Entretien exclusif avec Didier Raoult : « Je suis un renégat »
Paris Match est retourné à
Marseille rencontrer Didier Raoult, le scientifique préféré des
français, et l’a interpellé sur les attaques dont il est l’objet.
Interview.
Paris
Match. En mars, dans « La Provence », vous doutiez que le Covid-19
entraîne 10 000 morts. Aujourd’hui, on est à plus de 200 000 décès dans
le monde dont plus de 20 000 en France… Reconnaissez-vous votre erreur ?Didier Raoult. Oui,
j’ai dit que je doutais qu’il y aurait plus de 10 000 morts. J’aurais
dû dire : « Je ne pensais pas qu’il y en aurait autant que ça. » Ceci
étant, chaque année, dans le monde, 2 millions de personnes meurent
d’infections respiratoires. En janvier 2017, dans l’indifférence
générale, la grippe hivernale a tué près de 15 000 personnes. Attendons
le bilan du Covid-19 sur la mortalité moyenne annuelle de la population
française [environ 600 000 décès] avant de qualifier la situation de
grave. (…)
« Ce traitement est bête comme chou, c’est pour ça qu’il irrite »
On reproche à vos essais cliniques leur méthodologie, on parle d’un manque de rigueur, de conclusions hâtives…
[Il
sourit] Je suis enseignant-chercheur en médecine. Depuis des années, je
donne des cours d’épistémologie, des leçons sur les concepts et les
méthodes dans l’histoire des sciences. Ces polémiques sur mes travaux
m’amusent beaucoup. Mes détracteurs sont des enfants ! Depuis vingt-cinq
ans, j’enseigne la méthode, c’est amusant de les voir critiquer la
mienne.
Vous n’acceptez pas leurs critiques ?
Je
m’en fiche. Je refuse de débattre avec des gens ayant un niveau de
connaissance trop bas. Pour discuter, il faut commencer par regarder ce
que j’ai écrit. Je suis un renégat : avec des preuves, je change d’avis,
mais il faut me démontrer que j’ai tort. J’ai une mémoire hors du
commun dans mon domaine de recherche. Pensez-vous sincèrement que mon
autorité pourrait être altérée si je reconnaissais mes faiblesses ?« Trouver un vaccin pour une maladie qui n’est pas immunisante… c’est un défi idiot »
J’en
reviens à votre traitement. Des études montrent des effets secondaires
importants. Un essai clinique américain avance qu’il aggrave la
situation en endommageant d’autres organes. Un autre, au centre régional
de pharmacovigilance [CRPV] de Nice, lui attribue 54 cas de troubles
cardiaques dont 7 morts soudaines ou inexpliquées. Ces résultats vous
font-ils douter ?
Absolument
pas ! L’hydroxychloroquine est le traitement de références pour les
pneumopathies [infections du système respiratoire]. Une étude
internationale sur la sécurité du traitement hydroxychloroquine, bientôt
publiée, démontre la fiabilité de cette molécule. Quant à
l’azithromycine, il est le médicament le plus prescrit au monde après
l’aspirine… Un Américain sur huit en prend une fois par an ! Ce
traitement est bête comme chou, c’est pour ça qu’il irrite. On part d’un
fait : une maladie sans remède. La réflexion ensuite est banale. Quel
médicament déjà actif pourrait fonctionner ? D’un côté, nous avons
l’hydroxychloroquine, efficace in vitro [en laboratoire]. De l’autre, un
antibiotique, l’azithromycine, testé et étudié. Nos tests révèlent leur
efficacité sur le virus lorsqu’ils sont combinés.
Le conseil scientifique : « On ne peut pas mener une guerre avec des gens consensuels »
Cette combinaison est donc l’arme la plus efficace contre ce coronavirus ?
La
question ne se pose pas ainsi. Nous sommes dans une situation où deux
médicaments, disponibles, peu coûteux, prescrits des milliards de fois,
fonctionnent. Deux solutions se présentent : soit vous les utilisez,
soit vous tentez de dénicher un hypothétique médicament, pas plus
efficace, qui coûtera plus cher et qui n’est pas encore manufacturé !
