Covid-19 : Quelles solutions économiques pour une sortie de crise ? (Par Pape Diop)
En dépit du contexte de pandémie à
Coronavirus, le volet économique a occupé une large part dans le
traditionnel message du chef de l’État à la Nation, à l’occasion du
60ième anniversaire de notre indépendance. Ce qui se justifie amplement.
Il est donc heureux que le Président Macky SALL ne s’y est pas trompé.
Il a en effet mesuré l’ampleur des ravages que cette pandémie pourrait
causer à notre économie et les efforts colossaux qu’il faudra consentir,
le cas échéant, pour la relancer.
A
ce propos, je salue la série de mesures annoncées par le chef de l’État
et qui vont toutes dans le sens de préserver le pays de cette sombre
perspective. Pour rappel, il a fait part d’un Programme de résilience
économique et sociale décliné en quatre axes. Le premier axe est dédié
au secteur de la Santé avec une enveloppe de 64,4 milliards pour toutes
les dépenses liées à la riposte contre le Covid-19. Le deuxième a trait
au renforcement de la résilience sociale des populations avec une
enveloppe de 100 milliards alors qu’un troisième axe est relatif à
l’approvisionnement régulier du pays en hydrocarbures, produits médicaux
et denrées de première nécessité.
Mais,
c’est très certainement le quatrième axe de son plan de riposte qui a
le plus attiré l’attention de ceux qui s’inquiètent pour la survie de
nos entreprises et l’état de notre économie après la pandémie.
Concernant ce volet, il a annoncé une batterie de mesures sous la forme
« d’injection de liquidités assortie de mesures fiscales et douanières ».
Il
s’agit, entre autres, d’une enveloppe de 302 milliards destinés au
paiement des fournisseurs de l’État, de 100 milliards pour l’appui
direct aux secteurs les plus touchés (transport, hôtellerie,
agriculture, etc.), de 200 milliards pour alimenter un mécanisme de
financement accessible aux entreprises affectées, de la remise ou
suspension d’impôts pour les entreprises qui maintiennent leurs
travailleurs en activité ou qui sont disposées à payer plus de 70% du
salaire des employés mis en chômage technique.
Quant
aux Petites et Moyennes Entreprises dont le chiffre d’affaires est
inférieur ou égal à 100 millions de francs CFA et les entreprises
évoluant dans les secteurs les plus impactés, elles bénéficieront d’un
différé de paiement des impôts et taxes jusqu’au 15 juillet 2020.
Toutes
ces mesures seront donc mises en œuvre grâce au Fonds de Riposte contre
les Effets du Covid-19, FORCE-COVID-19, doté de 1000 milliards et
financé par l’État et des donations volontaires.
Le
Président Macky SALL a assurément le grand mérite d’avoir conçu ce
Programme de résilience économique et sociale comme riposte à l’assaut
foudroyant du Covid-19 sur notre économie. Hélas, tout ce dispositif
pourrait s’avérer insuffisant comme le Président lui-même en a
conscience en admettant l’avoir conçu « devant l’urgence, et en attendant
une évaluation complète des effets de la crise sur l’économie
nationale ».
Il
s’y ajoute qu’on ne devrait pas se contenter de mesures
conjoncturelles, juste pour sortir de ce passage très difficile. Car, « à
quelque chose, malheur est bon », dit-on. Et de ce point de vue, la
crise du Covid-19 devrait être plutôt l’occasion de prendre des mesures
structurelles pour mettre définitivement notre économie sur les rampes
d’un vrai lancement.
Je
suis d’ailleurs persuadé que le Président Macky SALL reste attentif à
toute suggestion pouvant aider à rendre le dispositif de riposte encore
plus performant. D’ailleurs, à la faveur de l’audience qu’il m’a
accordée récemment, j’ai pu mesurer personnellement à quel point il
était ouvert à toutes les propositions pour vaincre rapidement le
Coronavirus et atténuer ses effets néfastes sur notre tissu économique
et social.
Certes,
la crise liée au Covid-19 est une énorme contrainte, mais nous pouvons
la transformer en une bonne opportunité pour permettre à notre économie
de prendre son envol, une fois cette parenthèse refermée. C’est à ce
propos que je voudrais partager avec le président de la République
d’abord, mais aussi avec l’ensemble de nos compatriotes ces quelques
réflexions.
Primo
: pour installer durablement notre économie sur la voie du
développement, le premier levier sur lequel il nous faut agir reste le
secteur bancaire.
A
ce niveau, la première chose à corriger est la très faible proportion
de nos banques de développement par rapport à l’offre bancaire. Il
existe en effet au Sénégal 26 banques commerciales contre seulement
trois banques de développement sur lesquelles, partout au monde, les
États s’appuient pour financer le développement de leurs économies.
Le
deuxième impératif est de créer les conditions permettant aux banques à
capitaux exclusivement sénégalais de s’agrandir afin de disposer de
filiales, ne serait-ce que dans la sous-région. Comme le font chez nous
des banques de pays aux économies relativement plus faibles que la
nôtre. La Mauritanie est présente au Sénégal à travers la BCI, le
Burkina à travers Coris Bank, le Bénin à travers la Banque Atlantique,
sans oublier le Nigeria dont les banques foisonnent à présent dans notre
pays. En aidant nos banques à se déployer dans la sous-région, nous
pourrions amener par exemple la BHS ou la BNDE, entre autres, à
augmenter leurs surfaces financières afin de pouvoir contribuer
davantage au financement de notre économie.
L’État
a aussi l’impératif de peser de tout son poids pour amener les banques
établies au Sénégal à baisser sensiblement leurs taux d’intérêt qui
restent en moyenne entre 11 et 12%. Ce qui désavantage largement nos
entrepreneurs et industriels dont la marge de manœuvre s’en trouve
réduite.
