Combattre la corruption morale et la médiocrité dans les universités sénégalaises
La bonne gouvernance est sans doute le maître mot du discours à la nation de Son Excellence, Monsieur le Président Bassirou Diomaye Diakhar FAYE. Combattre la corruption, c’est combattre la médiocrité. La corruption est en effet l’arme de la médiocrité. Dans sa volonté de combattre la corruption, notamment la corruption morale, le nouveau gouvernement doit inscrire en haut de ses priorités le pari jamais réussi des anciens gouvernements : mettre les hommes qu’il faut à la place qu’il faut.
Le pari, c’est combattre la médiocrité dans les instances où l’on s’y attend le moins. C’est le cas des universités sénégalaises.
Votre nomination nous rassure quant à la volonté du président de la République à conduire les affaires de ce pays dans la plus grande rigueur et dans la plus grande transparence. Je vous en félicite.
L’université est le temple de la médiocrité. Les universités sénégalaises regorgent de talents, d’éminents chercheurs et enseignants. Nombreux sont, hélas, ceux qui ont été traînés par la puissance de l’autorité dans ce monde pernicieux de la corruption morale et intellectuelle.
Monsieur le ministre,
Je me permets d’attirer votre attention et de vous rappeler, à vous,
aux autorités de ce pays, et à tous les travailleurs la chose suivante
:
Des valeurs et pratiques sont communément admises en administration
et dans la gestion des ressources humaines. Le non-respect de celles-ci
freine, voire tue, le sentiment d’appartenance, l’enthousiasme et le
mérite. La promotion de la médiocrité est un des éléments déclencheurs
de cette situation.
La médiocrité revêt plusieurs formes parmi celles-ci : la médiocrité
des hommes et celle des actions administratives. La médiocrité des
hommes renvoie aux agents insuffisants, limités et repose souvent sur
les recrutements inégaux, sur la formation, et la reconnaissance
générale sur l’exercice d’un métier. Une définition simple de la
médiocrité des hommes proposée par le philosophe québécois Alain
Deneault est la promotion des individus « ni bons ni mauvais ». La
médiocrité administrative est liée au sens de Max Weber à la
bureaucratie. Elle renvoie à une mauvaise gestion et à une mauvaise
qualité des performances et du fonctionnement d’une administration
publique ou privée.
Sous l’angle de la promotion des individus, la médiocrité au Sénégal
est longtemps située au clientélisme politique. Elle s’est cependant
élargie vers d’autres complexes sociaux et religieux dont l’ethnicisme
et le communautarisme religieux. Ce mal dont souffre le Sénégal s’est
glissé de manière ostentatoire dans notre université. Qui aurait cru que
ce champ social composé majoritairement d’intellectuels serait amené à
de telles pratiques au détriment des valeurs scientifiques (objectivité,
intégrité, collaboration, responsabilité sociale, éthique, etc.) ? La
médiocrité a pris une proportion inouïe dans les universités
sénégalaises. Elle est bien connue de tous.
Certaines autorités universitaires (Recteurs, Directeurs, Chef de
service administratif, etc.) en sont les promoteurs. Elles composent
leur équipe sur la base des rapports sociaux qu’elles entretiennent avec
les agents. Elles n’hésitent pas à créer des postes de direction et de
chefs de service pour promouvoir ceux avec qui elles partagent le même
statut social ou ceux qui exécutent sans se poser de questions leur
forfaiture. Les critères de promotion ou de rétrogradation ne sont plus
basés sur le mérite, la compétence, le diplôme, le bon ou le mauvais
comportement au travail, mais sur des idéologies inhumaines.