C’est dingue d’imaginer progresser en refusant d’utiliser de vieilles
molécules ! Notre approche, la même que celle des Chinois, est d’une
simplicité biblique. On teste, ça marche, on prescrit. Beaucoup de
praticiens l’ont compris. Même si tous ne le reconnaissent pas, nombre
de mes confrères utilisent notre traitement. Et vous n’imaginez pas le
nombre de personnes, dont des célébrités, qui me contactent pour des
ordonnances, des conseils…
« Des questions demeurent, dont une : pourquoi l’Europe est devenue, avec les États-Unis, le foyer majeur de ce virus ? »
Le
25 février, vous annonciez : « Une amélioration spectaculaire sur tous
les cas cliniquement positifs […]. L’excellente nouvelle est qu’il
s’agît probablement de l’infection respiratoire la plus facile à traiter
de toutes. » Cette déclaration était-elle prématurée ?
Non,
je continue à le penser. Il y a une différence considérable sur la
progression du virus entre les pays qui ont importé la chloroquine, et
ceux qui ne l’ont pas fait. La Chine, l’Inde, la Russie, beaucoup de
pays africains, d’Amérique du Sud, une grande partie de l’Europe de
l’Est, en Orient… tous l’utilisent.
Vous
doutiez que ce virus puisse envahir le monde. Selon vous, « ça n’existe
pas les maladies infectieuses qui se répandent dans tous les espaces sur
Terre au même moment » à part « les maladies sexuellement
transmissibles »…
Oui,
c’est vrai, c’est bizarre. Je ne comprends pas. Des questions
demeurent, dont une : pourquoi l’Europe est devenue, avec les
États-Unis, le foyer majeur de ce virus ?
Avez-vous des éléments de réponse ?
Pas
encore. Nous avons isolé 1 000 virus dans nos laboratoires, et nous
finissons les analyses des séquences de 300 génomes, deux fois plus que
n’importe où ailleurs en France ! Il y a des clones qui émergent,
essaiment, différents des asiatiques. Sans pour l’instant d’explications
claires. Le Covid-19 demeure mystérieux. Nul ne sait ce qui va se
passer dans les prochains mois. Tous ceux qui se risquent à des
prédictions sont des charlatans. Je suis un homme de savoir, pas un
devin. Mais je peux faire des comparaisons analogiques avec des
expériences passées : le coronavirus est le vingtième virus d’infection
virale respiratoire que nous découvrons… Une famille bien connue, donc.
« N’importe
quel gosse de 5 ans est créatif, à partir de 40, on l’est moins. En
sciences, les chercheurs doivent garder cette naïveté, cette curiosité. »
Ce qui vous permet de dire qu’il pourrait être saisonnier…
Oui
! Tous le sont, sauf le rhinovirus. On ignore pourquoi. Il y a des
centaines d’hypothèses. Donc il ne serait pas invraisemblable de
découvrir que le coronavirus l’est lui aussi.
Vous citez en exemple les communautés scientifiques chinoises et d’Extrême-Orient. Pour quelles raisons ?
Leurs
chercheurs ont une approche très empirique, confucéenne, sans cesse
renouvelée. Contrairement à nous, leur vision repose sur le devoir et le
pragmatisme. Ils sont plus jeunes et je crois en cette jeunesse dans la
recherche. N’importe quel gosse de 5 ans est créatif, à partir de 40,
on l’est moins. En sciences, les chercheurs doivent garder cette
naïveté, cette curiosité.
Pensez-vous que notre réflexion scientifique actuelle est trop homogène ?
Oui, plus que jamais. Pour suivre le troupeau, pas besoin de cerveau, des jambes suffisent.
« En France, nous sommes pétris par la peur. Toutes nos structures sont paralysées par le risque. »
Et vous, vous avancez à contre-courant ?
En
parallèle, plutôt. Au fond, je suis beaucoup plus proche des
philosophes et des anthropologues que des scientifiques français.
L’homogénéité de la pensée est un phénomène purement mécanique et
mathématique qu’on appelle l’écart-type : plus l’échantillon est
important, plus l’écart-type est petit. Dans les sociétés humaines,
c’est pareil : plus vous avez d’humains, moins ils pensent de manière
différente. Le « politiquement correct », la « pensée conforme » ne sont
qu’un effet de masse, à fuir, même s’il est difficile d’y résister !
