Libye : des mouvements de troupes pro-Haftar ravivent le spectre de la guerre
Des mouvements des troupes de Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est de la Libye, en direction de zones du sud-ouest contrôlées par le gouvernement rival, basé à Tripoli (ouest) et reconnu par l’ONU, ravivent le spectre de la guerre civile, quatre ans après un cessez-le-feu.
« L’adjoint
du chef d’état-major Salaheddine al-Namrouch a donné des instructions
aux unités de l’armée d’être en état d’alerte et d’être prêtes à
repousser toute éventuelle attaque » dans le sud-ouest, a indiqué une
source de l’état-major des forces du Gouvernement d’union nationale
(GNU), à la chaîne Libya al-Ahrar.
Minée
par les violences fratricides et les divisions depuis la chute et la
mort du dictateur Mouammar Kadhafi, la Libye est gouverné par deux
exécutifs rivaux: l’un à Tripoli (ouest) dirigé par Abdelhamid Dbeibah,
l’autre dans l’est, incarné par le Parlement et affilié au maréchal
Haftar, dont le fief se trouve à Benghazi.
Haftar,
avec le soutien militaire d’alliés étrangers (Russie, Egypte et Emirats
arabes unis), avait lancé une offensive brutale d’avril 2019 à juin
2020 pour s’emparer de Tripoli. Il avait été stoppé in extrémis en
périphérie de la capitale par les forces du GNU, appuyées par la
Turquie.
Même
si les querelles politiques persistent et dégénèrent fréquemment en
affrontements meurtriers entre groupes armés, le cessez-le-feu signé en
octobre 2020 après la déconvenue des troupes du maréchal Haftar est
largement respecté.
Jeudi,
le Haut Conseil d’Etat (HCE), basé à Tripoli et qui fait office de
Sénat, a dit « suivre avec grande inquiétude les mobilisations militaires
des forces de Haftar dans le sud-ouest ces deux derniers jours, visant
clairement à renforcer son influence et étendre son contrôle sur des
zones stratégiques communes avec nos voisins ».
« Ces
mouvements (de troupes) sont susceptibles de nous renvoyer aux
affrontements armés et sont une menace directe pour le cessez-le-feu » de
2020, sapant tout « effort visant à réunifier l’institution militaire »
et causant « l’effondrement du processus politique », a ajouté le HCE dans
un communiqué.
– aéroport de Ghadames –
Pour
Emad Badi, expert de la Libye à l’Atlantic Council, « l’ouest libyen est
désormais plongé dans une grande agitation dans le contexte d’une
mobilisation des (forces) de Haftar, perçue par certains comme le
prélude à une éventuelle offensive sur Tripoli ».
Selon
d’autres analystes et des médias locaux, l’objectif de cette
mobilisation est la prise de l’aéroport de Ghadames, à 650 km au
sud-ouest de Tripoli et actuellement sous contrôle des autorités de
Tripoli.
La
prise par les forces pro-Haftar de Ghadames, zone stratégique à
l’intersection des frontières de la Libye avec l’Algérie et la Tunisie,
« marquerait la rupture du cessez-le-feu de 2020 », a estimé M. Badi sur
X.
La
chaîne de télévision privée al-Ahrar avait indiqué dès mercredi que des
forces pro-Haftar « se dirigeaient vers le sud-ouest » libyen, sans
donner d’autres précisions.
Le
contrôle de Ghadames aurait « plusieurs avantages » pour le camp Haftar:
« empêcher tout mouvement (des partisans de Dbeibah) vers le sud, isoler
Dbeibah, et retirer à Imad Trabelsi (son ministre de l’Intérieur, ndlr)
l’atout précieux » du contrôle de cette zone frontalière, a décrypté pour
l’AFP Jalel Harchaoui, chercheur associé à l’institut britannique Royal
United Services.
Les
forces de Haftar « convoitent depuis plusieurs années » l’aéroport de
Ghadames et ses alentours car son contrôle « renforcerait de manière
notable la donne territoriale de Haftar face à l’Algérie, à la Tunisie
et au Niger », selon M. Harchaoui. Le camp de l’Est aurait ainsi le
contrôle sur tout le sud, d’est en ouest.
Les
forces que dirige Saddam Haftar, fils du maréchal Haftar, ont annoncé
mardi par communiqué une « opération globale » visant officiellement à
« sécuriser les frontières sud du pays et à renforcer la stabilité du
pays dans ces zones stratégiques » et le « déploiement de patrouilles
(…) pour surveiller la bande frontalière avec les pays voisins ».
La
Libye est bordée par le Soudan au sud-est, le Tchad au sud, le Niger au
sud-ouest, l’Algérie à l’ouest et la Tunisie au nord-ouest.