Précampagne, campagne, sanctions : Babacar Diagne, droit dans ses bottes, assène ses vérités
Le
processus électoral est un moment crucial pour le Conseil National de
régulation de l’audiovisuel (CNRA). Les compétences du régulateur sont
d’ailleurs élargies à la presse écrite dès la phase de la précampagne.
Une phase qui soulève bon nombre de questionnements quant aux interdits.
Dans cet entretien accordé à Seneweb, Babacar Diagne, président du
CNRA, lève les équivoques sur la couverture médiatique en période
électorale.
Nous
sommes, depuis le vendredi 05 janvier, dans la période de précampagne.
Une période durant laquelle il est interdit toute propagande et campagne
déguisée. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Tout
d’abord, je tiens à préciser que la précampagne a démarré le 05 janvier
à 00h. Elle finira le 03 février à minuit. Et la campagne proprement
dite va démarrer le 04 février à 00h pour finir le 23 février à minuit.
J’entends
beaucoup de confusion dans les radios et même sur les télévisions. Ce
qui est dommage parce que ça prive nos confrères d’opportunités
professionnelles. La campagne déguisée qu’est-ce que c’est ? Dé- préfixe
de négation, « guise » sortir de la guise, sortir de sa manière d’être.
Donc au fond, la campagne déguisée, c’est faire campagne là où on ne
doit pas. Et c’est une mauvaise manière d’être.
Cela
veut dire quand un homme politique, dans cette période-ci comme
déterminé de manière précise, fait le tour des marabouts et récoltent
des messages de soutien. Si c’est possible que ces messages soient
exprimés, on ne doit pas les diffuser. Quand on va à la lutte,
malheureusement je l’entends souvent, les différents animateurs qui ont
leurs différentes préférences politiques, se mettent à faire campagne
pour le leader de leur choix, ce n’est pas acceptable. J’ai entendu
récemment durant un combat de lutte, un animateur dire que « nous sommes
pour un tel, c’est le meilleur profil », « c’est pour X que l’on va
voter”. Ce n’est pas acceptable. Malheureusement également, dans des
émissions de variété musicale et autres des fois on entend des
animateurs exprimer des choix politiques et faire la promotion d’un
leader. C’est interdit.
Est-ce qu’il est interdit d’avoir des invités politiques ? Des candidats déclarés?
C’est
possible. On peut inviter un candidat mais il faut quand même le faire
dans l’équilibre et l’équité. Quand vous invitez un candidat, ayez en
tête les autres. Il n’est pas permis d’inviter un candidat X fois et
d’ignorer les autres. C’est une période où on doit déjà mettre l’accent
sur l’équilibre et l’équité d’autant plus qu’on est à quelques
encablures de la campagne électorale. Il ne faut pas déséquilibrer.
Tout
ce qu’on demande au journaliste c’est de faire un travail
professionnel, de faire un travail d’équilibre. Mais il n’est pas
interdit d’inviter des hommes politiques. Maintenant, si on est sûr
qu’on ne peut pas le faire, qu’on ne peut pas respecter l’équité, mieux
vaut s’abstenir. Mais je pense que ce serait dommage qu’on nous prive de
débats, qu’on nous prive d’avoir des leaders qui veulent dire comment
ils comptent gérer la problématique d’immigration par exemple. J’ai
d’ailleurs entendu Moussa Tine dire que la campagne déguisée ne vise pas
les politiques. Il a raison. La campagne déguisée ne vise pas les
politiques. Un homme politique est un homme politique. Même dans un
baptême il est en campagne. Seulement, quand le journaliste couvre le
baptême, dans la période de précampagne, c’est interdit de véhiculer le
message. Maintenant durant la campagne, rien n’est interdit.
Ce
qu’il faut savoir maintenant est que la page qui est réservée à la Rts
ne doit diffuser que le leader politique candidat. On ne peut pas mettre
son collègue, son militant, qui parle dans le temps d’antenne. C’est
intuitu persona.
“Ces périodes de précampagne et de campagne demandent beaucoup de responsabilité”
Restons dans la précampagne. Quel est l’intérêt d’avoir cette règle-là ?