Avec mon équipe, nous avons fait quelques-unes des plus grandes
découvertes de virologie du XXIe siècle, en débusquant un monde entier,
une branche de virus jusqu’ici inconnue, près de 1 000 bactéries chez
l’homme sur les 3 000 existantes… Parce que nous pensons autrement. Je
suis un des virologues les plus célèbres au monde, mais je ne fréquente
pas les congrès. En France, nous sommes pétris par la peur. Toutes nos
structures sont paralysées par le risque.
C’est-à-dire ?
Dans
une situation de crise telle que nous la vivons aujourd’hui, il faut
agir, soigner comme l’exige le serment d’Hippocrate. Le président Macron
l’a dit : au front, il ne faut pas attendre. C’est ce que je fais. Tout
ne peut pas être téléguidé depuis des bureaux, il faut privilégier le
terrain.
Sur quels champs de bataille vos équipes avancent-elles ?
Chaque
jour, dans la presse scientifique, nous découvrons de nouvelles études.
Nous analysons aussi les données de 4 000 patients traités. Nos
chercheurs travaillent jour et nuit, sans relâche, pour ajuster le
traitement : la prise en charge est modifiée environ tous les deux
jours.
« On ne peut pas mener une guerre avec des gens consensuels. Le consensus, c’est Pétain. Insupportable. »
Travaillez-vous sur un vaccin ?
Pas
du tout ! Les vaccins ne sont pas toujours la bonne solution. Trouver
un vaccin pour une maladie qui n’est pas immunisante… c’est même un défi
idiot. Près de 30 milliards de dollars ont été dépensés pour celui
contre le VIH, voyez le résultat ! Ce n’est pas une guerre de
laboratoire, mais d’intelligence. Quand on ne sait pas gérer une maladie
infectieuse, on nous sort le coup du vaccin ! Il est déjà difficile de
vacciner correctement contre la grippe, alors contre un nouveau virus…
Honnêtement la chance qu’un vaccin pour une maladie émergente devienne
un outil de santé publique est proche de zéro. On peut avoir des
surprises mais je suis sceptique.
Vous avez siégé au conseil scientifique crée par le gouvernement. Pourquoi l’avoir quitté brutalement ?
On
ne peut pas mener une guerre avec des gens consensuels. Le consensus,
c’est Pétain. Insupportable. On ne peut pas décider de cette manière.
Ces personnes ne savaient pas de quoi elles parlaient ! Et chacun
poussait ses billes en avant. Il fallait faire plaisir, représenter
l’Institut Pasteur, l’Inserm, etc. Il n’y a rien de fiable
scientifiquement là-dedans. De mon côté, j’ai fait ce qu’il fallait
faire en créant l’infectiopôle, je suis prêt et organisé. En 2003, j’ai
écrit un rapport sur les risques épidémiques, tiré de mes observations
sur la réaction chinoise face à l’épidémie du Sras. Ici, en vingt ans,
ils n’ont rien appris. Résultat, personne ne sait tester le coronavirus.
Cela, Emmanuel Macron le sait très bien.
Vous l’avez reçu le jeudi 9 avril, dans ce bureau, pendant trois heures. Que vous a-t-il dit ?
Je
ne vais pas dévoiler ma conversation privée avec le président. Est-ce
que j’ai été flatté de sa visite ? Non. Je fais ce que je dois faire.
J’ai dit au président et au ministre de la Santé, Olivier Véran, que
j’étais disponible pour donner des avis. En cas de découverte, je leur
envoie des SMS. Mon objectif est de guérir le plus de monde possible.
Mon métier, c’est de trouver des traitements. J’en ai inventé douze,
sans jamais collaborer avec l’industrie pharmaceutique, à partir de
recyclage uniquement.
Annoncer une date de déconfinement est une décision politique
Le président vous a-t-il entendu ?
