France-Sénégal : Macky Sall sur les pas d’Abdoulaye Wade ?
Ce n’est pas le parfait amour entre le Sénégal et
la France. Les Présidents Macky et Macron n’émettent pas sur la même
longueur d’onde sur certains sujets. La tension politique interne a
déteint sur leurs relations. Du moins, le chef de l’Etat sénégalais,
dans une interview parue dans le journal « Le Monde » a désapprouvé
l’envoi d’un émissaire de l’Elysée auprès de l’opposant, Ousmane Sonko.
Tout s’emballe aux derniers mois du règne de Macky Sall. L’histoire
bégaie si nous faisons un flashback. Wade avait des relations tendues
avec l’Hexagone en fin de règne. Macky tente-t-il de suivre les pas de
Wade ?
Pour
beaucoup d’observateurs, l’actuel locataire du palais, ne s’est pas
totalement démarqué de la trajectoire empruntée par son prédécesseur
Abdoulaye Wade. Rien d’étonnant, ni de surprenant. Le maître a formé
l’élève.
D’ailleurs,
on peut penser que c’est pour cela qu’il n’a pas toléré que des
édifices comme le Train Express Régional ou même le Bus Rapid Transit
encore en construction fassent l’objet de saccages. Il a promis la
tolérance zéro contre les auteurs de ce pillage. Sous son régime, des
routes, des structures sanitaires ont été construites. Il ne veut pas
que l’on détruise son œuvre.
Si
au plan des infrastructures, Macky Sall a bien intégré les
enseignements de Wade, il n’en est pas de même sur le plan diplomatique.
Du moins, le successeur de Wade n’en donne pas l’impression.
En
avril 2010, le Président Abdoulaye Wade évoque le désir de voir le
Sénégal reprendre les bases françaises. Le dimanche 31 juillet 2011, 900
des 1.200 soldats qui composaient les Forces françaises du Cap Vert
(FFCV), présentes au Sénégal depuis 1974, quittent Dakar. Un acte fort
remarquable surtout pour la France qui est présente au Sénégal depuis
plus de 350 ans. À travers cette décision, Wade venait de poser un acte
ultime de souveraineté et signer définitivement la fin de la
subordination du Sénégal à la France. Arrivé au pouvoir en 2000 contre
la volonté de la France qui lui préférait Abdou Diouf, le président Wade
a montré qu’il ne doit rien à ce pays. Il a donc pris des libertés
surtout concernant la coopération multilatérale, notamment en direction
des BRICS, (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et des Etats
Arabes. Maître Wade n’avait pas aussi les mains liées devant les
bailleurs de fonds traditionnels que sont la Banque mondiale et le Fonds
monétaire International (FMI) en réduisant considérablement le pouvoir
qu’ils avaient sur le Sénégal. Il a par la suite voulu sortir la France
du Sénégal.
Des rapports changeants
Le
président Wade était plus dans la logique de rejoindre les BRICS qui
sont un peu les non-alignés de l’économie. Son aventure à la tête de
l’Etat sénégalais a tourné court quand il a tenté d’obtenir un troisième
mandat après douze années de règne et d’imposer son fils à sa
succession. Les rapports entre Wade et France ne sont jamais huilés.
Durant les décennies passées dans l’opposition, Wade avait comme
adversaire Abdou Diouf, soutenu par son ami, Chirac. Ce n’est pas le
grand amour entre les deux hommes. Dans un entretien accordé à Jeune
Afrique en 2003, Abdoulaye Wade révélait avoir répondu à Chirac qui
l’avertissait du fait qu’Abdou Diouf était son ami, qu’il ne souhaitait
pas l’être mais cherchait à gagner son estime. Durant tout son règne,
Abdoulaye Wade a donc diversifié les partenaires du Sénégal tout en
sortant le pays du joug de la France.
Au
début de son règne, l’actuel président de la République ne s’est pas
aligné sur la ligne de conduite de son prédécesseur. Macky Sall avait
affiché une sympathie pour Sarkozy alors que c’est François Hollande, le
socialiste qui est arrivé au pouvoir. Une erreur d’appréciation qui a
remis Ousmane Tanor Dieng, un de ses alliés, premier secrétaire du parti
socialiste sénégalais sur la sellette : un heureux hasard a fait qu’il
soit devenu Premier secrétaire du PS sénégalais pratiquement à la même
période durant laquelle François Hollande est devenu Premier secrétaire
du Parti socialiste français. Ça crée des liens… D’ailleurs, le soir des
résultats des élections qui l’ont sacré, Tanor était à ses côtés sur le
podium.
Par
la suite, il jouera un rôle clé dans la normalisation de François
Hollande et de Macky Sall. Ce dernier a restauré la nature des relations
d’avant la première alternance. Par contre, il a continué à développer
d’autres relations sans avoir l’air d’y toucher, notamment avec la
Turquie. Les Français pensaient par exemple qu’ils seraient les seuls
maîtres à bord concernant le pétrole et le gaz sénégalais…
Ils ont dû déchanter
La
guerre en Ukraine a introduit une nouvelle donne. Macky Sall ne s’est
pas rangé du côté de l’OTAN. La position de neutralité n’est pas du goût
de certains.
Il
s’est positionné en tête des pays africains comme un médiateur, allant
jusqu’à se faire recevoir au Kremlin. La France ne l’a pas digéré
surtout que le Sénégal, sur le plan diplomatique, pèse lourd en Afrique.
Le président Macky Sall joue donc depuis quelque temps carte sur table avec la France.
Évoquant
sa rencontre avec Marine Le Pen dans un entretien avec le journal ‘’Le
Monde’’, Macky Sall a relevé l’inélégance de Macron qui s’est permis
d’envoyer un émissaire à son principal opposant Ousmane Sonko. En
atteste le cinglant communiqué du ministre sénégalais de la
Communication à l’endroit de France 24. Ce dernier reproche au média
français et pas n’importe lequel, un « traitement tendancieux de
l’actualité politique » dans le pays.
Manifestement,
face à l’ancienne colonie, le gouvernement du Sénégal compte bien
affirmer sa souveraineté. Serait-il donc révolu, le temps de la
Françafrique ?
En
2012, la France est restée ferme dans sa volonté de faire partir Wade
même si, dans les faits, les Sénégalais se sont eux-mêmes levés contre
un troisième mandat. Un scénario qui certainement ne peut pas se
reproduire avec le président Macky Sall qui a décidé de ne pas présenter
une troisième candidature, coupant ainsi toute possibilité de le
déstabiliser ou de le faire chanter. Et la France semble l’avoir
compris. Ce mercredi 12 juillet, le ministère français des Affaires
étrangères a porté plainte contre le tonitruant avocat de Ousmane Sonko,
Juan Branco.
En
tout état de cause, Macky Sall n’a rien à perdre en faisant face à la
France. Ce qui n’est certainement pas le cas pour l’ancien pays
colonisateur.
Aujourd’hui,
quand le Sénégal parle, tout le monde l’écoute. C’est un leader
diplomatique, et sans doute l’un des derniers interlocuteurs crédibles
de Paris.
Si
la France perd le Sénégal, elle peut faire ses valises et quitter
l’Afrique. Elle a beaucoup plus à perdre en se mettant à dos son
ancienne colonie qui abritait la capitale de l’AOF. Elle devrait
commencer à admettre que les relations avec le Sénégal ont évolué et
qu’il n’est plus question d’être l’élève obéissant au diktat d’un ancien
colonisateur. En clair, le Sénégal, futur pays gazier et pétrolier,
redéfinit ses rapports avec la France.