Tchad: le Premier ministre de la junte, Succès Masra, candidat à la présidentielle
Le Premier ministre civil de la junte militaire au Tchad, Succès Masra, a annoncé dimanche sa candidature à la présidentielle du 6 mai, huit jours après celle du Président de transition, le général Mahamat Idriss Déby Itno.
M.
Masra, ancien opposant, avait signé un accord de réconciliation avec M.
Déby avant d’être nommé Premier ministre le 1er janvier. L’opposition
dénonce une « candidature prétexte » destinée à donner un semblant de
pluralité à un scrutin qu’elle considère gagné d’avance par Mahamat
Déby.
« Je
réponds présent comme candidat à l’élection présidentielle (…) pour
réparer les cœurs et réunir le peuple », a lancé ce docteur en sciences
économiques de 40 ans, lors d’un meeting d’investiture devant des
centaines de militants de son parti Les Transformateurs.
En
réponse à ceux qui lui reprochent d’avoir rallié la junte, il a
répondu: « c’était un accord de réconciliation nationale, un accord des
braves », « pour que notre quête de justice ne soit jamais transformée en
quête de vengeance ».
« pilote ou copilote »« Je
suis candidat pour être le pilote principal de l’avion » mais « vous
devrez choisir la combinaison gagnante que vous voulez, qui doit être
pilote et qui doit être copilote », a-t-il rétorqué à ceux qui le
soupçonnent d’avoir négocié de rester Premier ministre après l’élection.
M.
Masra a quitté son poste de haut fonctionnaire de la Banque africaine
de développement (BAD) pour fonder Les Transformateurs en 2018.
Il
était l’un des principaux opposants au maréchal Idriss Déby Itno, tué
le 19 avril 2021 par des rebelles en se rendant au front après 30 années
au pouvoir. Puis il avait dénoncé le « coup d’Etat » de son fils Mahamat
Déby, proclamé le lendemain chef de l’Etat par une junte de 15 généraux.
Le
nouvel homme fort de N’Djamena avait promis de rendre le pouvoir aux
civils après une transition de 18 mois et à l’Union africaine (UA) de ne
pas se présenter aux élections. Mais il avait prolongé la transition de
deux ans et a annoncé le 2 mars sa candidature à la présidentielle.
M.
Masra organisait, avec d’autres partis d’opposition, des manifestations
interdites ou systématiquement réprimées. Jusqu’à celle du 20 octobre
2022 quand des centaines de jeunes, selon l’opposition et les ONG
internationales, ont été tués par balles par les forces de l’ordre, et
un millier d’autres au moins emprisonnés.
Le
pouvoir, lui, n’a reconnu qu’une cinquantaine de morts, accusant les
manifestants de « tentative d’insurrection ». M. Masra avait fui le pays.
-« Trahison »-Il
y est revenu le 3 novembre dernier, trois jours après avoir signé un
« accord de réconciliation » avec la junte amnistiant notamment tous les
manifestants du 20 octobre 2022. Mais aussi « leurs tueurs », s’étranglait
l’opposition qui l’accusait de « trahir » leur cause et ses propres
militants « massacrés ».
Sa
candidature est « une farce, une candidature postiche pour accompagner
le chef du pouvoir militaire », s’énerve auprès de l’AFP Max Kemkoye,
porte-parole de la deuxième plateforme de l’opposition, le Groupe de
Concertation des Acteurs Politiques (GCAP).
« Une
candidature qui vise à accompagner l’actuel Président pour légitimer
son élection », renchérit pour l’AFP Mahamat Zène Chérif, président du
parti Tchad Uni.
L’annonce
de M. Masra intervient aussi 11 jours après la mort du principal rival
politique du général Déby, son propre cousin Yaya Dillo Djérou, tué le
28 février par des militaires dans l’assaut du siège de son Parti
Socialiste sans Frontières (PSF).
-« Assassinat »-D’une
balle dans la tête à bout portant, selon le PSF, un « assassinat »
destiné à l’écarter de la course à la présidentielle selon l’opposition,
ce que nie le gouvernement.
« Après
l’assassinat de Yaya Dillo, Masra accompagne le pouvoir dans un
processus vicié d’avance, il sera maintenu Premier ministre après
l’élection », prédit pour l’AFP Avocksouma Djona Atchenemou, président du
parti Les Démocrates.
Même son de cloche chez les politologues.
« C’est
une candidature prétexte car il faut d’autres candidats contre M. Déby
pour dire qu’il y a un jeu démocratique », analyse Kelma Manatouma,
chercheur et professeur de sciences politiques à l’université de
N’Djamena.
« Une
candidature arrangée pour propulser Masra à la tête d’une grande
institution comme l’Assemblée nationale ou autre, en récompense après
les élections », veut croire le constitutionnaliste Ahmat Mahamat Hassan.
« Il
n’y a jamais eu de dévolution pacifique du pouvoir par des élections au
Tchad, le pouvoir est gagné par les armes et conservé par les armes, et
tous les exercices démocratiques ne sont que des manoeuvres cosmétiques
de légitimation », analyse ce consultant en sciences politiques, en
évoquant les six élections triomphales du Maréchal Déby depuis son coup
d’Etat en 1990, face à des candidatures faire-valoir souvent suscitées
par le pouvoir.