Présidentielle 2024 : Tout savoir sur le Pacte de bonne gouvernance signé par 12 candidats
En perspective du
scrutin présidentiel du 25 février prochain, la coalition de la société
civile pour l’application des recommandations de la Commission nationale
de réformes des institutions (Cnri) a proposé un pacte de bonne
gouvernance aux candidats en lice. Rappel des points saillants desdites
conclusions.
A
la date du 30 janvier, 12 des 20 candidats engagés dans la course à la
présidentielle du 25 février prochain ont officiellement signé le pacte
national de bonne gouvernance démocratique. Il s’agit, en effet, de
Mamadou Lamine Diallo, Cheikh Tidiane Dièye, Mahammed Boun Abdallah
Dione, Bassirou Diomaye Faye, Serigne Mboup, Khalifa Ababacar Sall,
Thierno Alassane Sall, Rose Wardini, Malick Gackou, Anta Babacar Ngom et
Boubacar Camara. Cette initiative est de la coalition de la société
civile pour l’application des recommandations de la Commission nationale
de réformes des institutions (Cnri). Ce pacte vise à établir les bases
d’une prise en charge transparente et responsable des Assises nationales
et de la Cnri, jetant ainsi les fondements d’une réforme
institutionnelle profonde.
«
Cette fois-ci, il y aura un suivi qui sera fait par les membres de la
société civile pour veiller au respect de ces engagements. En cas de
non-respect, on peut rappeler à l’ordre. Si jamais, il y a problèmes, on
peut voir comment faire respecter les engagements », a rassuré Dior
Fall Sow, membre de la coalition de la société civile. Mais c’est quoi ?
Seneweb revient sur quelques points saillants de ce rapport de 154
articles déposé sur la table du président de la République, Macky Sall,
depuis le 13 février 2014. Lesquels aspects ne sont toujours pas
appliqués par le Président.
Consolidation de l’État de droit
Le
premier point, concerne l’État de droit qui est celui où l’État est
soumis aux normes juridiques, au même titre que les citoyens, sous le
contrôle d’une justice indépendante et impartiale. Il suppose
l’existence de normes juridiques hiérarchisées, de recours à la
disposition des administrés et de juridictions pour faire respecter le
Droit. Et pour une consolidation de l’État de droit au Sénégal, la Cnri a
proposé un système judiciaire à la tête duquel se trouve une Cour
constitutionnelle, aux pouvoirs renforcés, assurant un meilleur contrôle
de la constitutionnalité des lois et garantissant la primauté de la
Constitution. Ce qui contribue à un meilleur respect de la hiérarchie
des normes juridiques. L’initiative d’un contrôle a priori est étendue
aux citoyens qui disposent désormais du droit de saisine. En proposant
la création de la Cour Constitutionnelle, la Cnri entend renforcer,
élargir et clarifier les compétences du Juge constitutionnel, ce qui
devrait conduire à moins de déclarations d’incompétence. Le contrôle a
posteriori s’effectue par voie d’exception. A cet égard, la Cnri vise
l’instance d’appel et non plus le niveau de la juridiction suprême où
l’on peut soulever une exception d’inconstitutionnalité. Désormais, à
l’occasion d’une instance en cours devant une Cour d’Appel, il peut être
soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et
libertés que la Constitution garantit ou est contraire aux engagements
internationaux du Sénégal. Le cas échéant, la Cour d’Appel apprécie et
transmet, s’il y a lieu, l’exception soulevée au Conseil d’État ou à la
Cour de Cassation (devenue Cour suprême). Si le Conseil d’État ou la
Cour de Cassation estime le renvoi nécessaire, la Cour Constitutionnelle
se prononce dans un délai de deux mois. Si la Cour estime que la
disposition dont elle a été saisie n’est pas conforme à la Constitution,
il ne peut plus en être fait application.
La
Commission a également préconisé le renforcement du dispositif des
droits et libertés qu’elle a proposé de placer sous la surveillance d’un
juge spécifique, le juge des libertés qui devrait pouvoir ordonner des
mesures provisoires mais rapides tendant à préserver les droits du
demandeur, s’il estime, comme le soutient ce dernier, que ses droits
fondamentaux ont été violés.
Soucieuse
de rapprocher davantage la justice du justiciable, la Cnri souhaitait
le rapprochement du juge de l’excès de pouvoir du justiciable soit par
la création d’un ordre administratif de juridictions (Tribunaux
administratifs, Cours administratives d’appel, Conseil d’État), soit par
la déconcentration du contentieux de l’excès de pouvoir aux niveaux
régional et départemental.
