Intervention militaire au Mali : La Cédéao face à une aventure périlleuse
Pour déloger les putschistes et réinstaller IBK, les chefs
d’Etat ont demandé, entre autres, la montée en puissance de la force en
attente de la Cedeao. Un prétexte pour se pencher sur cette armée plus
virtuelle que réelle. Et dont l’intervention pourrait faire sauter le
verrou malien et embraser la sous-région.
Parmi
les résolutions retenues lors de la conférence virtuelle des chefs
d’Etat de la Cédéao du 20 août, il y a la montée en puissance de la
force en attente de l’organisation régionale. Ce qui sous entend que
parmi les options de la Cédéao, il y a une intervention militaire au
Mali pour rétablir le président Ibrahim Boubacar Keïta, comme cela été
exigé d’ailleurs dans le communiqué final.
Une
éventualité qui fait appel à deux questions. La première d’ordre
juridique et l’autre d’ordre opérationnel, pour ne pas dire militaire.
D’abord
sur le plan juridique, la Cedeao a-t-elle la légitimité de faire
intervenir la force au Mali? Si l’on s’appuie sur le protocole
additionnel de la Cedeao, la réponse est oui. Pourtant, cet argument à
lui seul ne suffit pas aux yeux de certains. D’abord parce que, souligne
le colonel Babacar Diouf, militaire à la retraite, il y a une
interprétation unilatérale des textes par les chefs d’Etat. « Le
protocole additionnel dont il est question mentionne aussi la
gouvernance. Mais ils ne l’ont jamais appliquée », objecte-t-il.
Ensuite,
ajoute le juriste Mamadou Yaya Diallo, enseignant à la Faculté de
Droit, les textes de la Cedeao uniquement ne permettent pas d’intervenir
au Mali. « La Cedeao ne peut intervenir au Mali sur le plan militaire,
sans recevoir l’aval du Conseil de sécurité de l’Onu. La charte des
Nations Unies prévoit en son article 53 que les organisations régionales
ne sauraient recourir à la force armée, sans y être autorisées par le
Conseil de sécurité », clarifie-t-il.
Or, pour
le moment, rien n’indique que cet organe des Nations Unies a donné son
feu vert à la Cedeao. Même si dans la pratique, reconnait le juriste
Diallo, il peut arriver des interventions en violation du droit
international.
6 interventions depuis 1990
Pourtant,
dans l’histoire de la Cedeao, il y a eu plusieurs interventions
militaires. La première a eu lieu en 1990 au Libéria, lors de la guerre
civile. Il y a eu ensuite la Sierra Léone en 1995, La Guinée Bissau en
1998, la Cote d’Ivoire en 2000 et même le Mali en 2013.
Même
si cette dernière mission n’a duré que 3 mois avant de céder la place à
la Mission internationale de soutien au Mali dirigée par l’Union
africaine. Toutes ces interventions, sans compter celle menée en Gambie
en janvier 2017, sous la conduite du Sénégal.
Mais
pour le Colonel à la retraite Mamadou Adje, la situation actuelle au
Mali n’a rien à voir avec celles qui avaient justifié les précédentes
interventions. « Dans le cas de la crise politique au Mali, nous sommes
dans un « Pronunciamiento » où l’armée, face à une déliquescence totale
du pouvoir suite à des manifestations de défiance de la population,
décide de prendre ses responsabilités pour rétablir la stabilité du pays
sans effusion de sang, d’autant plus que le pays est déjà engagé dans
une crise au Nord », analyse cet expert en gestion de situations
d’urgence, spécialité des Affaires civiles et de la Communication de
défense.
Au Libéria par contre, dit-il, ce sont
les rivalités entre groupes de combattants après l’assassinat du
président en exercice Samuel Doe qui a justifié l’intervention. En Cote
d’Ivoire et en Gambie, c’est plutôt l’interruption du processus
électoral ou le refus des résultats issus des urnes qui ont conduit à
une crise institutionnelle. Ainsi donc, conclut-il, chaque cas appelle
une évaluation intelligente qui doit aussi prendre en compte l’intérêt
des populations.
Une armée plus virtuelle que réelle
Par
ailleurs, au-delà des aspects liés à la légitimé, se pose une question
fondamentale : la capacité de la Cedeao à réussir une intervention
militaire au Mali. Cette interrogation renvoie à deux points : la
capacité de mobilisation des troupes et la gestion de la réalité sur le
terrain.
En fait, la force en attente de la
Cedeao est une armée virtuelle. Elle est l’une des 5 branches régionales
(Ouest, Est, Centre, Nord, Sud) de la force africaine en attente (FAA).
Cette force de la Cedeao est de 5 000 à 7 000 hommes.
En
fait, le schéma retenu est que chaque pays membre mobilise 500
éléments. Ce qui fait un effectif mobilisable de 7 500 hommes,
théoriquement mobilisables. Quant à l’effectif réel à envoyer sur le
terrain, il est choisi en fonction de la mission et des réalités de la
zone d’intervention. Ce qui fait qu’au Mali par exemple, environ 3 000
hommes ont été déployés en 2013, contre 7 000 hommes en Gambie. Dans
tous les cas, chaque brigade doit comprendre des soldats, des policiers
et des civils, avec une pluridisciplinarité, car chaque mission intègre
également une donnée humanitaire.