Le
talent est devenu un handicap. Les défenseurs de la médiocrité dans les
universités sénégalaises prennent par ailleurs des décisions pour mieux
mettre en application leur philosophie « choisir les moins bons pour
garder l’emprise sur eux ». Le recrutement des enseignants en est un
parfait exemple. Les recrutements d’enseignants-chercheurs ont en effet
toujours fait objet de polémiques et de contestations, sapant l’esprit
démocratique qui doit gouverner nos institutions. Substant des règles de
jeux scientifiques qui doivent honorer un parcours devant servir à la
formation de génération de citoyens sénégalais capables de prendre la
relève, le recrutement d’enseignants-chercheurs est devenu un exercice
inscrit dans le champ du calcul et de la disqualification de postulants
dont le CV est injustement soumis aux appréciations personnelles aux
logiques d’amical et aux examens psychanalytiques.
Sous l’angle administratif, certaines décisions prouvent l’impact
négatif que la médiocrité peut avoir sur le personnel et l’institution.
Récemment, le rectorat d’une université publique au Sénégal a pris des
décisions illégales sous l’influence et le diktat des personnes dont
leur incompétence en termes de gestion des ressources humaines n’est
plus à prouver. Un recteur a pris récemment la décision d’interdire le
personnel administratif, technique et de service à faire des vacations
pédagogiques. Et pourtant, cette décision est contraire au système LMD
(Licence, Master, Doctorat). Sous la complicité d’une équipe composée
d’enseignants, de PATS promus, certaines autorités universitaires
abusent de leur pouvoir en affectant ou en licenciant des personnes
susceptibles de compromettre leurs activités ou celles de leurs amis,
proches, « talibés », parents, disciples, etc. Une rétrogression avérée
!
Il semblerait par ailleurs que certaines autorités universitaires ne
voudraient pas avoir dans leur équipe des agents (PATS) titulaires d’une
thèse. En effet, selon leur appréciation lorsqu’un agent est titulaire
d’une thèse, il est au même niveau que l’enseignant et donc serait en
conséquence moins assujetti.
Le jeu est simple. Empêcher le personnel subalterne d’accéder au
savoir et la connaissance. Telle est en effet la meilleure façon de
garder le pouvoir. Or, la connaissance n’est pas le pouvoir, mais elle
est liberté. Leur stratégie est simple : instaurer un climat social qui
repose sur le rapport « souverain » et « sujet », « dominant » et «
dominé » et non sur le rapport de la hiérarchie. Le PATS qui souhaite la
promotion est contraint de se positionner sur un échiquier ethnique,
relationnel, religieux, fraternel sapant la réalité de son métier, de
son savoir-faire. Ceux qui s’y prennent bien progressent de manière
fulgurante, jusqu’à se retrouver à un poste qui dépasse leurs
compétences. Cela ne signifie pas pour autant que les postes à
responsabilité ne sont occupés que par des incompétents. Ce qui est
clair dans ce système basé sur des considérations autres que
scientifiques, c’est que pour être parmi les élus, le PATS doit
désormais se soumettre aux règles asservissantes. Ils doivent faire
exactement ce qu’on lui demande de faire sans poser de questions sans se
soucier d’autre chose que des modalités d’avancement de carrière. Il ne
suffit plus dès lors d’être bon dans son domaine, mais de savoir “jouer
le jeu”.
La médiocrité s’étend de manière logique. L’exemple le plus constaté
dans une de nos universités est celui de poste de directeur des
ressources humaines (DRH). C’est lorsqu’un RH titulaire d’une licence,
ou titulaire d’un diplôme de secrétaire de bureautique est recruté au
détriment d’un masterant, pratiquant depuis plusieurs années. Dans un
tel cas, il ne serait pas étonnant de voir ce DRH se débarrasser des
meilleurs, et de prendre des décisions sur la base de ses sentiments. Il
ne serait pas étonnant de constater des décisions illégales, le
non-respect des textes, et surtout l’inapplicabilité des techniques et
approches connues des ressources humaines. Un secrétaire de bureautique,
non diplômé, ne peut pas gérer une université aussi grande que l’UGB,
l’UCAD, l’UASZ, etc. La gestion des ressources humaines exige des
connaissances solides.
Monsieur, l’université est ramenée aux années 1950. Elle doit se relever au plus vite.
Abdou Beukeu SOW,
Docteur en Science de l’Information et de la Communication