Attribution de terres aux agrobusiness au Sénégal

Attribution de terres aux agrobusiness au Sénégal

Attribution de terres aux agrobusiness au Sénégal

Aménagement des terres dans la zone du Delta : Mille quatre cents ...

Attribution de terres aux agrobusiness au SénégalL’erreur du cachet rouge avant la licence sociale

Investissement agricole pour la Banque mondiale, appropriation foncière selon l’Agencefrançaise de développement (AFD), investissement foncier pour d’autres, l’opération réussiepar la Sedima à Ndengler s’appelle accaparement de terres. Du moins si l’on se réfère auxcaractéristiques d’un accaparement terres reconnues par International land coalition (ILC) etd’autres organisations qui font le monitoring des transactions foncières dans le monde :attribution légale ou illégale de 200 ha au moins à un investisseur ou à une puissancepublique, absence de consentement libre et éclairé des paysans, absence d’études d’impactsociaux, économiques et environnementales minutieuses. Bref, un beau bassin versant de laviolation des droits légitimes des paysans, des droits humains tout court.Le statu quo qui bêle à Ndengler a le mérite d’indiquer que la transaction foncière portant sur300 ha, ayant suscité une légitime poussée de fièvre, a raté la meilleure démarche qu’elleaurait dû adopter au départ. Autrement dit, la collectivité territoriale et la Sedima auraient dûcommencer par-là : discuter et rediscuter avec les paysans qui sont les ayant droits légitimes.Contrairement aux fervents partisans du légalisme, en matière de foncier rural, il vaut mieuxdécrocher d’abord la licence sociale que de se prévaloir d’une sécurité juridico-administrativematérialisée par une délibération (ou notification) du Conseil municipal.
Des territoires peu préparés à accueillir des agrobusiness
Le marché foncier validé par l’autorité municipale, sans jamais informer sur le prix auquel il abradé l’hectare à titre de frais de bornage, révèle encore une fois les carences de notre systèmede gouvernance décentralisée. Visiblement, la procédure d’affectation n’a pas étéparticipative et elle a été menée par une collectivité territoriale qui ignore les limites de sonterritoire.La matière foncière occupe une bonne partie de l’agenda de la plupart des municipalités auSénégal. L’essentiel des recettes municipales est d’ordre domanial. Les mairies sont prêtes àrenoncer à tout pour accueillir un investissement à forte incidence foncière, histoired’alimenter des comptes souvent à l’étiage.Curieusement, ces dernières refusent de se doter d’outils de gestion participative des terres etdes ressources naturelles en général qui renforceraient la participation et le contrôle citoyen.Une manière de parachever la futuriste Loi sur le domaine national de 1964, dont leconcepteur Senghor a projeté son application par des communautés rurales qui devaientcommencer à exister à partir de 1972, c’est-à-dire 8 ans après. N’en déplaise à certainsopérateurs fonciers, cette loi n’autorise pas d’affection de parcelles à des non-résidents de lacommune concernée. D’ailleurs, la réforme foncière avortée pouvait connaitre une premièrephase pratique : proposer des décrets d’application qui faciliteraient la mise en œuvre de cetteLoi sur le domaine national.
L’intérêt d’une convention locale
La participation citoyenne érigée en principe dans le Code général des collectivitésterritoriales de 2013 serait sans intérêt si l’Etat, les communes et départements du Sénégalcontinuent de statuer sur les ressources foncières et naturelles, sans au préalable qu’ils aient
l’obligation d’instaurer au préalable une convention locale telle qu’elle est préconisée par lenouveau Code forestier adopté à la suite de l’épisode dramatique de Boffa Bayotte, en janvier2018, dans le département de Ziguinchor.
On a beau poussé des hoquets rageurs à la suite des différents échecs des tentatives deréformes foncière initié par l’Etat central, truisme est de reconnaitre qu’il sera presqueimpossible d’appliquer une loi foncière de la même manière partout au Sénégal, sans un effortd’adaptation et une démarche participative qui responsabiliseraient les citoyens dans lesprocessus d’affectation de terres. Pourquoi ? D’une zone agroécologique à une autre, lesrapports des communautés à la terre sont différents. Le sentiment de disposer de terres est lepremier filet de sécurité individuel et collectif. Et l’accès à la terre est indissociable à l’accèsaux autres ressources naturelles. En perdant l’accès à leurs terres, elles perdent par la mêmeoccasion l’accès à leurs moyens de subsistance, engendrant une dégradation de leur sécuritéalimentaire.