Macron
est un homme intelligent, qui comprend tout, hermétique à tout ce qu’il
peut entendre à mon sujet. Nous avons testé plus de 100 000 personnes,
voilà l’élément à garder en tête. Grâce à ces tests, nous sommes les
seuls à avoir pu l’éclairer sur la prévalence du coronavirus chez les
enfants. Selon nos études, il n’y en a presque pas. Le gouvernement ne
le savait pas… Il y a trente ans, les travaux des chercheurs étaient
centralisés. Aujourd’hui, tous sont dispersés, tiraillés par les
querelles entre laboratoires. Il n’y a pas un seul endroit comme l’IHU
Méditerranée infection où collaborent des spécialistes de tous les
domaines : épidémiologistes, statisticiens, chimistes,
bio-informaticiens. Nous sommes l’Institut Pasteur d’il y a cent ans.
Dans cette crise, le gouvernement a-t-il, selon vous, bien réagi ?
Je ne veux pas juger. On ne critique pas les généraux pendant la bataille. L’histoire tranchera.
Beaucoup craignent une seconde vague épidémique. Et vous ?
Je
ne sais pas sur quelles données scientifiques ils se fondent. Quant au
taux de 70 % de la population qui devrait être immunisée pour enrayer la
circulation du virus, je n’ai pas d’opinion.
Que pensez-vous des mesures de déconfinement ?
Pareil,
je ne sais pas. C’est de la spéculation. Historiquement, la quarantaine
n’a jamais été efficace. En revanche, les lazarets, oui ! J’ai toujours
dit que le dépistage massif et l’isolement des personnes contaminées
étaient la meilleure solution. Annoncer une date de déconfinement est
une décision politique.
Ma bague n’est pas une bague de rockeur, mais un « Memento mori », le « Souviens-toi que tu vas mourir » des Romains
Fin
mars, l’institut Odoxa révélait que vous étiez devenu une des
« personnalités politiques » préférées des Français. Avez-vous des
ambitions politiques ?
Absolument
pas. Je suis professeur, médecin – je n’ai jamais cessé de consulter –
et chercheur. Ce qui m’intéresse, c’est de découvrir des choses. Je
n’aime pas les mouvements, je file à l’opposé. En général, c’est là,
qu’il y a des pépites.
Vous
dites « La question, c’est : être digne de ceux qui nous ont précédés ».
Êtes-vous digne de votre père, médecin militaire, de votre mère,
infirmière, de vos grands-parents, résistants, et de votre
arrière-grand-père, Paul Legendre, infectiologue ?
Désormais,
je suis en paix avec la mémoire de mon père : j’ai longtemps estimé que
je n’avais pas fait aussi bien que lui. Regardez-le à mon âge [il nous
montre une photo] avec ses longs cheveux : c’était pourtant un général !
Les gens interprètent ce qu’ils voient et se font des illusions. La
réalité est plus complexe. Comme ma bague. Ce n’est pas une bague de
rockeur, mais un « Memento mori », le « Souviens-toi que tu vas mourir » des
Romains. Je suis très influencé par leur culture qui souvent incite à
se méfier du triomphe. Les querelles, on en sort. Le succès est bien
plus dangereux…
Quand trop de gens vous trouvent formidable, il faut commencer à douter
Votre
forte personnalité vous oppose à vos confrères. En particulier Yves
Lévy, ex-PDG de l’Inserm, et époux d’Agnès Buzyn. Cette brouille vous
a-t-elle tenu à l’écart de l’ancienne ministre de la Santé ?
Sûrement.
Si vous vous disputiez avec ma femme, j’aurais des difficultés à vous
voir. C’est humain. Toute ma vie, j’ai été emmerdé. Et je m’en fous. Au
contraire, ça muscle. Je suis nietzschéen, je cherche la contradiction,
les ennuis pour me fortifier. Le pire, c’est le confort : il rend idiot.
Ce rejet d’une partie de l’establishment médical vous touche-t-il ?
Pas
du tout. Je suis aussi stoïcien : la seule chose qui me préoccupe est
l’estime de moi-même. Et, croyez-moi, je suis impitoyable. « Je suis le
savant de Marseille », comme disait Coluche.
Aussi rugueux ?
Je
ne pense pas l’être. Je suis franc, c’est différent. Je me méfie de la
popularité. Quand trop de gens vous trouvent formidable, il faut
commencer à douter. J’admire Rimbaud, Nietzsche, Céline. Souvenez-vous
des derniers mots de « L’étranger », de Camus : « Pour que tout soit
consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter
qu’il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu’ils
m’accueillent avec des cris de haine. » [Il rit].