GUERRE CONTRE COVID-19 Macky, un général chahuté
Ayant cédé à la pression d’une
partie des autorités confrériques, le président Macky Sall a été
désavoué par l’autre partie du pouvoir religieux et les acteurs de
l’école. Parti d’un consensus fort pour mener la guerre contre le
Covid-19, le Général Macky a fini par perdre le contrôle de la troupe.
Pour
quelqu’un qui avait toutes les chances de son côté, il y a lieu de se
demander comment le président Macky Sall a fait pour se retrouver aussi
seul dans la bataille contre le Covid-19. Au début de la pandémie, le
chef de l’Etat a réussi à unir opposition radicale et modérée, société
civile, bref toutes les forces vives de la nation autour de sa personne.
L’Assemblée nationale lui a donné carte blanche, avec la loi
d’habilitation qui lui permet de gérer à sa guise.
Mais, en moins de deux mois, le général (maladroit ?) a épuisé toutes ses cartouches.
Aujourd’hui,
son autorité est plus que jamais bafouée, son image écornée. Le chef de
l’Etat ressemble aujourd’hui à un commandant qui a perdu le contrôle de
la troupe, alors que le pays est en pleine guerre contre le nouveau
coronavirus.
Tout
est parti de la pression exercée sur lui par les religieux et le
secteur informel. La décision de fermer les mosquées devenait de plus en
plus impopulaire. Une source de Seneweb indique même que certains
foyers religieux étaient prêts à faire le forcing, car il n’était pas
question, pour eux, de passer la Nuit du Destin (Laylatoul Khadri) hors
des mosquées.
Il
fallait donc nécessairement que les lieux de culte soient ouverts à
nouveau, au plus tard avant les 10 derniers jours du ramadan.
D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que le chef de l’Etat a avancé son
discours de 24 heures (lundi au lieu de mardi). Sinon, il risquait
d’être mis devant le fait accompli.
Sur
le plan économique, le secteur informel occupe plus de 80 % de
l’activité. La décision du préfet de Dakar de fermer les marchés de
manière alternative pouvait prospérer difficilement. Surtout que les
vendeurs des produits non alimentaires – essentiellement des jeunes –
n’avaient que 2 jours dans la semaine. Ce qui était insupportable.
«On
ne peut pas rester 5 jours sans travailler. Nous donnons un ultimatum à
l’Etat. Si d’ici lundi (11 mai) la situation ne change pas, nous allons
reprendre nos activités de gré ou de force», menaçaient samedi dernier
les jeunes commerçants du marché Dior des Parcelles-Assainies.
Face
à cette pression et aux risques d’une révolte à la fois sociale et
religieuse, le chef suprême des armées a capitulé. Le lundi 11 avril,
Macky Sall annonce la réouverture des mosquées et des marchés.
Un tournant mal négocié
Seulement,
au lieu de sauver la face du président, la mesure est venue l’enfoncer.
En effet, depuis lors, les sorties des guides religieux se multiplient,
désavouant le chef de l’Etat. L’Eglise a été la première à se signaler.
Le clergé a rapidement indiqué qu’il va maintenir ses lieux de culte
fermés, par mesure de prudence. Elle se fera emboîter le pas par la
famille omarienne.
Même
l’imam de la Grande mosquée de Dakar, contre la fermeture au départ, a
sorti un communiqué pour dire que les portes de l’édifice resteront
closes. Idem pour la Grande mosquée de Saint-Louis. Et comme pour dire
que la fermeture est partie pour être majoritaire, le khalife général
des tidianes a aussi décidé que toutes les mosquées sous son autorité
resteront fermées. Du côté des ibadous, Al Falah ne s’est pas encore
déterminé.
Au finish, pour la ville de Dakar, seule Massalikul Jinaan sera ouverte, parmi les grandes mosquées de la capitale.
Au
total, cette décision des autorités religieuses sonne comme un désaveu
vis-à-vis du chef de l’Etat. Ainsi, après avoir capitulé face à la
pression d’une partie du pouvoir religieux, le président Macky Sall a vu
l’autre partie prendre le contre-pied de sa décision d’ouvrir les
mosquées.
Outre
les religieux, les décisions présidentielles sont aussi contestées par
le monde scolaire. Enseignants, élèves et même parents rejettent la
réouverture des écoles le 2 juin. Au finish, le président semble être
seul contre tous.
