(Entretien) SOHAM EL WARDINI : «De Cap vert, Dakar est devenu Cap béton»

(Entretien) SOHAM EL WARDINI : «De Cap vert, Dakar est devenu Cap béton»

’était parti pour une très grande interview, mais le maire de la Ville de Dakar, Soham El Wardini, engagée dans la lutte contre le Covid-19 aux côtés de l’Etat, a formellement refusé de parler politique. Pour éviter, dit-elle, d’alimenter la polémique. «L’heure est  à l’unité et non à la division», assène-t-elle. Une posture qui transparaît dans cet entretien réalisé via mail où le premier magistrat de la Ville de Dakar revient, avec des positions tranchées, sur la situation financière de la mairie de la capitale, le débat sur le littoral, le déplacement du marché Sandaga, les JOJ 2022 etc.

Madame le Maire, après plus de trois mois d’Etat d’urgence sanitaire, comment se porte la ville de Dakar ?

Dakar est depuis quelques semaines, l’épicentre de la pandémie au Sénégal. C’est une préoccupation forte qui nous commande de renforcer nos actions auprès des populations. La Ville de Dakar est engagée depuis le début, dans la lutte contre cette pandémie et a contribué à ce titre, à l’effort national afin de préserver du mieux possible les Dakarois, mais aussi les populations du Sénégal. La Ville de Dakar est dans une démarche de solidarité et de responsabilité. Notre objectif est que chaque Dakarois se sente soutenu dans cette période difficile tout en veillant à une optimisation des ressources disponibles. Nous menons ce travail en bonne intelligence avec les Maires des communes afin de joindre nos forces et en fédérant nos énergies pour que les Dakarois soient dans les dispositions de respecter les gestes barrières, seule voie de salut face à ce virus. Je remercie à ce titre tous les membres du Conseil municipal de Dakar pour leur engagement, les Maires des communes pour leur abnégation, l’administration de la ville de Dakar pour son dévouement et l’ensemble de nos partenaires pour leur élan de solidarité en cette période difficile.

N’avez-vous pas l’impression d’avoir passé le dernier trimestre à faire des actions de secours aux populations et moins de travail administratif ?

La vocation sociale est inscrite dans l’ADN des collectivités territoriales. C’est l’une des principales missions de la ville de Dakar. Chaque année, une forte part de notre budget est consacrée à la politique sociale. La pandémie de la Covid-19 nous a tout simplement fait réaménager le budget pour réorienter les dépenses vers la dotation des structures de santé et des populations en matériel de protection et de prévention dans un délai rapide. Cependant, le travail administratif est tout aussi présent car toutes ces mesures, pour être appliquées, ont nécessité de respecter un certain nombre de procédures légales et administratives. L’urgence a aussi ses règles et nous veillons à les respecter.

Les mairies de ville n’ont pas de quotas dans l’aide alimentaire d’urgence. Comment avez-vous en tant que Maire de Dakar, accueilli cette mesure ?

Cette mesure est salutaire et va dans le sens de la dynamique déjà engagée par la ville de Dakar. Comme vous le savez, nous avons pris le parti de remettre l’aide de la ville de Dakar aux Dakarois, aux Maires des communes, à charge pour ces derniers de les distribuer. Les Maires des communes connaissent leurs administrés et sont plus à même de distribuer l’aide. Cette mesure prise par l’Etat a permis de sauter une étape dans cette situation d’urgence. Il est important de rappeler que notre action n’était pas politique, mais sociale et solidaire. L’enjeu pour nous était que l’aide de la ville arrive rapidement aux personnes destinataires. Passer par les Maires des communes nous est apparu comme un choix de bon sens, de cohérence et d’efficacité. Je suis heureuse que l’Etat ait aussi pris ce parti.

Avec l’instauration de l’Etat d’urgence assorti de la mesure de couvre-feu, le déficit budgétaire est désormais attendu, sachant que les dettes des mairies pourraient grimper. N’est-ce pas une difficile situation pour une mairie comme la ville de Dakar ?

Nous sommes vigilants à la situation financière de la ville de Dakar. Nos choix sont guidés par le souci de faire face à la crise actuelle tout en préparant l’après-crise. Dieu merci, nous avons terminé l’exercice 2019 avec un excédent de plus de 10 milliards qui permet à la Ville de Dakar une certaine résilience en cette période où la collecte de nos recettes auprès des entreprises est suspendue. Nous sommes conscients que les Dakarois auront aussi besoin de la ville de Dakar à leurs côtés après la crise. Les dispositifs de soutien et d’aide préexistants seront maintenus et nous aviserons avec le conseil municipal, des ajustements à faire en temps opportun.

Où en êtes-vous avec les projets de la ville de Dakar ?

Les projets continuent leurs avancées. Seul le format des rencontres et des réunions est revu pour respecter les mesures barrières. Ce temps est mis à profit pour finaliser les procédures qui peuvent l’être pour un redémarrage dans les délais les meilleurs. Les chantiers, notamment celui de l’Hôtel de ville de Dakar, se poursuivent sans problème et ne sont pas impactés par la pandémie. Les autres projets comme l’extension de la Voirie communale, la construction de la Maison de la femme sont à l’étude et devraient faire l’objet d’appels d’offres incessamment. Le programme d’éclairage public se poursuit normalement et le pavage des trottoirs devrait reprendre dès les mois de juillet et août.

