Violences conjugales : Derrière la plainte, le travail des enquêteurs dans l’intimité des couples
- A Saint-Denis, le nombre de procédures ouvertes pour des violences conjugales a augmenté de 15 % entre 2018 et 2019.
- Un important travail de sensibilisation a été mis en place pour faciliter l’accès à la plainte.
- En 2019, selon les chiffres transmis par la préfecture, le taux d’élucidation dans les dossiers de violences conjugales dépassait les 41 % à Saint-Denis, soit 10 points de plus qu’en 2018.
A peine assis derrière son bureau, Philippe Cisé s’excuse. Ce mercredi, les six autres policiers de la brigade locale de protection de la famille (BLPF) de Saint-Denis n’arriveront qu’en fin de matinée. « La garde à vue d’hier s’est terminée très tard. » Pendant six heures, ces fonctionnaires spécialisés dans les violences conjugales ont auditionné un homme soupçonné de violences physiques et psychologiques ainsi que de viols sur son épouse. Dans les locaux de la brigade – deux pièces aussi vétustes qu’exiguës au premier étage du commissariat –, le mis en cause a fini par reconnaître une partie des faits tout en cherchant à minimiser. « C’est fréquent dans ce genre de dossier, assure le jeune lieutenant, à la tête du groupe depuis cinq mois. Des phrases comme « on se dispute comme dans tous les couples », »je l’ai juste bousculé », « elle m’a poussé à bout » reviennent régulièrement. » L’homme, présenté à un juge d’instruction, a été placé en détention provisoire.
Dans cette commune, les procédures pour violences conjugales ont augmenté ces dernières années : 466 en 2019*. Soit 15 % de plus qu’en 2018. Le commissaire-divisionnaire Laurent Mercier, à la tête du commissariat, y voit assurément un effet de la libération de la parole mais également celui d’un travail de sensibilisation au sein de ses équipes. Les femmes sont encouragées à porter plainte plutôt qu’à déposer une main courante, même si cela n’empêche pas la poursuite des investigations. En mai 2019, une permanence hebdomadaire a été mise en place à la Maison des femmes pour accompagner les plus fragiles dans leurs démarches. S’il sait que des phrases maladroites dissuadent encore certaines de pousser la porte d’un commissariat, il déplore la stigmatisation du travail de la police par certaines associations féministes. « Des progrès peuvent encore être faits, indéniablement. On y travaille. Mais il est illusoire de croire que la police peut faire sa révolution en deux ans alors que le machisme et le patriarcat existent dans notre société depuis toujours. »
« On est obligé de prioriser »
Mais comment enquêter dans ces affaires qui se passent généralement dans le huis clos familial ? Comment recueillir suffisamment d’éléments pour matérialiser ces violences lorsque des victimes ont pris soin de dissimuler leur calvaire ? A la BLPF, toutes les journées commencent de la même manière : chaque nouveau dossier est minutieusement étudié pour évaluer l’urgence de la situation. Antécédents, contexte familial, faits décrits… « On est obligé de prioriser, on n’est que sept, on ne peut pas faire autrement », déplore Philippe Cisé tout en reconnaissant une « grande responsabilité » de cette tâche qui lui incombe. Aux plaintes – deux à trois chaque jour à Saint-Denis – s’ajoutent les signalements des proches sur le numéro dédié – le 3919 – ou sur la plateforme Internet ainsi que les enquêtes ouvertes après une intervention de police-secours à la suite d’un appel d’un voisin (600 en 2019).