A
l’origine, la classe politique était choquée par le fait que le
gouvernement de l’époque faisait des tournées qui étaient appelées
tournées économiques, qui sont certes possible et c’est encore possible
car la campagne électorale n’arrête pas l’action gouvernementale. C’est
très important. Pendant la précampagne, la campagne et après, le
ministre du Budget signera des accords, le ministre des Finances signera
des accords, le ministre de l’hydraulique va inaugurer des puits, le
ministre de l’Agriculture va visiter des paysans parce que l’action
gouvernementale ne s’arrête pas. Seulement durant ces actions-là, on ne
pourra pas donner la parole à ceux qui vont exprimer des positions
politiques. Même si la parole leur est donnée, on ne devra pas les
diffuser. Parce que ça apporte un déséquilibre.
Donc le problème se trouve dans le traitement…
Exactement.
Le problème se trouve dans le traitement. En réalité, ces périodes de
précampagne et de campagne demandent beaucoup de responsabilité. Parce
que c’est de nous que dépend la paix, c’est de nous que dépend l’équité
simplement par un traitement professionnel.
Comment le CNRA se prépare afin de veiller au respect de ces règles ?
Nous
avons le monitoring. Des gens bien formés qui suivent cela. Nous avons
des cabines et des jeunes. D’ailleurs nous les renforçons pendant cette
période-là. J’ai eu d’ailleurs le plaisir d’amener des gens, huit, à
Bruxelles pour se former davantage au contrôle et au monitoring. C’est
bien de contrôler mais le mieux c’est de nous reposer sur la
responsabilité de nos confrères. Parce qu’il faut qu’ils prennent la
juste mesure de leur responsabilité.
“Il y a de la politique en permanence sur les chaînes privées”
S’agissant
du contrôle, on reproche souvent au CNRA d’être plus regardant du côté
du privé que du public. Quelle réponse donnez-vous à ces remarques ?
En
général, on dit beaucoup de choses. Le monde n’est jamais parfait. Mais
très honnêtement, l’audiovisuel public est là pour nous tous. Le
problème qu’il y a eu et c’est un problème qui est réel. Comme vous le
savez, on a eu l’émission « Plurielle » qui était diffusée par la
télévision nationale et par la radio.
Malheureusement
quand on est arrivé à plus de 400 partis, il fallait trouver une
solution. J’ai trouvé le dossier avec mon prédécesseur, Babacar Touré.
Quand je suis arrivé, il m’a dit très honnêtement : “je ne peux rien y
faire parce que je ne peux pas faire la rotation pour 400 partis
politiques”. Moi j’ai pris l’initiative d’aller poser ça au dialogue
politique. Mes délégués sont partis là-bas. Nous avons proposé aux
partis de faire ceci pour les 400 partis qui devaient aller de manière
égalitaire à la Rts: le groupe des partis opposant, le groupe des partis
au pouvoir et les non-alignés. Les partis avaient considéré cela mais à
la fin du processus, ils ont dit que c’était à eux de programmer dans
chaque groupe les rotations.
On
en est resté là et c’est un problème qui est encore là. Cette émission
avait fini par faire son temps parce que les gens n’y allaient pas,
envoyaient des seconds couteaux. Ce qui fait qu’elle avait perdu de sa
superbe. Il y a aussi le fait que les télévisions privées sont là et
leurs antennes sont trop ouvertes surtout par rapport à la politique. On
ne fait que de la politique. On en est arrivé à un moment où les
télévisions font de la politique et du sport, les commentaires. Et les
programmes de stock ne sont plus là. L’effort que nous faisions de faire
de grands films, de grandes séries, inviter les grands profils, les
grands savants du pays, je suis désolée de le dire mais ça ne se fait
plus. Maintenant c’est des plateaux où les gens parlent et aujourd’hui
les hommes politiques ont vraiment assez de temps pour parler. Tous les
jours, ils sont invités…
Donc c’est pour cela que le CNRA est plus regardant du côté du privé…
Disons que là où il y a la politique en permanence vraiment c’est sur les chaînes privées.
