Amjad Abu Alala : « Mon héros, une métaphore de la révolution soudanaise » ENTRETIEN. Le réalisateur soudanais s’empare de la question de l’emprise des religieux dans un premier film aux allures de conte. Il se confie au Point Afrique.
L’histoire se déroule dans la région oubliée et aride d’Al-Jazirah, au Soudan, aux limites de l’Empire ottoman. Lors d’un rite soufi, le destin du nouveau-né Muzamil est révélé : il mourra à 20 ans. Frappés par cette malédiction, le père décide de fuir à l’étranger et la mère Sakina l’élève seule, lui interdisant de vivre comme les autres enfants. Seul l’apprentissage du Coran lui est autorisé. À l’approche de sa vingtième année, Muzamil fait la rencontre de Suleiman, homme à la marge : sorte de père adoptif, il lui ouvre une fenêtre sur le monde, l’invite à libérer ses sentiments, à utiliser son libre arbitre, à écrire lui-même sa vie. Proche du conte à certains égards, Tu mourras à 20 ans * (en salle depuis le mercredi 12 février) aborde ainsi le poids des croyances, l’apprentissage de l’amour, de la liberté, le rapport de l’individu à son destin.
La finesse du propos se traduit par une superbe facture esthétique : lents mouvements de caméra rythmant les tensions dramatiques, dialogues ciselés où chaque mot est pesé, compositions sonores évoquant les rêves, les visions, la psyché des personnages… La lumière tantôt sculpte, écrase, révèle, faisant poudroyer dans un jeu de clair-obscur la poussière en suspension, ou noyant une scène dans un éblouissement quasi mystique, tandis que le Nil bleu miroite, clarté aluminium tel un écran d’attraction (menace mortifère ou chemin vers un ailleurs ?). Le cinéaste Amjad Abu Alala, 37 ans, a grandi entre le Soudan et les Émirats arabes unis. Sa vocation naît dès l’âge de 10 ans, à la découverte des films de l’icône égyptienne Youssef Chahine.
closevolume_off
À l’université de Dubai, il est acteur, metteur en scène et auteur pour le théâtre dans un premier temps. Sa pièce Apple pie,
jouée actuellement au Caire, a été primée par l’Académie arabe du
théâtre. Puis il réalise des documentaires pour la télévision, des
courts-métrages sélectionnés dans des festivals internationaux, dont Studio, en 2012, supervisé par le maestro iranien Abbas Kiarostami. Également producteur, il fait partie
du Sudan Film Factory et assure la programmation du Festival du film
indépendant du Soudan. Couronné par le Lion du futur du meilleur premier
film à la Mostra de Venise en 2019, ainsi que par les grands prix d’El
Gouna et d’Amiens, Tu mourras à 20 ans est son premier
long-métrage. Le réalisateur inscrit en miroir la quête de liberté de
son héros avec la révolution du peuple soudanais en 2018, après presque
trente ans de dictature. Il s’est confié au Point Afrique.