[Portrait] Farba Ngom : L’art d’invectiver !
Attaques, insultes, insanités, Farba Ngom fait partie des
personnalités publiques qui se distinguent dans la démesure. Mais le
griot de Macky Sall détient une puissance dans le Fouta, le parti
présidentiel et même au sein de la République. Ce qui lui donne
jusqu’ici un statut d’intouchable.
Au
sein de l’opinion publique, son nom est plus que jamais lié à
l’extravagance, l’excès et la démesure. Il suffit de taper le nom de
Farba Ngom sur internet pour se demander si le monsieur a quelque chose
de positif. Presque tous les titres qui s’affichent rappellent les
mauvais coups dans lesquels il est impliqué. Un jour, il est opposé aux
politiques, le lendemain, c’est contre les religieux, le surlendemain,
il se frotte avec le pouvoir déconcentré. Le dernier en date est
l’insulte qu’il a proférée contre le député apériste Moustapha Cissé Lo
dont la réaction disproportionnée a valu à Baye Guinaar l’exclusion du
parti présidentiel.
C’est à se demander si les
bravades et autres méconduites ne sont pas les talismans de l’enfant du
Fouta. En 2017, rapportait le journal Les Echos, Farba Ngom a refusé
d’immobiliser son véhicule sur le bas côté pour laisser la voie libre au
cortège présidentiel. Il s’en prend ensuite au policier qui était venu
parler à son chauffeur, avant d’insulter copieusement les témoins qui
filmaient la scène. Inconnu des Sénégalais jusqu’en 2012, le griot de
Macky Sall est devenu en quelques années un cheveu de trop dans la soupe
de la République.
Dans la tradition orale
africaine, le communicateur traditionnel est un fidèle compagnon aux
conseils avisés. Rien qu’à lire l’Epopée mandingue de Djibril Tamsir
Niane, on mesure toute l’importance de Balla Fasséké dans
l’accomplissement du roi Soundjata. On ne volera pas à Farba Ngom, les
qualités qu’il partage avec son semblable du royaume du Mali : fidélité,
engagement, dévouement à un homme, un seul.
On
peut l’aimer ou le détester, on lui reconnaîtra quand même le rôle
qu’il a joué (au Fouta) dans la marche victorieuse de son mentor vers le
Palais présidentiel. L’homme s’est engagé très tôt à ses côtés ; il a
pris position de façon très nette en faveur de l’ancien Premier
ministre, lorsqu’il était dans le viseur d’Abdoulaye Wade, après une
convocation de Karim à l’Assemblée nationale.
Et
il n’a pas manqué de le payer très cher. L’une des premières factures
qu’il a réglées a été son renvoi de la RTS. A l’époque, il animait une
émission hebdomadaire en pulaar dénommée ‘’Alamari’’. A la fin de
celle-ci, il a remercié le président de l’Assemblée nationale qui
n’était personne d’autre que l’actuel chef de l’Etat et de l’APR. La
sentence fut prononcée sans appel. ‘’Quand l’émission a été diffusée, le
lendemain, on m’a dit : Farba Ngom, plie tes bagages, tu n’as plus de
place ici’’, raconte-t-il, tout en sourire, dans une interview.
Quand
Macky Sall est définitivement tombé en disgrâce, il lui est resté
fidèle. Et dans ce compagnonnage, Farba n’a pas accepté d’être
uniquement ‘’la parole’’, il s’est aussi investi dans ‘’l’action’’en
créant même un mouvement de soutien pour Macky Sall. Il ne serait même
pas exagéré de dire que c’est lui qui a implanté l’Alliance pour la
République à Matam, avec Harona Dia. Il en recevra les contrecoups,
puisqu’il a failli se faire arrêter par les gendarmes le jour de sa
première conférence de presse, n’eût été l’intervention des populations.
Mackiste et pas militant de l’APR
Ce
polygame (deux femmes dont l’une est la fille d’El Hadji Mansour Mbaye)
sera ensuite surveillé, épié par les oreilles de la République. Partout
où il a voulu organiser une manifestation politique, il a reçu une
interdiction de l’autorité administrative. Il a été finalement contraint
de se limiter à des consultations à domicile. C’est d’ailleurs ce
statut de militant de première heure qu’il porte en bandoulière. A
l’image de Cissé Lo, son éternel adversaire, il ne rate jamais une
occasion pour rappeler à ses détracteurs qu’il fait partie des premiers
occupants du village. Un statut qui lui confère apparemment un privilège
sans limite, tant qu’il sera au service du couple présidentiel. Élu
député en 2013, il devient maire de Agnam en 2014.
