Lettre ouverte au Directeur General de la Sonatel : La destruction de l’antenne de Gandoul est une amputation catastrophique de l’histoire du Sénégal
Lettre ouverte au
Directeur General de la Sonatel : La destruction de l’antenne de Gandoul
est une amputation catastrophique de l’histoire du Sénégal
Monsieur le Directeur Général,
C’est
avec une grande stupéfaction que nous avons constaté, à travers les
réseaux sociaux mais également directement sur le terrain, le
démantèlement par la SONATEL de l’Antenne principale de la station
terrienne de GANDOUL (Sébikhotane).
Dans
un souci de vérification, nous avons privilégié l’échange avec vos
services qui nous ont confirmé l’effectivité du processus.
Nous
aurions souhaité vous rencontrer et en discuter directement, mais il
est à craindre que les délais exigés par le protocole d’une demande
d’audience ne nous en laissent pas le temps car à ce jour, jeudi 03
Septembre 2020, plus de la moitié de la parabole est déjà enlevée.
Monsieur le Directeur,
vous le savez certes déjà, mais il est important de rappeler pour le
public sénégalais, que cette antenne revêt un caractère historique qui
devait, à tous les niveaux, la classer définitivement dans le patrimoine
technologique du Sénégal !
En
effet, avec son diamètre 30 mètres, c’est la toute première antenne de
ce genre installée en Afrique. Le chantier a démarré en 1970 par la
construction des bâtiments, et s’est poursuivi par la mise en place des
équipements techniques et radioélectriques en 1971. Elle fut inaugurée
le 5 Avril 1972 par le Président Léopold Sédar Senghor en présence des
membres du Gouvernement et de tous les députés de de I’Assemblée
Nationale, témoignant la vision manifeste de notre jeune nation à
exceller dans le secteur stratégique des télécommunications. Elle fait
partie, de ce fait, du patrimoine des télécommunications au Sénégal mais
aussi en Afrique.
Dans
sa conception, cette antenne démontre la qualité exceptionnelle de nos
ressources humaines avec le leadership assuré par M. Alassane Dialy
Ndiaye, reconnu comme le premier africain spécialisé dans les
télécommunications spatiales et qui dirigea TELESENEGAL. En 1985 en
intégrant les Télécommunications Intérieures TELESENEGAL deviendra la
SONATEL. Gandoul a contribué à la formation des pionniers du secteur des
télécommunications en Afrique : des dizaines de Techniciens et
Ingénieurs du Sénégal, de Gambie, Sierra Leone, Liberia, Gabon, Togo,
Congo y ont été initiés aux Télécommunications par Satellite. La station
de Gandoul a ouvert l’ère des Télécommunications modernes à notre Pays
et à l’Afrique.
Elle
a permis au Sénégal, en 1972 de démarrer la Télévision Publique. C’est
ainsi que nous avons pu assister en direct aux Jeux Olympiques de
Munich, et par la suite aux grands évènements mondiaux. Grâce à
l’antenne de Gandoul le Sénégal a participé au programme des USA mené
dans les années 1970 pour la compréhension de l’origine et de
l’évolution des ouragans dans l’Atlantique Nord.
Cette
antenne est aussi entrée dans l’histoire de l’exploration spatiale en
jouant un rôle capital dans la réussite du programme de la Navette
Spatiale Columbia de la NASA. En effet, à partir de 1981, elle a servi
de station de Tracking (suivi), de contrôle et de communications dès les
premiers essais de la navette spatiale américaine. Une contribution
décisive et reconnue par un diplôme de la NASA, et en 1992, la visite à
Gandoul de l’astronaute Kenneth « KEN » BOWERSOX, Commandant de la mission
STS 50. Il décerna aux techniciens BACHIR NASRE et PAUL CORREA le
« Silver Snoopy Award », une distinction que les astronautes de la navette
spatiale remettaient à certaines personnes en guise témoignage de leur
importance dans la réussite de la mission. C’est une reconnaissance pour
le Sénégal entier !
Cette
antenne parabolique de Gandoul avait aussi pour rôle de connecter le
Sénégal et l’Afrique au reste du monde de manière sécurisée et
entièrement autonome. C’est une station terrienne qui a permis la
communication satellite au Sénégal bien avant l’avènement des sociétés
de téléphonie mobile et de communication. A ce titre, une fois de plus,
elle est à inscrire en lettres d’or dans le patrimoine du Sénégal et de
l’Afrique entière.
Monsieur le Directeur Général,
après ce rappel qui ne montre qu’une portion infime de la valeur
technologique et historique de cette infrastructure, nous tenons à
mettre l’accent sur la réalité qui fait aujourd’hui, de la SONATEL, le
fleuron des entreprises sénégalaises. La SONATEL est une fierté pour le
Sénégal, à la pointe de la technologie et qui s’active à développer le
secteur de l’innovation. Et c’est bien pour cette raison qu’il devient
extrêmement difficile de comprendre qu’elle en arrive à décider
d’effacer une infrastructure aussi importante dans l’histoire de la
marche scientifique de la Nation.
