PRÉSIDENTIELE DE 2024 – Une entaille dans le processus électoral (Par Babacar Justin NDIAYE)
Fondateur de l’École nationale d’Administration (ENA) au lendemain de la Deuxième Guerre, Premier Ministre de France, Michel Debré martèle : « Tout ce qui touche à l’Assemblée nationale est d’essence constitutionnelle ».
Ainsi, toute anatomie des tensions actuelles entre les députés du Sénégal et les magistrats sages et chevronnés du Conseil Constitutionnel, et toute réflexion autour de leurs prolongements perturbateurs dans le calendrier électoral, doivent se faire à l’aune de la leçon de ce dinosaure politique, père des énarques de France et, par ricochet, de leurs émules du Sénégal. Le hic de taille est que la double image des députés-godillots et des parlements-croupions demeure si présente dans les esprits que les citoyens croient dur comme fer, à tort ou à raison, que les élus du peuple forment l’éternelle valetaille du Gouvernement.
De ce fait, l’empoignade en cours entre une fraction importante de
députés et un étage supérieur de l’appareil judiciaire, le report acté
du scrutin de février et les fureurs civiquement et légitimement
déchainées commandent de placer le curseur du décryptage au cœur de la
finesse qui catalyse habituellement la clarté et la vérité.
Voyons le catalogue des faits puis le chapitre des appréciations !
Au tableau des faits, c’est indiscutablement l’Assemblée nationale,
bien assise sur ses robustes et constitutionnelles racines (allusion aux
propos de Michel Debré), qui a lancé les accusations contre le Conseil
Constitutionnel puis enclenché la procédure dont le point culminant
demeure la résolution accoucheuse d’une Commission d’enquête.
Cette dernière a aussitôt balisé la voie au retentissant report du
scrutin présidentiel. Jusque-là, l’Exécutif et son chef (le Président
Macky Sall) sont peut-être habilement embusqués mais totalement absents
sur le terrain des initiatives.
Dans le volet des lectures, figurent les savantes controverses juridiques et les inévitables polémiques politiques.
Les débats juridiques sont évidemment ardus ; parce techniques,
scientifiques voire ésotériques. On y recense des arguments de qualité
en faveur du report ; et des thèses remarquables en défaveur du report.
Ce qui conduit vers les vaseux mais fertiles marécages du Droit.
Quant aux rageuses batailles politiques sans fin, elles indexent des
combines, convoquent des soupçons, alignent des jugements et instruisent
des procès. Y compris des procès en sorcellerie contre le Président
Macky Sall. Normal. Point de cadeaux en politique !
Il va sans dire que l’entaille dans le processus électoral – et non
l’enterrement du scrutin, n’est pas arrivée comme un éclair dans un ciel
serein.
Le spectre électoralement effrayant du PASTEF (dissous mais toujours
dodu) du leader Ousmane Sonko, les couacs dans le parrainage et la
bouillabaisse de la cuisine interne à l’APR ont poussé le Président
Macky Sall à ébaucher des plans anti-naufrage pour la coalition Benno
Bokk Yakaar.
Toutefois, quels que soient le poids des arrière-pensées et le volume
des calculs valablement imputables à la mouvance présidentielle, c’est
le PDS qui a agi et assumé au grand jour, en tant que locomotive de
l’alliance parlementaire désireuse du report de l’élection du 25 février
2024.
Le cocktail des accusations de corruption, de la résolution de
l’Assemblée nationale, de l’amendement des députés et, in fine, du
report du scrutin est là. Telle une peinture qui pâlît l’éclatante
démocratie du Sénégal.
Une situation regrettable lorsque l’on sait les projections
perpétuellement heureuses et roses faites sur la vie politique
sénégalaise depuis l’extérieur.
En attendant la fermeture en douceur et en consensus de cette inattendue parenthèse, la nation a besoin d’une réelle dose d’aggiornamento (mot italien plus fort que le sursaut). Car le Sénégal est sur le bord de la falaise. Face aux abysses. Il s’ajoute que les pannes politico-institutionnelles sont débloquées ou surmontées par les deux B : le bulletin de vote ou la baïonnette du fusil.