Si
en Afrique, un souverain peut compter sur les conseils sages du
dépositaire de la tradition, Macky Sall lui, commettrait une grave
erreur en se fiant aux avis du sien. Car celui-ci n’a rien de la sagesse
des anciens maîtres de la parole. Même s’il fait un acte de
bienfaisance, son geste risque d’être édulcoré par sa manière de
présenter les choses. Accusé d’avoir acheté une maison à Dakar à 700
millions cash, il dément et se défend en ces termes : ‘’Je n’ai jamais
pris dix centimes de l’Etat. Je n’ai jamais touché à mon salaire de
député qui va directement aux populations d’Agnam Civol. Mon salaire de
maire, ce sont les imams et chefs religieux qui se le partagent’’.
Excellente leçon de discrétion !
A l’instar de
l’autre Farba (Senghor) qui se disait plus wadiste que militant du Parti
démocratique sénégalais (dont il est désormais exclu), lui aussi se
réclame mackyste. Il ne se considère même pas comme un acteur politique.
Son parti à lui s’appelle : Macky Sall. Et le jour où ce dernier
quittera la scène politique, il a promis qu’à son tour, il va plier
bagages. ‘’Je ne suis pas membre de l’APR. Je n’ai pas de carte de
membre. Je suis mackyste’’, revendique-t-il.
‘’Un pasteur qui veille sur un troupeau de bœufs’’
Il
faut dire que ce statut lui convient bien, pour le moment. En effet,
Farba Ngom est à la fois influent dans le parti comme dans sa localité,
le Fouta. Ce n’est pas pour rien que dans une interview avec Le
Quotidien (2017), il se définit ‘’comme un pasteur qui veille sur un
troupeau de bœufs (sic)’’, lequel appartenant à son mentor.
On
comprend alors la difficulté qu’il a pour s’entendre avec les
responsables du parti. Farba Ngom est considéré comme la source de tous
les maux de l’APR dans la partie nord du pays. Sa main est supposée ou
réelle dans tous les conflits. L’homme est contesté de toute part, mais
il reste solide dans sa position.
Cependant,
avec Farba Ngom, le problème n’est pas que politique. Si ses faits
d’armes s’arrêtaient dans la formation présidentielle, on aurait conclu
que c’est l’effet de l’adversité. Mais ses frasques vont au-delà. En
mars 2016, il a provoqué le courroux des religieux de Thilogne, lors de
la distribution du riz octroyé à la localité par le Président Sall. Ces
derniers lui avaient retourné son ‘’cadeau’’ pour, disent-ils, protester
contre la manière, pendant que d’autres sources parlaient de décision
motivée par la quantité jugée modique.
Forte
corpulence, le front dégarni, ce vieux-jeune né le 5 mars 1971 à
Nguidjilogne est tellement sûr de sa force qu’il a refusé, pendant
longtemps, de répondre au procureur Diakhoumpa qui avait ouvert une
enquête, suite à des violences politiques à Matam. Son attitude avait
révolté le maître des poursuites, obligé de sortir de sa réserve. ‘’Je
n’arrête pas l’enquête et je compte aller jusqu’au bout’’, disait-il à
l’Agence de presse sénégalaise, tout en promettant de démissionner, si
jamais les pressions le gênaient davantage dans son travail. Même le
ministre de la Justice d’alors, Ismaëla Madior Fall, s’était senti
obligé de recadrer le mammouth du Fouta, rappelant que nul n’est
au-dessus de la loi. Mais ce halpoular au teint noir n’a répondu que
quand il l’a jugé opportun.
En février 2017,
Farba Ngom a eu des propos désobligeants à l’encontre du préfet de
Kanel. Les administrateurs civils ont réclamé une sanction et un soutien
officiel du ministre de l’Intérieur à son agent. Ils n’ont rien obtenu.
À la place, c’est Farba Ngom qui étale toute sa puissance. Il a réussi à
faire signer à 11 responsables du parti (maires, conseillers du
Président, DG, etc.) un communiqué destiné à le soutenir et à ‘’rétablir
la vérité’’.
‘’Si j’avais le pouvoir de nommer, je commencerais par ma famille’’
Lorsque
le Président Macky Sall a émis l’idée de réduire son mandat de 7 à 5
ans, Farba l’a défié publiquement, en promettant de battre campagne pour
le ‘’NON’’. En fait, au-delà d’être membre fondateur, il a profité du
temps où Macky Sall et Harona Dia ont été en brouille pour asseoir son
autorité, au point d’être comparé à un vice-président.