Avez-vous mis sur pied un plan d’urgence pour préparer l’après-Covid-19, un temps très redouté ?

Comme je vous l’ai déjà indiqué, le budget de la ville de Dakar est structuré autour de l’appui aux Dakarois (indigents, femmes, jeunes, personnes âgées, etc.). D’ores et déjà, le Conseil municipal va se réunir pour délibérer sur les mesures envisagées pour renforcer l’équipement des collèges et lycées en matériels et équipements médicaux, de même que le Centre de Gériatrie de Ouakam qui sera équipé pour prendre en charge les maladies chroniques et non transmissibles de nos séniors. Nous avons déjà des programmes qui ont fait leur preuve. Il faudra sans doute les renforcer et augmenter leurs capacités. Ces ajustements se feront en concertation avec les acteurs et les membres du Conseil municipal. Lors de la pandémie, nous avons aussi réalisé un travail important de retrait des enfants de la rue. C’est une opération que nous souhaitons pérenniser et inscrire durablement dans les actions sociales de la ville de Dakar.

Vous êtes à la tête de la mairie de la ville de Dakar depuis quelques mois, quel bilan tirez-vous de votre magistère ?

Le bilan, à mon avis, il est un peu trop tôt, pour en tirer un. Les Dakarois apprécieront à la fin du mandat. Nous nous fixons des objectifs et nous veillons à les atteindre. Mes préoccupations en tant que maire de la ville sont de renforcer la vocation sociale de notre institution, la cohésion sociale et le vivre ensemble, de consolider notre système de santé, notamment avec des initiatives axées sur la prévention, de réaliser des projets d’aménagement structurels tendant à améliorer le cadre de vie et la propreté, d’appuyer l’éducation et la formation des jeunes, de soutenir les initiatives en faveur de l’auto-entrepreneuriat des Dakarois, d’œuvrer pour le rayonnement de la ville par la culture et le sport et de veiller à conforter la crédibilité de notre institution municipale.

Quel est votre avis sur le débat sur le littoral ?

En tant que Ville de Dakar, les prérogatives du département lui reviennent. A ce titre, je suis interpellée dans le cadre des dispositions de la loi portant Code des Collectivités Territoriales. Le département a des prérogatives uniquement sur le Domaine Public Maritime. Le ministre de l’Urbanisme et son collègue ont annoncé un plan d’aménagement du littoral, de même le Ministre des Mines a annoncé l’érection d’un Parc géologique au niveau des Mamelles. Nous attendons leurs propositions afin de les étudier, conformément aux articles 292 et suivants du Code des Collectivités Territoriales. La préservation du littoral est une exigence majeure. J’ai souvent dit, pour le déplorer, que Dakar, ancienne presqu’île du Cap vert, est devenu un Cap béton. Ce Cap béton touche aussi notre littoral. De plus, nous sommes bien placés en tant qu’autorité locale pour mesurer les effets dévastateurs des atteintes au littoral, notamment en matière climatique. Chaque agression commise aujourd’hui est une dette écologique et environnementale pour les générations futures. J’en appelle à la responsabilité de chacun afin que nos choix soient dictés par la protection de nos territoires. Ce qui nous unit, à savoir notre attachement pour notre littoral, ne doit pas nourrir des divisions qui nous desservent.

On prévoit l’ouverture prochaine du marché du Champ de course pour permettre la reconstruction de Sandaga. Pensez-vous que c’est le seul marché qui devrait être rasé et repris ?

La pandémie actuelle confirme l’urgence de repenser la question des marchés sur nos territoires, tant au plan de leur vétusté qu’à celui de leur fonctionnement. Les marchés ont été transférés aux communes et les maires en ont pris conscience. La Ville de Dakar sera toujours à leurs côtés pour améliorer le cadre de vie et la sécurité des marchands et des populations. Nous travaillons avec les services de l’Etat en ce qui concerne la réhabilitation de Sandaga et pour les espaces marchands encore sous la responsabilité de la ville de Dakar, leur mode de gestion et de fonctionnement doit aussi faire l’objet d’une réflexion partagée avec l’ensemble des acteurs impliqués.

Quel est l’impact du Covid-19 sur les JOJ 2022 ?

Les Jeux olympiques de la Jeunesse (JOJ) sont prévus en 2022. L’organisation se poursuit et les membres du Comité olympique ont récemment indiqué par voie de presse, les avancées notables réalisées dans le cadre de la préparation des Jeux. J’ai d’ailleurs rencontré il y a moins de dix jours, le coordonnateur général des Jeux, M. Ibrahima Wade, qui nous a fait un point d’étape sur le travail accompli avec les équipes du CIO. Le calendrier reste inchangé pour le moment, même s’il va sans dire que nous tirerons tous les enseignements de cette crise sanitaire afin que toutes les mesures de prévention et de protection individuelle et collective soient prises.

Souare Mansour

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