Chef de l’Etat et non chef de parti
Sur
l’équilibre des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, la
Commission dirigée par le professeur Ahmadou Makhtar Mbow a estimé que
les nombreux dysfonctionnements notés dans l’exercice du pouvoir
trouvent leur source dans l’aménagement du pouvoir d’État qui consacre
une concentration de l’autorité au niveau de l’Exécutif. Ainsi, elle
préconise le renforcement de l’indépendance des pouvoirs législatif et
judiciaire et une meilleure distribution des responsabilités au sein de
l’Exécutif pour un meilleur équilibre.
Elle
pense tout de même que le président de la République doit demeurer le
chef de l’Exécutif, pour déterminer la politique de la Nation, en
disposant de pouvoirs propres qu’il exerce sans contreseing mais aussi
d’autres qu’il ne peut exercer que sur proposition soit du Premier
ministre soit d’autres instances comme le Conseil Supérieur de la
Magistrature.
Toutefois,
« parce qu’il incarne l’unité et la cohésion nationales, le Chef de
l’Etat ne doit plus être Chef de parti dès qu’il entre en fonction », a
préconisé la Cnri dans ses conclusions.
Si
celle-ci estime que pour des raisons liées à la stabilité des
institutions, il est souhaitable que le gouvernement dispose au niveau
du Parlement d’une majorité de soutien, il y a lieu d’écarter les
risques d’abus de majorité par la création des conditions de
participation effective de l’opposition parlementaire au travail
législatif. Celle-ci est dotée d’un statut et la présence effective au
sein du bureau lui est garantie. C’est ainsi que l’un des postes de
Vice-président, au moins, est réservé à l’Opposition parlementaire.
Elle
demande, par ailleurs, une meilleure maîtrise par le Parlement de son
ordre du jour. C’est ainsi qu’elle propose que dix jours de séance par
mois soient réservés par priorité, et dans l’ordre que le gouvernement
aura fixé, à l’examen des textes et aux débats dont il demande
l’inscription à l’ordre du jour ; que six jours de séance par mois
soient réservés par priorité et dans l’ordre fixé par l’Assemblée
nationale au contrôle de l’action du gouvernement et à l’évaluation des
politiques publiques.
Le Président et le ministre de la justice ne sont plus membres du Conseil supérieur de la magistrature
Seule
une justice indépendante à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif
est en mesure de garantir un État de droit. L’indépendance de la Justice
a toujours été formellement proclamée mais n’a pas toujours été vécue
surtout en ce qui concerne les magistrats du parquet. La Cnri recommande
quatre mesures aux fins de renforcer l’indépendance de la Justice.
A
l’égard des magistrats du parquet, il est nécessaire de redéfinir
l’autorité évoquée à l’article 6 du statut de la magistrature qui
dispose que « les magistrats du parquet sont placés sous la direction et
le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du Garde
des Sceaux, ministre de la Justice… Ils peuvent être affectés sans
avancement par l’autorité de nomination d’une juridiction à une autre
s’ils en font la demande ou d’office dans l’intérêt du service, après
avis du Conseil supérieur de la Magistrature ». Cette autorité ainsi
déclinée a pu, par le passé, constituer le fondement des « instructions »
données au Parquet. Celles-ci sont désormais écartées avec le
renforcement des pouvoirs du Conseil supérieur de la Magistrature mis à
l’abri de toute intervention politique et qui gère entièrement la
carrière des magistrats (voir infra). Désormais les rapports entre le
judiciaire et l’exécutif perdent toute dimension hiérarchique et se
limitent à des liens administratifs et fonctionnels.
A
l’égard des magistrats du siège, il faut respecter le principe de
l’inamovibilité des magistrats du siège (article 5 de la loi organique
n° 92-27 du 30 mai 1992 modifiée portant statut de la magistrature) qui
signifie que ces derniers ne peuvent recevoir une affectation nouvelle,
même par voie d’avancement, sans leur consentement préalable
Il
faut, par ailleurs, rendre au juge d’instruction son pouvoir
d’appréciation de l’opportunité de décerner ou non un mandat de dépôt,
quelle que soit l’infraction.
Pour
garantir la séparation des pouvoirs, le Conseil Supérieur de la
magistrature est autrement composé. Celui-ci est l’organe de gestion de
la carrière des magistrats. Le Président de la République et le Ministre
de la justice n’en sont plus membres.
Le
Président de la Cour Constitutionnelle préside le Conseil Supérieur de
la Magistrature. Outre le Président de la Cour Constitutionnelle, son
président et deux personnalité de haut rang, désignées respectivement
par le Président de la République et le Président de l’Assemblée
nationale, le Conseil Supérieur de la Magistrature est composé, au titre
des membres de droit, du Président du Conseil d’État, du Premier
Président de la Cour de Cassation (devenue Cour suprême)et du Procureur
général près ladite Cour, des Premiers Présidents des Cours d’Appel et
des Procureurs généraux près lesdites Cours et, au titre des membres
élus, d’au moins un nombre égal de membres choisis conformément aux
dispositions prévues par la loi organique sur le Conseil Supérieur de la
Magistrature.
