Le Pastef construit sa bulle

Le Pastef construit sa bulle

A peine un an de pouvoir et le débat est déjà vif au sujet de la gestion du pouvoir par le Pastef. Cette formation qui a suscité un grand espoir a certes posé pas mal d’actes allant dans le sens de la rupture. On peut en citer la formation du gouvernement et le choix de beaucoup de profils qui répondent à l’emploi dans une bonne partie des postes, la vérité des chiffres sur les comptes publics, la volonté d’arrêter le carnage foncier, d’instaurer la reddition des comptes ou de renégocier une bonne partie des contrats.

Cependant, ce régime a aussi de quoi inquiéter surtout si l’on se réfère à une série d’actes posés depuis quelque temps. Prenons l’exemple emblématique de la lettre-bilan de Malick Ndiaye, cadre de Pastef et président de l’Assemblée nationale. Dans sa missive, l’ancien ministre présente un bilan élogieux du duo Diomaye-Sonko. Il en veut pour preuve la révision des accords de pêche, le projet « Eau potable pour tous, une réduction notable du coût de l’électricité. Sur le plan agricole, il cite « l’épuration des dettes des producteurs » et « la hausse du prix du kilogramme d’arachide », la sécurisation de l’élevage avec la révision imminente de la loi agro-sylvo-pastorale. 

Sur le plan économique, El Malick Ndiaye parle d’une maîtrise de la dette publique et la baisse des prix de certaines denrées alimentaires. Dans le bilan d’El Malick Ndiaye figure aussi la redynamisation de l’image internationale du Sénégal sans oublier le New Deal Technologique. 

La première remarque est que dans ce bilan de Malick Ndiaye, il y a plus de projets que de réalisations. La maîtrise de la dette, l’Eau potable pour tous, le New Deal Technologique et la sécurisation de l’élevage sont tous des projets. La preuve, comment peut-on parler d’une maîtrise de la dette alors que le déficit aujourd’hui est à plus de 100% du Pib ?  Le jour où le Sénégal sera sous la barre des 70% comme le veulent les règles de l’Uemoa, El Malick pourra alors crier victoire. Pour l’instant, on en est loin avec une note dégradée et une marge budgétaire presque nulle. 

Par ailleurs, de quelle sécurisation de l’élevage parle El Malick Ndiaye ? Aujourd’hui plus que jamais le vol de bétail reste une réalité et même un fléau. Des familles jadis à l’abri du besoin sont tombées dans la pauvreté parce que le cheptel familial a été dérobé en un jour, laissant la fratrie sans revenu. Il suffisait à El Malick Ndiaye d’interroger ses parents de Dahra Djolof avant d’être aussi affirmatif. 

Au Sine-Saloum, jusqu’à aujourd’hui, on voit des gens qui viennent dire à des victimes de vol:  »si tu me donnes 150 000 F Cfa, tu retrouveras ton cheval ». Et dans ce cas, même si cet intermédiaire étrange est mis en prison, le cheval est perdu à jamais. Ainsi, c’est mal connaître le phénomène que de croire qu’une simple révision de la loi suffit à l’éradiquer. 

Le gouvernement est donc fortement attendu sur ce point à la fois économique et social. Comme il est attendu d’ailleurs sur la commercialisation de l’arachide presque au point mort, en dépit des efforts fournis par le gouvernement pour accompagner les producteurs. 

Quant au New Deal Technologique, il vient à peine d’être lancé. Or, les Sénégalais ont appris avec les régimes de Wade et Sall, qu’il y a un fossé entre le lancement d’un projet et sa réalisation. Pendant des années, le président Macky Sall et ses partisans ont mis dans leur bilan le programme des 100 000 logements et la résorption des abris provisoires. 

Au moment de leur départ, ils n’ont pas laissé 1 000 logements au Sénégal, malgré tout le tintamarre. Quant aux abris provisoires, ils sont restés intacts. Ces deux exemples auxquels on peut ajouter tant d’autres sont la preuve qu’il y a la mer entre la vision ou la promesse et sa réalisation.

Sur la baisse des denrées de première nécessité, il faut reconnaître que le prix du pain a connu une réduction réelle sur le terrain. Pour le sucre par contre, le kilogramme à 700 f s’impose presque partout. Il ne reste peut-être que quelques endroits où le prix est à 600 F. Le bilan est donc mitigé. Même chose pour l’huile, produit dont le prix sur le marché à l’international s’est imposé face au prix fixé par l’Etat. 

A propos de l’électricité, les Sénégalais attendent plutôt une baisse des prix de l’énergie, surtout que la SAR a raffiné les premiers barils du pétrole sénégalais. Une baisse du coût, c’est bien, mais la promesse faite aux Sénégalais est une baisse sur les prix. Or, les autorités restent muettes jusqu’ici sur cette question.

Sur le plan diplomatique, il est aujourd’hui difficile voire impossible de donner un indicateur pour dire que la diplomatie du Sénégal a été redorée. Le président Diomaye Faye est invité par les mêmes qui ont toujours invité son prédécesseur, Macky Sall. Certes, le président Faye a été désigné médiateur par la Cédéao auprès des pays de l’AES. Mais visiblement, cette médiation s’est soldée par un échec, au point que le nouveau président ghanéen semble prendre le relais. Il s’y ajoute les expulsions de nos compatriotes de la Mauritanie, restées sans réaction publique.

Enfin, Augustin Tine et Seydina Diagne ont échoué respectivement à la Fifa et à la CIO. Ce qui est une question diplomatique. Le Sénégal n’a pas présenté de candidature à la présidence de la commission de l’Union africaine. Une posture dictée peut-être par la candidature du Sénégalais Amadou Hott à la présidence de la BAD. On verra bien ce que fera la diplomatie sénégalaise. 

En résumé, le tableau dressé par El Malick Ndiaye est trop beau pour être vrai. La situation économique reste difficile et sur le plan judiciaire, la loi interprétative du député Amadou Ba interroge sur la volonté de rendre justice, sans distinction. Le nouveau régime gagnerait donc à faire preuve de plus de lucidité. 

A bien des égards, ce bilan d’El Malick montre que Pastef est en train de perdre de vue la réalité du terrain pour celle sur le papier. Il est en train de construire sa bulle. Le plus inquiétant ici est que c’est un phénomène qu’on avait l’habitude de voir en fin de règne d’un régime et non en début de mandat. 

Souare Mansour

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Si vous souhaitez recevoir votre revue de presse par email chaque matin, abonnez ici !