Garde rapprochée : Zoom sur ces « bodyguards » au féminin
Depuis quelque temps, le métier de garde du corps devient de plus en plus une affaire de femmes. Dans les manifestations politiques, religieuses, culturelles ou autres, elles assurent la sécurité d’autorités ou d’autres personnalités. Et beaucoup d’entre elles ont embrassé cette profession par amour.
En
uniforme noir, le fusil entre les mains, Rockya Ndiaye effectue des
exercices de sécurité. Derrière une personne présentée comme une
autorité, elle simule les gestes de protection contre une attaque. Comme
dans une vraie scène, elle se montre déterminée à contrer toute
attaque. Dans une salle de gymnastique au Collège Sacré-Cœur, la jeune
dame est en pleine formation pour exercer le métier de garde du corps.
Rockya est inscrite au Centre Man Krav Maga dirigée par le Major Mamadou
Abdoulaye Niang. Sa taille moyenne et ses formes généreuses accentuent
son charme. Très à l’aise sur le tapis, elle enchaîne des démonstrations
qui rassurent son formateur. Et son amour pour le métier se lit sur son
visage. Dans cette salle, ils sont plus de 20 gardes rapprochés, dont
11 femmes, à gagner leur pain en protégeant des personnalités, des
hommes d’affaires et autres stars de la planète people. Jadis réservé
aux hommes, le métier de garde du corps se féminise de plus en plus sous
nos cieux. Et depuis un certain temps, il est même devenu le rêve de
certaines femmes qui prennent plaisir à l’exercer. En dépit des risques,
des insultes et des préjugés.
«Certains nous traitent de garçon manqué»
Rockya est de ces femmes qui font un doigt d’honneur aux
considérations misogynes et qui se moquent des stéréotypes. Agée de 24
ans, Rockya Ndiaye habite aux Parcelles Assainies (Dakar). Quand elle a
quitté l’école en classe de CM2, la jeune fille commence à nourrir un
amour pour le métier. C’est en 2015 qu’elle verra son rêve se
matérialiser. La voix grave, elle explique : «C’est mon amour pour les
arts martiaux qui m’a poussée à faire ce métier. Avant, je pratiquais la
boxe et le kung-fu. J’ai toujours rêvé d’exercer cette profession. La
protection rapprochée a toujours été un rêve de gamine», souffle Rockya,
le sourire en coin. Dans sa carrière, elle dit avoir couvert pas mal
d’événements, religieux comme culturels. Cependant, poursuit-elle, la
garde rapprochée est un métier qui comporte d’énormes risques. Dans ce
monde où pullulent les machos, ces femmes ont du mal à se faire accepter
par leurs collègues hommes et même par leur entourage. La plupart
essuient des critiques concernant leur habillement et leur comportement
qui les assimilent à des «mecs». Mais la jeune femme a l’habitude de ses
tacles et a appris, au fil des années d’expérience, à ne pas se laisser
distraire par ces écueils. Elle dit : «Nous assurons la sécurité de
nombreuses personnalités religieuses comme politiques, d’hommes
d’affaires et des stars du show-biz dans ce pays. Aujourd’hui, même si
le Président nous sollicite, on sera prêtes. Quand on est en service,
c’est la personnalité qu’on protège qui importe le plus. On sacrifie
notre vie pour la sienne. Sur le terrain, nous sommes sujettes aux
insultes et aux menaces. D’autres nous traitent de garçon manqué.
Parfois on rencontre des gens malintentionnés qui ne viennent que pour
nous intimider. Heureusement qu’on est formé pour faire face à tous ces
obstacles. Dans notre métier, il est impératif d’être tolérant,
professionnel et intelligent pour sortir de ce genre de guêpier. Et,
grâce à Dieu, on réussit à tout surmonter.»
«Il faut être une femme courageuse pour le faire»
Avec flegme et abnégation. Comme on le leur enseigne lors de leur
formation au centre Man Krav Maga. Dans cette salle de sport
gigantesque, logée au Collège Sacré-Cœur, les entraînements vont bon
train, ce jeudi matin. Hommes comme femmes effectuent les mêmes
exercices. Ici, la pratique du sport est collective. Ils font des
exercices physiques, techniques et comportementaux. Dieynaba Diallo est
aussi garde du corps, membre du centre dirigé par le Major Mamadou
Abdoulaye Niang. Assistante, elle coordonne tous les exercices physiques
dans ce centre. La moue affable, le regard franc, elle confie : «Je
fais ce job par amour. Le métier de garde du corps n’est pas une chose
facile. Il faut être une femme courageuse pour le faire.» Et pour
avancer dans cette profession, Dieynaba est d’avis qu’il faut savoir
résister aux critiques des gens. «Ce métier était une affaire d’hommes.