Il
a promu beaucoup de cadres de la localité durant cette période.
Abdoulaye Hanne, le président du Conseil départemental de Kanel, qui lui
trouve toutes les qualités des anges, ne dira pas autre chose. ‘’A
Matam, il est l’homme de la situation. C’est lui qui règle tous les
problèmes. On ne sait pas combien de jeunes il a enrôlé dans
l’administration et les entreprises’’, magnifie Hann, au bout du fil.
Selon
lui, aucun village du Bosséa ne manque d’eau et d’électricité, et cela
grâce au fils d’Agnam qui pèse de tout son poids dans les décisions. Une
version que corrobore l’interpellation qu’il avait faite au directeur
de l’ANPJ pour lui demander pourquoi les jeunes de Matam n’ont pas de
financement.
Tout cela sans compter les
propos qu’on lui prête et selon lesquels c’est lui qui avait fait nommer
Yaya Abdoul Kane au poste de ministre (des Télécommunications). Farba
tentera de démentir. Et dans son argument de défense, il commet une
autre maladresse qui en dit long sur sa personnalité. ‘’Si j’avais le
pouvoir de nommer, je commencerais par ma famille, dit-il. J’ai des
frères diplômés, des ingénieurs’’.
Visage rond
au milieu duquel trône un nez épaté, le géant aux joues rebondies est
considéré aujourd’hui comme un intouchable. Et pourtant, entre Macky et
son communicateur traditionnel, ce n’est pas aussi ancien qu’on le
pense. Farba Ngom lui-même a révélé avoir connu son maître ‘’par
hasard’’, sur le champ politique, lorsque tous les deux étaient au PDS.
Globe-trotter
Son
engagement politique est né d’une conviction selon laquelle ‘’il ne
fallait pas dépendre des gens toute la vie’’. Pour autant, il ne va pas
Sans renier l’héritage de ses aïeuls. Au contraire, à l’image du renard,
il a longtemps gagné son pain au détriment du corbeau. En fait, l’homme
s’est donné le temps de se perfectionner pour mieux vivre de son art.
‘’J’ai mis beaucoup de temps pour apprendre mon métier de communicateur
traditionnel. Je me rendais dans les villages les plus reculés pour des
recherches sur l’histoire des familles foutankés’’, se souvient-il dans
ses interviews.
Une fois la formation achevée,
comme beaucoup de jeunes de sa génération, Farba a cédé à la tentation
de l’immigration. Il était même fermement convaincu que sa fortune était
cachée quelque part, hors des frontières. A la place des grands livres,
il opte pour le grand livre du monde à partir de 1990. Gabon, Côte
d’Ivoire, Cameroun, Guinée Equatoriale, etc. Son principal activité :
communicateur traditionnel.
‘’J’ai payé ma
maison à liberté 6 grâce à l’argent gagné dans la communication
traditionnelle. (…) J’ai emmené presque toute ma famille à la Mecque.
J’ai aidé d’autres à faire la ziarra à Fès (Maroc, fief de la Tidianya).
On m’a offert des maisons à Dakar, des voitures très chères comme une
Prado toute neuve’’, confie-t-il.
A côté des
revenus que lui assuraient ses cordes vocales, il avait quelques
occupations comme la vente de tissus cousus. Il va d’ailleurs
progressivement se lancer dans les affaires pour quitter le monde de la
flatterie des ego. Car, bien que rémunérateur, le métier n’en était pas
moins difficile. ‘’Certains sont très accueillants, mais d’autres, rien
qu’en te serrant la main, ils ont un visage sombre’’, regrette-t-il.
En
1994, après la dévaluation du franc Cfa, il retourne au bercail le
temps de construire sa première maison, celle d’Agnam, avant de
reprendre la route. Cette fois-ci, ce sera au Togo, au Burkina Faso et
même en dehors de l’Afrique, aux Etats-Unis où il dit avoir gagné
beaucoup d’argent.
De retour à nouveau au
Sénégal, il fait du courtage et devient petit à petit businessman dans
l’immobilier, un domaine dans lequel il évolue, affirme-t-il, depuis
près de 20 ans. Au point de se considérer d’ailleurs comme un ‘’expert’’
immobilier. Quant à l’opinion, elle retient plus de lui son côté
extravagant et la démesure dans ses propos. Bref, un maître dans
l’art…d’insulter.