Bissau, le camouflet qui ébranle la CEDEAO : une organisation en sursis ?
Le 1er mars 2025, la mission conjointe CEDEAO-UNOWAS, déployée en Guinée-Bissau pour apaiser les tensions politiques et favoriser un consensus autour des élections de 2025, a dû quitter le pays précipitamment. Selon un communiqué signé par l’Ambassadeur Bagudu Hirse, chef de la délégation, cette décision fait suite à des « menaces d’expulsion proférées par le président Umaro Sissoco Embaló ». L’institution régionale affirme que la délégation internationale a été contrainte de plier bagages dans la nuit, alors qu’un projet d’accord sur le calendrier électoral était en cours de finalisation. Cet épisode souligne une escalade inquiétante des tensions politiques à Bissau, mais il interroge également la capacité de la CEDEAO à maintenir son autorité dans une région où son influence semble s’effriter.
Le
départ forcé de la mission intervient dans un contexte particulièrement
sensible. Le 23 février, alors que la délégation était encore sur
place, le président Embaló a unilatéralement fixé la date de l’élection
présidentielle au 30 novembre 2025, déclarant son intention de rester au
pouvoir jusqu’à l’investiture de son successeur. Cette annonce a
suscité l’ire de l’opposition, qui exige son départ dès le 27 février
2025, date marquant la fin de son mandat selon son investiture, tandis
que la Cour suprême a tranché pour le 4 septembre. Ce bras de fer autour
de la légitimité du président Embaló met en lumière les fragilités
institutionnelles de la Guinée-Bissau, un pays marqué par des décennies
d’instabilité politique et de coups d’État.
Malgré
cette fin abrupte, la mission CEDEAO-UNOWAS avait réalisé des avancées
notables. « La mission a élaboré un projet d’accord sur le calendrier
pour l’organisation des élections législatives et présidentielles de
2025 », précise le communiqué, ajoutant que des consultations avec les
acteurs politiques étaient en cours. L’expulsion de la délégation par
Embaló a donc interrompu un processus qui semblait prometteur,
renforçant l’image d’un dirigeant prêt à défier les instances régionales
pour consolider son pouvoir.
La CEDEAO en perte de vitesse
Cet
incident à Bissau n’est pas un cas isolé. Il s’inscrit dans une série
de revers pour la Communauté économique des États de l’Afrique de
l’Ouest (CEDEAO), dont l’autorité est de plus en plus contestée. En
2024, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, trois membres clés de
l’organisation, ont claqué la porte pour former l’Alliance des États du
Sahel (AES), dénonçant une CEDEAO jugée trop alignée sur des intérêts
étrangers et incapable de répondre aux défis sécuritaires et économiques
de la région. Ces départs ont amputé l’organisation de près d’un tiers
de ses membres et ont révélé des fractures profondes au sein de l’espace
ouest-africain.
À
ces défections s’ajoutent les velléités de départ du Togo, où le
président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, entretient des
relations ambivalentes avec la CEDEAO. Bien que Lomé n’ait pas encore
franchi le pas d’une sortie officielle, les critiques récurrentes du
régime togolais envers l’organisation, notamment sur sa gestion des
crises politiques et des sanctions, laissent planer le doute sur son
engagement à long terme. Dans ce contexte, l’incapacité de la CEDEAO à
imposer son agenda à Bissau face à un président récalcitrant comme
Embaló pourrait conforter les sceptiques et encourager d’autres pays à
reconsidérer leur appartenance.
Une crédibilité en jeu
La
CEDEAO avait pourtant déployé cette mission avec l’ambition de prévenir
une nouvelle crise électorale en Guinée-Bissau, un pays où les
transitions démocratiques sont souvent chaotiques. En appelant « toutes
les parties intéressées et tous les citoyens à maintenir le calme et
préserver la paix », la délégation a tenté de sauver la face, mais le
message sonne creux face à l’humiliation subie. Comment une organisation
régionale peut-elle prétendre stabiliser une sous-région alors qu’elle
est incapable de faire respecter sa présence sur le terrain ?
Les
départs du Mali, du Burkina et du Niger ont déjà affaibli la légitimité
de la CEDEAO, et l’épisode bissau-guinéen risque d’aggraver cette
perception. Umaro Sissoco Embaló, ancien président en exercice de la
CEDEAO (2022-2024), connaît bien les rouages de l’organisation. Son défi
ouvert à la mission conjointe montre qu’il n’hésite pas à exploiter ses
faiblesses pour asseoir son autorité nationale. Si la CEDEAO ne
parvient pas à répondre de manière ferme et unifiée à cette provocation,
elle pourrait voir son rôle réduit à celui d’une coquille vide,
incapable d’arbitrer les crises qui secouent ses membres.
Vers une nécessaire refonte ?
Face
à ces défis, la question se pose : la CEDEAO n’est-elle pas arrivée à
un tournant décisif ? Les critiques sur son manque de cohérence dans la
gestion des juntes militaires (sanctions fermes contre le Mali, mais
dialogue avec la Guinée-Bissau) et son incapacité à empêcher les dérives
autoritaires de certains dirigeants fragilisent son assise. Le
Président Bassirou Diomaye Faye avait d’ailleurs tiré la sonnette
d’alarme le 7 juillet 2024 : « «
Aujourd’hui, force est de constater que la CEDEAO fait face à de
nombreux défis au quotidien. Cela remet profondément en cause nos acquis
en matière d’intégration avec un risque réel de désintégration de notre
communauté. »
«
Nous devrons sans doute débarrasser la CEDEAO des clichés et
stéréotypes qui la réduisent à la posture d’une organisation soumise aux
influences de puissances extérieures et distante des populations
qu’elle a la responsabilité historique de servir », avait-il ajouté.
Une
refonte de ses mécanismes, davantage centrée sur les besoins des
populations plutôt que sur les jeux de pouvoir des élites, pourrait être
une piste pour restaurer sa crédibilité. Sans cela, l’organisation
risque de voir son influence continuer à s’éroder, au profit
d’initiatives régionales concurrentes ou d’un repli des États sur
eux-mêmes.
En
attendant, la Guinée-Bissau reste suspendue à une crise politique dont
l’issue demeure incertaine. La CEDEAO, quant à elle, doit tirer les
leçons de cet échec si elle veut éviter de devenir un simple spectateur
des bouleversements qui redessinent l’Afrique de l’Ouest.