Maintenant, il faut comprendre qu’on est dans un monde de parité. Tout
ce l’homme sait faire, la femme aussi doit pouvoir le faire. Les femmes
peuvent valablement être des gardes du corps», confie-t-elle. Pour
Dieynaba, la garde rapprochée est un art très compliqué. Mais,
souligne-t-elle, «avec un minimum de courage et de volonté, on peut y
arriver». Depuis deux ans, Dieynaba exerce ce métier. Elle a eu à
assurer la sécurité de plusieurs personnalités.
«On ne choisit pas les personnes pour qui on assure la sécurité.
C’est le centre qui nous envoie en mission et on exécute sans hésiter,
car la discrétion est essentiel dans notre métier», rassure la
trentenaire. Selon Dieynaba, il y a des femmes gardes du corps qui ont
fait l’Armée avant d’atterrir dans ce métier. Aussi soutient-elle que,
pour être une bonne garde du corps, il faut nécessairement faire une
formation, avoir un bon comportement, du respect et de l’humilité envers
les populations. Si Rockya dit faire face aux intimidations et injures,
Dieynaba, elle, assure bien soutenir le regard des autres sur sa
personne. Puisqu’il n’est empreint que de respect et d’admiration. «Quel
que soit le métier qu’on exerce, si on se respecte, les autres vont
forcément nous respecter. Les gens de mon quartier me respectent
beaucoup. Certains n’ont qu’admiration pour mon métier», confie la jeune
dame qui revendique sa féminité avant tout. «Je suis une femme et comme
toute bonne femme, je cuisine et je fais le ménage. Je me lève chaque
jour à 5H du matin pour faire le ménage avant d’aller aux entraînements à
8H. Ce métier ne change rien à mes habitudes», se réjouit-elle. Une
féminité consommée qui ne freine en rien les ambitions de Maguette Lô
qui émarge au registre des gardes du corps depuis 2015. Dans son
uniforme kaki, la jeune dame au physique d’athlète voit une grande
noblesse dans sa profession, malgré les nombreux risques que compte le
métier.
«Nous sommes exposées à toutes sortes de dangers. Parfois, on nous
amène en mission dans des zones inconnues et difficiles, dans des
milieux qu’on ne maîtrise pas. On peut tomber sur des missions très
difficiles où il y a du grabuge. Dans ce genre de missions, les risques
sont énormes et le garde du corps est très exposé. Devant protéger une
personnalité, la personne du garde du corps est au premier plan. Et les
gens ne font jamais le distinguo entre un homme et une femme. Ils se
disent qu’ils ont en face un garde du corps et c’est tout.» Face à ce
type de situation, Maguette fait appel à son savoir-faire et à son tact
pour réussir sa mission sans esclandres. Car sur le terrain comme dans
la vie, Maguette n’aime pas attirer la lumière sur elle. Discrète, sa
profession de garde du corps est méconnue de la plupart de ses voisins
de quartier. «A l’exception de ma famille, de mes collègues et des gens
pour qui je travaille, mon voisinage ignore le métier que j’exerce. Ils
peuvent m’apercevoir à la télé aux côtés d’une autorité ou de stars,
mais ils ne comprennent pas. Et pour éviter les questions, j’évite de
porter mon uniforme à la maison. Nous constituons une curiosité pour les
non-avertis, mais ce job est juste un métier comme tant d’autres»,
sourit-elle. Et elles sont des femmes comme toutes les autres, avec des
projets de vie.
Rockya Ndiaye en est convaincue. Pour la jeune dame, le métier de garde du corps ne bouscule en rien ses projets de vie à deux. Après le service, la garde du corps redevient une femme. Tout court. En couple, avec le rêve de se marier et de fonder un foyer. «Je suis en couple et je compte me marier un jour. Quand je suis en service, je suis une garde du corps et quand je suis hors du travail, je suis une femme comme toutes les autres. Ma fonction ne m’empêche pas d’être une vraie femme», explique-t-elle. Maguette Lô d’en rajouter une couche : «Le métier n’a aucun impact sur notre vie amoureuse. Le métier ne rebute pas les hommes. Pour preuve, certaines gardes du corps sont aujourd’hui mariées et gèrent leur foyer. Nous sommes source de fierté dans nos familles. Et pour les autres. Comme lors de cette manifestation religieuse où, étant la seule femme dans l’équipe de gardes du corps, Maguette Lô a reçu les hommages et les félicitations de plusieurs personnalités, satisfaites de sa prestation. Une source de motivation permanente pour elle. Et pour ses paires.