Quelles sont les sanctions prévues en cas de non-respect des règles édictées durant la période de la précampagne ?
Nous
allons d’abord discuter. Nous allons échanger une position d’autorité
contre une position d’influence. Nous avons fait le tour du pays pour
parler aux reporters. Nous avons parlé aux différentes rédactions et
nous allons continuer cela. Je préfère discuter et convaincre, montrer
les textes. Ce qui fait que les gens sauront que nous ne sommes pas des
législateurs. Nous sommes régulateurs. Il y a même des textes que nous
ne partageons pas. Ces textes sont issus du consensus entre la classe
politique et ont été votés à l’Assemblée nationale. La preuve, quand il y
a eu le problème avec les tradipraticiens dans les chaînes de
télévision, les gens nous ont saisis pour nous demander de sévir. Je
leur ai dit que je ne peux pas. Je suis contre comme vous mais
malheureusement il n’y a pas de texte. Et j’ai dit au gouvernement qu’il
n’y a pas de texte. La médecine traditionnelle est organisée dans
certains pays comme au Bénin. Et j’avais dit soit on vote ce texte-là
soit on l’inclut dans le code de la publicité. Ce qui pourrait faire
qu’on aura des déductions contraignantes. Récemment, j’ai vu que le
gouvernement a introduit un projet de loi. Et si cela aboutit, je pense
qu’on pourra avoir des textes pour interdire cette médecine
traditionnelle qui fait beaucoup de dégâts dans le domaine de la santé.
Mais encore une fois, nous ne pouvons pas nous agir quand il n’y a pas
de texte.
Pour
revenir à la question, nous allons d’abord discuter et maintenant si
les gens s’entêtent nous allons sanctionner. Nous avons une gamme de
sanctions. Elle peut être pécuniaire : dans ce cas c’est 10 millions
mais cela n’est pas nécessairement efficace. Par exemple, dans l’affaire
du « xessal » (la publicité sur la dépigmentation), quand je me suis
renseigné auprès des entreprises qui faisaient cela, les contrats
étaient de 100 millions, 150 millions, j’ai dit qu’il fallait absolument
aller plus loin.
Parmi
les sanctions, nous avons aussi l’observation qui n’est ni un
avertissement, ni une mise en demeure. C’est comme si on disait
« attention ». En tant que journaliste, nous avons la charte de Munich qui
interdit toute coïncidence entre la ligne rédactionnelle et les
intérêts du propriétaire. Ce n’est pas parce que quelqu’un possède une
télévision que ses intérêts politiques doivent être mis en avant tout le
temps. Nous avons fait une observation à Sen TV et j’ai vu que Tribune a
titré que le CNRA veut arrêter la Sen TV alors que non. Nous préférons
vraiment nous entendre sur les textes. Nous leur avons fait une
observation parce que dans beaucoup d’émissions, les gens se mettaient à
soutenir un candidat.
En plus de l’observation, nous avons l’avertissement et la mise en demeure. Quand il y a mise en demeure, si vous n’obtempérez
pas, la sanction arrive. C’est une suspension du signal qui peut être
de quelques heures, de quelques jours ou de quelques semaines. Elle peut
aussi durer plusieurs mois et même aller jusqu’au retrait de la
licence. Nous espérons vraiment ne jamais en arriver là.
La
dernière question : la précampagne a débuté depuis trois jours,
quelle appréciation faites-vous par rapport au comportement de la presse
?
Ce
qui m’a beaucoup plu c’est que j’ai eu le coup de fil de confrères. Ils
m’ont appelé pour poser des questions sur ce qui est permis. Cela veut
dire qu’ils ont pris la conscience, la juste mesure de leur
responsabilité par rapport à cela. C’est ça que je retiens dans la
préparation de la précampagne qui est bientôt finie d’ailleurs. Nous
allons entrer dans la campagne et là encore une fois, je rappelle à mes
confrères qu’il y a des choses qui sont interdites . Dénigrer des
ethnies, propager des discours de haine, démoraliser des forces de
défense et de sécurité, diffusion de la violence quand ça implique des
enfants. Il s’agit là, d’interdits constants auxquels il faut prêter
attention.