De quelques incongruités sur le Projet de Loi de Finances 2024 du Sénégal (Par Abdoul Mbaye)
Cette année, le projet de LFI qui sera soumis au vote de la représentation populaire comprend quelques nouveautés et bizarreries sur lesquelles il convient d’attirer l’attention afin que chaque citoyen puisse apprécier le degré de fiabilité qu’il convient d’accorder aux chiffres présentés et à leur évolution dans un sens très favorable. Je ne les passerai pas toutes en revue. Mais il n’est pas interdit d’en souligner les plus accessibles dans un souci de vulgarisation.
A
la veille d’une élection présidentielle, la LFI 2023 votée en 2022 se
devait d’avoir belle allure. Elle avait été construite sur la base d’un
taux de croissance de 10,1%. Du jamais vu en terre sénégalaise et dans
ses environs ! Ce taux de croissance totalement irréaliste fut grignoté
tout au long de l’exercice. Il est aujourd’hui ramené à 4,1%. Espérons
qu’il correspondra à une amélioration perceptible du niveau de vie des
populations.
Le taux de croissance du PIB est la donnée
principale de la construction d’un budget, en particulier du niveau de
recettes attendues. Les révisions en baisse de ce taux doivent
immédiatement entraîner des rajustements des recettes et des dépenses ou
de leur financement. Nous avions eu à le rappeler. Mais au Sénégal,
l’orthodoxie est autre…
Nous avions remarque par ailleurs que, contrairement aux années précédentes, le stock de la dette extérieure n’avait pas été rappelé alors que son service augmentait de 40,7%. Là se trouvait sans doute la raison de cette privation d’information à la représentation nationale.
Cette année, le taux de hausse des prix, une autre donnée majeure
pour tout budget, a également disparu. En grande nouveauté, le texte de
présentation du budget insiste sur une rétrospective de 11 années
démarrant en 2012, qui permet de rappeler et décrire « les réalisations
du Président sortant ». Le Secrétariat du parti APR n’aurait pu mieux
faire. Il n’y a toujours pas d’information sur le stock de la dette de
l’Etat du Sénégal.
Le texte présenté fait référence à « l’ancienne méthode comptable »
pour justifier le montant cumulant le total des dépenses de la loi de
finances et l’amortissement de la dette afin de permettre de valider un
discours politique basé sur la recherche de performances par le nombre
de milliards dépensés quand la Loi organique de 2020 sur la loi des
finances interdit un tel cumul.
Mais le plus grave est ailleurs.
Le PIB nominal 2022 avait été arrêté à 16.922,4 milliards fcfa. Un
taux de croissance de 10,1% devait le porter à 19 008,7 milliards en
2023. Le taux de croissance réel est retenu à 4,1%, ce qui pourrait
conduire à un PIB nominal d’environ 18 400 milliards. Le projet de LFI
repose néanmoins sur un PIB 2023 maintenu à 19 008,7 milliards (taux de
croissance de 10,1%) auquel est appliqué un taux de croissance de
nouveau faramineux de 9,2%. Ce faisant, il peut être considéré que le
budget 2024 repose de fait sur un taux de croissance du PIB supérieur à
15%. Le Sénégal ne serait pas sur le chemin de l’émergence ; il est
prévu qu’il transperce le mur du son de l’émergence et établisse un
record mondial de croissance.
Je vous laisse imaginer la fiabilité des chiffres de recettes,
d’autant qu’ils sont calculés à partir d’un autre taux record, celui
d’une pression fiscale relevée à 19,4%. Également la réalité du déficit
budgétaire qui sera laissé en héritage…
Dakar le 1er novembre 2024
Abdoul Mbaye
Président de l’Alliance pour la Citoyenneté et le Travail