France-Libye sous Sarkozy : de la réhabilitation de Kadhafi à sa chute
La singularité du
régime de Mouammar Kadhafi, en quête de respectabilité sur la scène
diplomatique dans les années 2000, a nourri les soupçons de financement
libyen de la campagne électorale présidentielle de Nicolas Sarkozy sur
lesquels la justice française se penchera à partir de lundi.
L’ancien
président de la République devra répondre, avec plusieurs anciens
ministres, de soupçons de corruption internationale. Le procès
s’achèvera le 10 avril 2025.
Lorsque
Nicolas Sarkozy fait son entrée à l’Elysée en 2007, « il faut se
rappeler qu’en Libye, nous sommes face à un Etat de non droit », raconte
Hasni Abidi, directeur du Centre d’études sur le monde arabe et
méditerranéen.
– Opacité –
Il
y avait « les hommes de la tente », les chefs de renseignement intérieur
composant un cercle restreint entouré d’une « opacité la plus totale » et
qui échangeaient avec un autre cercle restreint, celui des proches de
Nicolas Sarkozy, explique l’expert.
« Le
congrès populaire général – équivalent du Parlement – n’avait, lui,
strictement aucun pouvoir ou contrôle des décisions prises par
l’entourage de Kadhafi », ajoute-t-il.
Le
diplomate Patrick Haimzadeh, auteur de l’ouvrage « Au coeur de la Libye
de Kadhafi », connaît bien le régime libyen pour avoir été en poste à
Tripoli de 2001 à 2004.
– « Valises de cash » –
« Il
était coutumier pour le régime Kadhafi de financer des chefs d’État
étrangers et des hommes politiques au pouvoir ou de l’opposition, le
plus souvent sous la forme de valises de cash », affirme-t-il sans
détour. « De là à dire que Nicolas Sarkozy en a bénéficié, c’est à la
justice française de se prononcer », poursuit-il prudemment.
Il
rappelle que la relance du dialogue entre la France et la Libye avait
commencé bien avant la présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012).
Le
processus est amorcé sous Jacques Chirac, en 2001, lorsque Kadhafi
condamne fermement les attentats du 11-Septembre, un changement de
posture radical alors que le régime libyen est lui-même accusé
d’implication dans les attentats de Lockerbie (décembre 1988) et du DC
10 d’UTA (septembre 1989) qui ont fait des centaines de victimes et
valent à Tripoli un embargo international.
Pour
autant, « du côté français, de nombreuses réserves subsistent du fait
des contentieux en suspens et des sanctions onusiennes, européennes et
nationales toujours en vigueur », souligne Patrick Haimzadeh. Paris
explore alors « des axes de coopération » mais uniquement dans des
domaines non stratégiques comme la culture ou le tourisme.
– « Canal direct » –
Puis,
« courant 2005, un attaché de sécurité détaché du ministère de
l’Intérieur est affecté à l’ambassade de France à Tripoli, instituant
ainsi un canal direct de relation entre le ministère de l’Intérieur et
les responsables sécuritaires libyens », explique le diplomate.
Et
« c’est avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée en 2007 que la
relation prend un nouveau tournant avec l’ouverture de nouveaux axes de
coopération et des perspectives de contrats importants, notamment dans
le domaine militaire », poursuit-il.
La
visite d’Etat du colonel libyen à Paris en décembre 2007 devait
d’ailleurs être l’occasion de signer des milliards d’euros de contrats.
Cela ne se concrétisera jamais, conduisant à une crispation de la relation, analyse Hasni Abidi.
Car
« la Libye est un pays vierge. Tout est à construire. Les gisements
pétroliers sont très importants. Le pays dispose aussi de réserves en or
et en argent, qui font saliver toutes les chancelleries occidentales »,
dit-il.
– Réhabilitation « par la grande porte » –
Côté libyen, Kadhafi, au pouvoir depuis 1969, a « une obsession »: retrouver une forme de légitimité auprès de l’Occident.
Planter
sa tente fin 2007 dans les jardins de la résidence officielle de
l’Hôtel Marigny lui offre à l’évidence une « réhabilitation par la grande
porte », souligne Hasni Abidi.
Le
dictateur devait rester trois jours à Paris, il joue les prolongations,
recevant tour à tour intellectuels, artistes et hommes politiques. Sans
que les industriels français en récoltent les fruits.
La
relation bilatérale avait pourtant été marquée par une première période
« d’euphorie » côté français, décrit Jalel Harchaoui, chercheur associé à
l’institut britannique Royal United Services.
A
l’été 2007, Nicolas Sarkozy parvient en effet à faire libérer, après
huit années d’emprisonnement et de torture, cinq infirmières bulgares et
un médecin palestinien accusés d’avoir inoculé le virus du sida à des
centaines d’enfants libyens.
Ensuite, le colonel Kadhafi s’avère dur en affaires.
– Décadence et chute –
En outre, le régime libyen est frappé par « une forme de décadence », explique Jalel Harchaoui.
« La
corruption atteint des degrés inégalés : Kadhafi, qui se targuait de
pouvoir la contrôler, n’a plus la main », dit-il. « Il y a une sorte de
pourrissement lent de la situation avec des bras droits de Kadhafi qui
quittent le navire, certains pour se réfugier en France ».
En
mars 2011, un des fils de Kadhafi, Seif Al-Islam, lance une bombe: « Il
faut que Sarkozy rende l’argent qu’il a accepté de la Libye pour
financer sa campagne électorale ».
« Je
crois tout à fait plausible » un financement de la campagne de Nicolas
Sarkozy par le régime Libyen « car il y a eu cette tradition où les
tyrans africains ont pu acheter des politiciens en France », souligne
Jalel Harchaoui, en référence notamment aux soupçons de financement, par
l’ancien président gabonais Omar Bongo, de campagnes électorales en
France notamment celle de Jacques Chirac en 1981. Ce dernier avait
démenti.
« En
revanche, il est absurde de croire que les États-Unis ont mené
l’intervention militaire contre Kadhafi en 2011 simplement pour faire
plaisir à un président Sarkozy soucieux d’étouffer l’affaire du
financement », conclut-il.
En
mars 2011, le Conseil de sécurité des Nations unies autorise le recours
à la force en Libye pour protéger les populations civiles des troupes
de Kadhafi.
En
août, des rebelles s’emparent du pouvoir à Tripoli. Fin octobre,
Mouammar Kadhafi, en fuite, est capturé et tué dans les environs de
Syrte.
Depuis la Libye est minée par les violences et le chaos.