Nous
ne pourrons jamais construire un futur technologique si nous effaçons,
dès aujourd’hui, les témoins de nos efforts et réussites du passé.
Pendant
que vous démontez l’antenne de Gandoul, les dispositifs similaires en
Algérie et en France, par exemple, bénéficient d’une attention bien
particulière : en Algérie, l’antenne est dans un musée et en France
depuis 2004, elle bénéficie d’un classement aux monuments historiques du
20e siècle.
Au
moment où le Sénégal investit massivement dans la réorientation des
enseignements et formations vers les sciences, et cherche à intéresser
les jeunes générations aux filières scientifiques, la destruction en
catimini de cette antenne sonne non seulement comme une grave amputation
de notre histoire mais surtout comme une élimination définitive d’un
important vecteur de création de vocation.
Monsieur le Directeur Général,
le regretté Joseph NDIAYE, ancien Conservateur de la Maison des
Esclaves de Gorée, avait l’habitude de dire que « l’Histoire ne ment
pas ». Et malheureusement, avec cet acte de démolition, l’histoire de
cette antenne racontée aux générations futures ne bénéficiera, dans le
meilleur des cas, que d’un banal « Ah bon ? ». Signe d’étonnement ? Signe
d’incrédulité ? L’histoire nous le dira !
Mais
imaginez, d’un autre côté, son apport si elle est conservée, trônant
fièrement au milieu des baobabs à la sortie ou à l’entrée de la
dynamique ville de Diamniadio, nouveau symbole du progrès technologique
du Sénégal avec la construction de la Cité du Savoir ou du Parc de
Technologies Numériques (PTN). Imaginez, Monsieur le Directeur Général, l’impact
que peut avoir la visite de cette infrastructure dans la conscience des
jeunes élèves, en quête de référence dans le domaine scientifique.
Nous-nous
attendons déjà à toutes les explications et justifications possibles
comme la vétusté du matériel, le risque sécuritaire qui en découle, le
coût de l’entretien d’un équipement hors d’usage, l’installation de
nouveaux équipements sur le site … mais c’est bien cela la valeur de
l’histoire : elle s’entretient ! Il est possible de restaurer cette
antenne, de la sécuriser et d’en faire un musée qui rentre dans le
circuit touristique sénégalais.
Aujourd’hui
les navettes spatiales ne sont plus en activité, la fusée SATURNE 5 qui
a fait le succès des missions Apollo n’est plus d’actualité et
Spoutnik, le premier satellite artificiel de l’humanité date de 1954,
mais tous ces équipements ou leurs copies, occupent une place
privilégiée dans les plus grands musées du monde et sont au cœur d’une
attention particulière de la part de leur nation.
Monsieur le Directeur Général,
la construction de nouvelles infrastructures ne sera pas non plus une
raison suffisante. En guise d’exemple, sous prétexte de la construction
d’un nouveau dispositif reliant l’ile de Saint-Louis à Sor, il reste
impensable que le mythique et historique Pont Faidherbe soit démantelé
ou détruit. Ce serait un sacrilège !
Tout comme il est impensable que la Tour Eiffel soit détruite sous prétexte de la construction d’un nouveau monument a Paris.
Pour
toutes ces raisons, nous vous appelons, Monsieur le Directeur Général
de la SONATEL, a reconsidérer ce processus, hélas déjà avancé, de
destruction d’une infrastructure historique, patrimoine national et
africain, qui mérite toute l’attention du Sénégal.
Dans
le pire scénario, reconstituez et réinstallez-la au coeur de la Cité du
Savoir ou du Parc de Technologies Numériques (PTN) de Diamniadio, ou
bien trouvez-lui une place au milieu des baobabs et transformez le site
en Musée des Télécommunications.
Mais de grace, Monsieur le Directeur Général,
n’effacez pas plus de 30 années de notre histoire et d’une difficile
marche vers la maitrise technologique en mesure de soutenir notre
ambition de développement durable Nous taire, devant une telle
situation, serait une grave trahison de la cause des générations futures
que nous appelons a porter le flambeau de la renaissance scientifique
de I’Afrique Nous espérons vivement, une considération distinguée a cet
appel, que nous adressons également a la plus Haute Autorité du pays,
son Excellence Monsieur Macky SALL, Président de la République du
Sénégal.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur Général, I’expression de nos sentiments distingués.
SIGNATAIRES :M. Maram KAIREChevalier de l’Ordre National du LionIngénieur Systèmes & astronomePrésident de l’Association Sénégalaise d’Astronomie National Astronomy Education CoordinatorM. Alassane Dialy NDIAYEIngénieur Sup’Télécoms ParisDirecteur Général-Fondateur de la SONATELMembre de l’Académie Internationale d’AstronautiqueMembre-Fondateur de l’Académie Nationale des Sciences et Techniques du Sénégal Ancien Ministre d’État