Il
faut oser le dire, les banques sont actuellement un frein au
développement de nos économies. C’est donc le moment pour le Président
Macky SALL et ses collègues de l’UEMOA d’intervenir auprès de la BCEAO
afin qu’elle revoie ses taux directeurs, de manière à permettre à nos
banques de baisser leurs taux d’intérêts. Lesquels taux d’intérêt sont
pour le moins excessifs, comparés à ceux que la Banque Centrale
Européenne applique aux PME/PMI et qui excèdent rarement 1%.
En
attendant une intervention des chefs d’État auprès de la BCEAO, l’État à
qui aucune banque ne peut fixer un taux d’intérêt excédant les 7%, doit
absolument user de la qualité de sa signature pour garantir auprès de
certaines banques des prêts remboursables à ce taux pour les entreprises
les plus affectées par la crise, ainsi que les PME/PMI. Ces prêts
seront d’autant plus salutaires pour les entreprises bénéficiaires que
leur taux d’intérêt ne dépassera pas 7% et qu’ils seront fixés
proportionnellement aux pertes qu’elles auront subies à cause du
Covid-19 sur leurs chiffres d’affaires.
Cette
formule pourra ainsi venir en appoint au mécanisme de financement de
200 milliards mis en place par le Président en faveur des entreprises
les plus affectées et qui, seul, ne permettra pas d’aider conséquemment
les entreprises en difficultés.
Deuxio : il faut en finir avec le grand paradoxe qui caractérise notre tissu économique.
En
effet, alors que les PME/PMI représentent 90% de nos entreprises et que
l’économie informelle concentre l’écrasante majorité de la population
active, ces deux secteurs sont traités jusque-là en parents pauvres. Or,
c’est cette tendance qu’il nous faut vite inverser si nous voulons
mettre notre économie sur orbite.
Ainsi,
comme mesure immédiate, j’invite le Président Macky SALL, qui en a fait
l’annonce ce 3 avril, à prolonger le différé de paiement des impôts et
taxes en faveur des Petites et Moyennes Entreprises au-delà du 15
juillet 2020. Ce délai peut s’avérer en effet très court et ne sera pas,
de toute évidence, suffisant pour permettre à nos PME/PMI de retrouver
un regain d’activité et une santé financière pour supporter, aussitôt
après la crise, le paiement de ces impôts et taxes. De même ce différé
dont les seules bénéficiaires sont les PME/PMI ayant « un chiffre
d’affaires inférieur ou égal à 100 millions de francs CFA », doit être
élargi à d’autres dont le chiffre d’affaires est certes plus important,
mais qui n’en sont pas moins très fragiles, surtout après l’impact du
Covid-19.
Quant
à l’économie informelle, aucun gouvernement n’a réussi jusqu’ici à
exploiter le vrai potentiel qu’elle représente. Quel gâchis d’ailleurs
pour l’État et pour le pays que l’ensemble des acteurs de l’informel ne
soient pas jusqu’ici recensés et versés dans un registre national ! En
les organisant de la sorte, l’État pourra les amener à alimenter par des
cotisations un fonds revolving auquel, seront éligibles l’ensemble des
adhérents à ce fichier national des travailleurs de l’informel pour
augmenter leurs capacités financières et, par conséquent, développer
leurs activités respectives.
Tertio
: le principal enseignement à tirer de cette crise du Covid-19 est que
la meilleure garantie de résilience pour un pays, est la promotion du
patriotisme économique.
Certes,
dans un monde réduit à un « village planétaire », aucun pays ne peut se
recroqueviller sur lui-même. Par contre, chaque pays, sans verser dans
le protectionnisme ni violer les règles de l’OMC (Organisation mondiale
du commerce), est tout à fait libre de créer les conditions permettant à
son secteur privé de bénéficier des opportunités qui se présentent au
plan national. C’est la seule voie pour avoir un secteur privé fort et
pouvoir ainsi le mettre à contribution comme on l’a vu au Maroc où seul
l’apport du Groupe Attajariwafa Bank à l’effort de guerre contre le
Covid-19 lancé par le Roi Mouhamed VI, s’élève à 150 milliards de francs
CFA, selon certaines informations. C’est dire toute l’utilité d’avoir
un secteur privé fort. Un combat que mène à juste titre le Club des
investisseurs sénégalais (CIS) et que l’État gagnerait à accompagner,
quitte à reconsidérer la notion d’entreprise de droit sénégalais.
Puisque sur la base de ce simple statut, des non nationaux font
prévaloir la règle de la préférence nationale pour rafler quasiment tous
les marchés, au détriment d’entreprises à capitaux exclusivement
sénégalais. Il est impératif d’inverser cette tendance si nous voulons
réellement bâtir une vraie économie nationale. Il convient aussi de
faire du transfert de technologie et de la signature de joint-ventures
avec des entreprises sénégalaises opérant dans le même secteur des
conditionnalités inaliénables à l’octroi de marchés aux entreprises à
capitaux étrangers.
Comme
on le voit, notre économie aura besoin d’un vrai changement de
paradigme et d’un traitement de choc pour se remettre d’aplomb après les
ravages du Covid-19. On est manifestement à un tournant qu’il ne faut
surtout pas rater au risque de ne plus pouvoir nous relever. J’invite
ainsi les pouvoirs publics, le patronat, les décideurs et tous les
acteurs économiques à un sursaut national pour opérer ce gros virage et
éviter que le Covid-19 ne laisse à jamais des séquelles sur notre tissu
économique et social.
Pape DIOP, Président de la Convergence Libérale et Démocratique Bokk Gis Gis