D’ailleurs, le rapporteur spécial des Nations Unies et du Droit à l’alimentation, Olivier DeSchutter avait rappeler que cette propension des investisseurs à occuper des terres dites « non-cultivées » comporte un risque important pour les populations locales car elle exacerbe lesrisques d’insécurité alimentaire (De Schutter, 2010).
Les municipalités rurales devraient donc mesurer que l’affectation de vastes superficies à uninvestisseur national ou étranger, sans leur consentement libre des détenteurs de droitslégitimes, comporte énormément de risques pour les communautés de paysans, de pasteurs etde pêcheurs.
Pour avoir beaucoup reporté sur ces cas d’agrobusiness, j’aperçois que les populations localessont plus ouvertes à une affectation graduelle de terres à un investisseur, histoire de lui donnerd’abord l’opportunité de prouver son utilité au niveau local, mais aussi de suivre et évaluer leseffets d’un tel investissement sur leurs activités agro-pastorales et leurs environnements.
Outils de gouvernance participative des terres
Il est quand même possible pour des collectivités territoriales d’accueillir des investissementsà forte incidence foncière sans risque de conflit majeur. Il suffit qu’elles matérialisent ladécentralisation participative en s’appropriant des outils de gouvernance foncière et desressources naturelles qui ont été expérimentés au Sénégal depuis plusieurs décennies.En effet, dans le cadre de l’opérationnalisation des Directives volontaires pour unegouvernance responsable des régimes fonciers officiellement adoptées par le Comité de lasécurité alimentaire mondiale (CSA) en mai 2012, la seule référence intergouvernementalequi reconnait les droits légitimes des communautés à la terre, tout en leur recommandantl’ouverture à des investissements responsables, la FAO a choisi le Sénégal comme payspilote.
Ce faisant, l’ONG IED Afrique a mené une capitalisation des outils de gouvernance foncièreexpérimentés au Sénégal. Ces outils appelés conventions locales que l’Etat a recommandé auxcollectivités territoriales dans le cadre de la gestion des ressources forestières, renvoient à un« accord passé entre les groupes d'intérêt locaux entériné par une ou plusieurs collectivitésterritoriales. Elle définit des principes et des modalités de protection et de gestion durable desressources forestières de la collectivité territoriale conformément aux dispositions du présent,
Code et du Code général des collectivités locales ».
Autrement dit, elle encourage la définition de règles locales qui gouvernent des ressourcesnaturelles. Ces règles ont le double avantage de promouvoir des bonnes pratiques endogènesen la matière, tout en se conformant au cadre légal national en vigueur.
La Charte locale de gouvernance foncière
Une première charte de gouvernance foncière a été mise en place par le Conga depuis 2011,dans la commune de Fass Ngom, dans le département de Saint-Louis. Elle a pour objectifd’instaurer un dialogue permanent entre les différents acteurs de la gouvernance foncièrenotamment les décideurs locaux, les citoyens et les représentants de l’Etat pour anticiper surles conflits et permettre une prise de décision éclairée par la collectivité territoriale.Son élaboration adopte une démarche participative et inclusive qui vise à promouvoir laparticipation citoyenne à la gouvernance du foncier, en mettant en place règles, des principeset des valeurs à travers une démarche consensuelle. Ces types de charte existent maintenantdans une dizaine de communes dont Warkhokh (Linguère), Fissel Mbadane, Gade Escale(Diourbel), avec l’appui du Congad.La Charte locale de gouvernance contre les acquisitions de terre à grande échelleL’apparition de nouveaux investisseurs en milieu rural, vers 2008, et les multiples conflits quece phénomène a engendré, a amené des communautés tentent à s’organiser pour anticiperl’arrivée des détenteurs de capitaux. Cette charte a pour objectif de mettre en place unprocessus défini de manière consensuelle pour décrire les étapes qu’un investisseur doit suivrepour éviter les conflits et contribuer, en s’implantant, au développement économique local.Ces règles sont établies entre élus, populations locales, ONG, services techniques de l’état etproducteurs agricoles. Elles définissent une ligne de conduite que tout investisseur doit suivrepour investir dans un projet à emprise foncière, notamment le respect de certaines procédurescomme la consultation des populations sur l’implantation des projets, la mise en place decahier des charges pour la validation des projets par les communautés, les études d’impactenvironnementale et social.
La Commission domaniale élargie