Le
Conseil Supérieur de la magistrature veille au bon fonctionnement de la
justice. Il examine et sanctionne, s’il y a lieu, les détentions
préventives abusives, les défauts ou insuffisance de motivation des
décisions de justice ainsi que les lenteurs préjudiciables constatées
dans leur mise à disposition.
Bonne gouvernance, transparence et éthique dans la gestion des affaires publiques
La
Cnri s’est efforcée en conséquence de renforcer le dispositif des
droits et libertés et de créer les conditions d’effectivité de leur
jouissance par l’aménagement de mécanismes supplémentaires de
protection. C’est ainsi que pour rendre effectif le droit de
manifestation, les délais pour notifier une interdiction doivent être
suffisants pour permettre l’exercice de recours. En outre, les
interdictions en la matière doivent être clairement motivées. Concernant
les personnes vivant avec un handicap, l’État et les collectivités
publiques doivent leur garantir un libre exercice de leurs droits et les
préserver de l’abandon moral, de la discrimination, de la
marginalisation et de la stigmatisation. De surcroît, il est recommandé
que la Cour des Comptes fasse annuellement un rapport sur l’état
d’avancement de la mise en œuvre de la loi d’orientation sociale, dans
ses volets liés à l’emploi, l’accès aux infrastructures (notamment
scolaires, sanitaires, etc.), la mise aux normes des équipements sociaux
(transport, etc.).
La
Commission, en proposant que les dispositions touchant aux libertés
fondamentales de la personne humaine ne puissent être révisées que par
voie référendaire, a entendu leur apporter une protection
supplémentaire.
Toujours
dans ses conclusions, la Cnri considère que la bonne gouvernance se
présente difficilement comme une réalité sans un système de contrôle
complet mais aussi efficace. Le paradoxe, au Sénégal, c’est qu’il existe
une multiplicité de corps de contrôle dont l’efficacité n’est pas
avérée du fait d’un régime juridique et d’un positionnement
institutionnel qui ne favorisent pas toujours l’exercice en toute
indépendance de leurs missions, la coordination de leur action et le
suivi adéquat de leurs recommandations.
Par
conséquent, elle recommande un réaménagement du dispositif de contrôle
autour de la Cour des comptes, de la Vérification générale d’État (VGE),
de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption
(Ofnac), de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp, devenue
Arcop), de la Cellule nationale de traitement des informations
financières (Centif), et une meilleure coordination avec les systèmes de
contrôle interne. Sur ce point, la Cnri préconise une aggravation des
sanctions financières, pénales et administratives applicables en cas
d’infraction à la législation financière.
Financements des partis politiques
La
multiplication exponentielle du nombre de partis politiques amène à des
interrogations légitimes sur les modalités de leur création et de leur
fonctionnement.
Le
défaut de contrôle du circuit de financement des activités des partis
politiques favorise les financements occultes, source de corruption et
la stricte application de la loi est de nature à entrainer la réduction
drastique du nombre de partis politiques.
Le
Sénégal ayant ratifié les Conventions des Nations Unies et de l’Union
africaine contre la corruption qui préconisent l’adoption de mesures
visant à accroitre la transparence du financement des partis politiques,
devrait amener l’État à étudier les modalités de mise en œuvre d’un
financement public des partis politiques notamment de ceux (hors
coalition) représentés à l’Assemblée nationale. Cela aura comme
avantage, une meilleure maîtrise des circuits de financement des partis,
la réduction des inégalités et des injustices et plus d’équité dans
l’allocation des ressources publiques mais aussi et surtout la création
des conditions de compétitions électorales sincères. En effet, un
système électoral crédible doit promouvoir des conditions d’exercice
garantissant la transparence et la sincérité du scrutin ainsi que
l’égalité des candidats Un scrutin sincère est celui qui se déroule dans
des conditions garantissant une expression correcte du suffrage. Tout
ce qui peut fausser cette expression est à bannir ; l’inégalité des
chances ne découlant que des conditions disparates de jouissance des
ressources publiques est à écarter.
La
CNRI propose la création d’une Autorité de Régulation de la Démocratie
qui, outre la mission de contrôle et de supervision de l’ensemble du
processus électoral, assure le contrôle de la régularité du
fonctionnement et du financement des partis politiques, la vérification
du financement des campagnes électorales. Elle organise aussi la tenue
de concertations régulières entre les acteurs du jeu politique.
Elle
propose que la délivrance d’un récépissé attestant la création d’un
parti politique soit assujettie à la production d’une liste de 10.000
adhérents domiciliés dans 10 régions au moins à raison de 700 adhérents
au moins par région.