Cependant,
cette mobilisation des troupes reste le talon d’Achille de la force
armée de la Cedeao. L’intervention au Mali en 2012 et l’absence de la
Cedeao en Côte d’Ivoire en 2010 en sont une parfaite illustration. Face à
la crise postélectorale à Abidjan, l’organisation avait déclaré que
face au refus de Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir, elle n’aurait
«d’autre choix que de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris
l’usage de la force légitime, pour réaliser les aspirations du peuple
ivoirien ».
Mais cette intervention n’a jamais
eu lieu. D’abord parce que le déploiement était plus complexe qu’on ne
le disait. Ensuite, certains pays comme le Ghana n’étaient pas d’accord.
Aujourd’hui encore, on se rend compte de toute la difficulté de parler
le même langage. Là où Ouattara et Condé sont pour la méthode dure,
Macky Sall et Issoufou prônent la pédale douce.
Mobilisation, commandement, logistique et finance
Au
Mali, après le coup d’Etat du 22 mars 2012, les chefs d’Etat de la
Cedeao se sont réunis à Dakar le 2 avril pour décider d’une mobilisation
‘’immédiate de la force en attente’’. Et pourtant, ce n’est qu’en
janvier 2013 que le déploiement a eu lieu. Soit 10 mois de retard. Or,
rien ne permet de penser qu’il y a eu une avancée entre temps. « La
Cedeao n’a pas toujours la capacité de projeter ses forces », affirme le
colonel Babacar Diouf.
« Sur le papier, on est
très avancé. Mais il faut reconnaître que les ressources ne sont pas là,
ce qui rend l’équation difficile », admettait, en 2017 sur France 24, le
Général de brigade malien Moussa Coulibaly, directeur général de
l’école de maintien de la paix de Bamako.
Pourquoi
alors l’intervention de la Cedeao en Gambie a été si rapide. En fait,
ajoute l’officier malien, cette intervention à Banjul était celle du
Sénégal sous couvert de la Cedeao. « L’intervention a été facilitée car
les forces étaient déjà disponibles. La Cédéao ne fait que s’appuyer sur
un scénario que le Sénégal avait prévu depuis longtemps », confiait le
Général malien Moussa Coulibaly. D’ailleurs, on se rappelle que le
Sénégal avait fourni le gros lot de la troupe.
Et
c’est justement ce point qui retarde les interventions. Car, à chaque
fois, il faut demander à chaque pays de fournir un contingent. Viennent
ensuite la question du commandement. « La mobilisation d’une force
militaire basée sur la mutualisation des moyens exige la nomination d’un
commandement seulement après la signature de la résolution. Seules les
Force d’Action Rapide ont un Commandement dédié, ce qui n’est le cas de
forces internationales ou africaines », détaille le colonel Mamadou
Adje.
Même chose pour les aspects logistiques
ainsi que la finance. Des questions toujours restées entières. « Le
financement de forces doit rester en grande partie sur les Etats membres
pour éviter un dictat des bailleurs. Mais cette question n’est pas
encore résolue et pèse sur la disponibilité opérationnelle de la force
africaine », renchérit le colonel Adje.
Connexion avec Boko Haram
Autant
de questions opérationnelles, sans compter la réalité du terrain. En
effet, les risques d’une intervention militaire sont énormes. Le Mali
pourrait être pour la Cedeao ce que l’Afghanistan est devenu pour les
Américains. A la différence que l’Afghanistan n’est pas sur le
territoire américain. « Le Mali, c’est beaucoup plus dangereux que ça.
En cas d’intervention, que faire de la population si elle se range
derrière les militaires. Est-ce qu’il faut tirer sur elle », s’interroge
le colonel Babacar Diouf.
Selon ce dernier, il
faut voir au-delà de Bamako et s’interroger sur ce qui s’est passé
ailleurs. En effet, fait-il remarquer, outre les militaires et la
population, il y a aussi les groupes armées au Mali mais aussi certaines
figures religieuses. « Il y a cet imam Dicko, qui est-il ? Quelle
idéologie il défend ? C’est un wahhabite comme tous ceux qui ont dirigé
Boko Haram. Vous voyez parfois des groupes religieux, vous pensez qu’ils
défendent une idéologie, alors qu’ils sont des représentants locaux des
puissances étrangères », souligne colonel Diouf. Ce dernier en veut
pour preuve le transfert des Jihaddistes qui étaient en Syrie vers la
Libye, sous l’impulsion, dit-il, de la Turquie.
Ainsi
donc, si jamais le Mali se retrouve dans le chaos, c’est toute la
sous-région qui va en pâtir. « Une intervention au Mali aura des
conséquences incalculable sur la stabilité de l’Espace Cedeao. Les
conséquences les plus visibles seront liées à l’expansion du terrorisme
par la corrélation entre les Jihadistes du Mali et Boko Haram. La
Cedeao ne se relèvera pas d’une offensive Jihadiste au-delà du verrou
malien », avertit le colonel Adje.
Pourquoi
alors les chefs d’Etat de la Cedeao ont mis sur la table l’option d’une
intervention militaire ? Le juriste Mamadou Yaya Diallo pense qu’il
s’agit juste de simples menaces destinées à intimider les putschistes
afin qu’ils rendent le pouvoir au plus vite.
Dans
tous les cas, au vu de la difficulté de mobiliser les troupes et des
conséquences d’une intervention, il y a fort à parier que les chefs
d’Etat ne prendront pas le risque d’engager une confrontation armée,
surtout que Macky, Ouattara et Cie peinent à trouver un écho favorable
auprès de l’opinion.