La Commission domaniale élargie est l’organe par excellence qui opérationnalise une chartelocale de gouvernance foncière. Il s’agit d’un organe du Conseil municipal ouvert à despersonnes ressources locales qui ne sont pas des élus et qui peuvent prendre part et influencerles processus de prise de décision sur la gouvernance foncière. Elle peut avoir comme missionde faire des prospections, des investigations, de la médiation, de la délimitation et del’installation des affectataires de terres.La mise en place de cette commission dépend énormément de la volonté du conseil municipald’ouvrir la Commission domaniale à d’autres acteurs non-élus. Ces derniers sont choisis enfonction de leurs capacités d’influence, de leur honorabilité et de leur expertise Par exemple,elle peut être ouverte aux imams, notabilités coutumières, représentantes des femmes,marabouts, délégués des jeunes, aux organisations de développement à la base et aux servicestechniques déconcentrés.
La Charte du domaine irrigué
C’est un outil qui a la particularité de mettre l’accent sur les ressources foncières dans leszones irriguées où il y a souvent des aménagements hydro-agricoles. L’objectif de la Chartedu domaine irrigué (CDI) est de constituer un document cadre en matière d'attribution etd'utilisation du domaine irrigué, établissant un lien entre les textes officiels régissant l’accèsaux ressources « terre et eau ». La méthodologie utilisée pour l’élaboration de la charte estparticipative et fondée sur la concertation avec l’ensemble des acteurs à travers des rencontresd’échanges, permettant de diagnostiquer les contraintes à la mise en valeur et de proposer dessolutions sous forme d’actions à entreprendre et de changement de comportement à incarnerpar les acteurs. Il gère les conditions d’affectation, la mise en valeur et les conditions dedésaffectation. Une charte du domaine irrigué a été instituée dans le Bassin de l’Animé, dansle cadre de la mise en œuvre du projet Global Water initiative que pilotait l’Unioninternationale pour la conservation de la nature (UICN) Sénégal.
Le Plan d’occupation et d’affectation des sols
Le Plan d’occupation et d’aménagement des sols (POAS) a été expérimenté par la Sociétéd’aménagement et d’exploitation des terres du Delta (SAED) depuis 1991, suite à la fortepression foncière qui été notée dans cette partie de la vallée du Fleuve Sénégal. La SAED, lesinstituts de recherche et les collectivités locales avaient ainsi jugé nécessaire d’élaborer unoutil de gestion du foncier par les communautés rurales à l’époque. Sa pertinence dans leprocessus de sécurisation foncière avait amené l’Etat à inscrire dans le projet de la loid’orientation agricole de 2003 la généralisation du POAS dans toutes les communautésrurales du Sénégal.D’autres outils comme le système d’information foncière, le Code de bonne conduite degestion des ressources foncières et naturelles ont été expérimentés dans certaines localités dupays.
Médias et foncier au Sénégal
Naturellement, les médias amplifient les résonnances venues de Ndengler et d’ailleurs. Au-delà ce rôle socialement responsable de faire écho les indignations des paysans dans le butd’éclairer davantage l’opinion, les médias devraient s’approprier la problématique foncière enexaminant des cas concrets d’investissement qui ont échoué ou réussi à s’implanter dans lepays. Pourquoi Senhuile a-t-elle échoué à s’installer dans la réserve de Ndiael ?Pourquoi le Programme de développement intégré et durable de l’agrobusiness au Sénégal(PDIDAS) qui a ciblé 9 communes du Nord du pays a-t-il encore du mal à donner desrésultats depuis 2015 ? A quoi servent les bureaux de sécurisation foncière financés par laBanque mondiale dans le cadre la mise en œuvre du PDIDAS ? Comment la société Westafrican farms a-t-elle réussi à s’installer dans la commune de Gnith ? Pourquoi la Compagniesucrière sénégalaise, malgré sa puissance financière, a-t-elle encore du mal à exploiter plus de10000 ha ?
Comment la Compagnie agricole de Saint-Louis a réussi à s’implanter sur plus 4000 hairrigués dans le Delta du Fleuve Sénégal ? Comment la Société de cultures légumières s’est-elle installée à Fass Ngom ? Pourquoi l’affectation de grandes superficies de terres auxmarabouts est-elle tolérée ? La liste des cas pratiques est loin d’être exhaustive.
En tout cas de cause, la problématique des affectations des terres repose la question de notremodèle agricole et de développement durable en général.
Birame FayeJournaliste, spécialiste en gouvernancedes ressources naturellesKnowledge managerEmail : fayebirame418@gmail.com

Thierno

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