Dissonance communicationnelle
D’après
Alioune Tine, fondateur d’Africa Jom Center, le chef de l’Etat a mal
négocié le tournant du déconfinement avec l’ensemble des acteurs
influents intéressés. «Quand on avait moins de morts et de cas, on était
confiné. Et maintenant que c’est pire, on déconfine sans une bonne
préparation de l’opinion. Le résultat, c’est le malaise des soignants,
la colère de l’opinion et de certains partis politiques», souligne-t-il.
Même
analyse de la part de Sahite Gaye, Docteur en sciences de l’information
et de la communication. De l’avis de ce spécialiste, cette imbroglio
s’explique par le fait que sur le plan de la communication, le discours
de lundi dernier est le plus ‘’clivant’’ depuis le début de la crise.
«Le dernier discours n’est pas cohérent avec celui du début. Il y a une
dissonance communicationnelle par rapport à la perception»,
souligne-t-il.
Si
l’on en croit l’enseignant-chercheur au Cesti, en situation de crise,
on n’a pas le même public. Les publics sont pluriels, en fonction des
intérêts. Ainsi, ceux qui réclament l’ouverture des marchés n’ont pas
les mêmes objectifs que ceux qui exigent la réouverture des mosquées,
pas plus que ceux qui veulent le maintien de la fermeture des écoles. Il
y a donc nécessité d’avoir une communication ciblée. ‘’Est-ce qu’il ne
devait pas y avoir un processus pour discuter avec le public qui pouvait
impacter la communication ?’’, se demande Sahite Gaye qui ajoute que le
processus décisionnel n’a pas été cohérent.
«Dans une crise, c’est la perception qui est importante »
Si
l’on en croit Alioune Tine, c’est une tendance, en Afrique, de
déconfiner. Une nouveauté consécutive à l’action d’intellectuels qui ont
recommandé aux chefs d’Etat du continent de ne pas sacrifier
l’économie, le secteur informel en particulier. Seulement, regrette
l’ancien patron de la Raddho, la méthode ne sied pas toujours. «Au lieu
de créer la concertation avec ces différents acteurs pour négocier le
déconfinement ensemble, on a assisté à la consultation des chefs
religieux qui ont exercé de fortes pressions sur le président, au point
de l’obliger à anticiper sur son speech en fuitant certaines décisions»,
regrette Tine.
A
cela s’ajoute la rupture d’égalité entre citoyens-fidèles, sachant que
des mosquées à Touba et à Médina Gounass étaient ouvertes, pendant que
d’autres étaient fermées à Dakar et ailleurs.
Le
résultat est que la poigne du président s’en retrouve entamée.
«Manifestement, il y a érosion de l’autorité de l’État qui donne
l’impression de céder à la pression», relève M. Tine. De même que son
autorité, son image aussi en a pâti. «Il suffit juste de voir les
journaux du lendemain avec des titres du genre : ‘Macky Sall a jeté le
masque’, ‘Le Président a capitulé’», renchérit Sahite Gaye.
D’après
l’enseignant-chercheur, les hésitations d’une autorité, dans certaines
circonstances exceptionnelles, fragilisent la parole publique. «Dans une
crise, c’est la perception qui est importante. C’est pourquoi, ce qui
s’est passé peut même avoir un impact sur les décisions à venir, surtout
qu’on n’est pas encore sorti de la crise», s’inquiète M. Gaye.
Repenser les institutions
Dans
tous les cas, la réouverture des mosquées a fini de diviser la
communauté musulmane et fragiliser l’autorité étatique. Ce qui fait dire
à Alioune Tine que ce sont les deux piliers qui cimentent le
vivre-ensemble sénégalais, depuis l’élection de Blaise Diagne, qui sont
en jeu, à savoir : la politique et la religion.
«La
politique ne fait plus sens, plus de vision du monde, plus d’idéologie,
plus d’éthique. Cela impacte l’érosion de l’autorité et de la
légitimité. L’islam confrérique est de plus en plus divisé. L’islam
radical, avec les organisations terroristes dans certains pays, est
facteur d’instabilité et de conflits meurtriers», analyse-t-il.
D’où
la nécessité, à son avis, de repenser les institutions après Covid-19,
sortir de l’instrumentalisation de la politique et de la religion, afin
de bâtir un nouveau monde gage de stabilité.