Touba.
Devant
le domicile du Khalife, le masque permet parfois de faire la différence
entre les membres de la délégation venue de Dakar et ceux qui habitent
de Touba.
D’ailleurs, la défiance vis-à-vis du virus et des autorités sanitaires
fait qu’il n’existe presque plus de test dans la ville. « A Touba, nous
sommes restés quelques jours sans attaque, mais il y a toujours le
problème des prélèvements qui se pose », se plaignait le médecin chef de
la région, Dr Moustapha Dieng, lors de la visite de Dr Abdoulaye Bousso
à Touba lors du week-end du 12 et 13 septembre.
Après le magal, le Gamou
La
manifestation spontanée observée la première nuit du Safar semble
donner une bonne indication de ce que sera le magal. D’ailleurs, les
rédacteurs du rapport sur magal dans le contexte de Covid-19 ne s’y sont
pas trompés. La mise en garde est sans équivoque. « L’hypothèse d’une
multiplication exponentielle des cas et d’une propagation fulgurante du
Covid-19 à travers toutes les régions du Sénégal, qui serait imputable
au Magal, est ainsi une éventualité non négligeable que le leadership
mouride devra sérieusement envisager et pallier, dans la mesure du
possible », prévient-on. Peine perdue !
Et
c’est là ou justement le magal 2020 reste très sensible. En effet, en
cas de démultiplications des cas, il faudra nécessairement prendre des
mesures pour limiter les dégâts. Et il n’y a rien de mieux que de
limiter les déplacements et d’interdire les rassemblements. Or, le
Mawlid, communément appelé Gamou intervient 3 semaines après le magal,
comme l’a si bien souligne le ministre de l’Intérieur. Là aussi, ce sera
des millions de personnes qui vont se rassembler dans les différents
foyers de la Tidianya, Médina Baye et Tivaouane en particulier.
L’Etat
pourra-t-il alors interdire cet évènement religieux ? Rappelons que le
ministre Aly Ngouille Ndiaye a déjà indiqué qu’il n’a pas son mot à
dire. Faut-il alors laisser la situation s’empirer ? Une chose est sûre :
un traitement discriminatoire peut conduire à la révolte comme ça été
observé à Léona Niassène sur la fermeture des mosquées. La question est
donc plus que jamais délicate et le risque réel. Sans compter les
conséquences économiques d’éventuelles nouvelles mesures de
restrictions, pour un pays ayant passé de plus de 6% de croissance à
moins de 1%, avec un déficit budgétaire qui a glissé de 3 à 6% du Pib.
En
définitive, l’Etat ayant délégué ses pouvoirs aux autorités
religieuses, il ne reste qu’à tendre les mains à Allah Le Tout Puissant
au nom de qui tout cela est fait pour conjurer le mauvais le sort et
éviter ainsi une explosion.