Au Sénégal, les libertés sous pression à un an de la présidentielle
Beyna Guèye, militant
de la société civile sénégalaise, dit avoir passé deux mois en prison
pour avoir réclamé la libération d’un journaliste. Le jour où il en est
sorti cette semaine, un autre reporter a été écroué pour « diffusion de
fausses nouvelles ».
C’est
une coïncidence. Elle conforte cependant le propos des opposants au
président Macky Sall et des défenseurs des droits. Ils dénoncent un
recul des libertés accéléré à l’approche de la présidentielle de février
2024, avec redoublement des arrestations, interdiction des
manifestations, mesures coercitives contre la presse et
instrumentalisation de la justice.
Le
gouvernement réfute toute régression et invoque une juste application
de la loi dans un pays qui est volontiers présenté comme un Etat de
droit. Alentour en Afrique de l’Ouest, la démocratie souffre et les
militaires gouvernent sans partage au Mali, en Guinée ou au Burkina
Faso.
Beyna
Guèye, 24 ans, dit à l’AFP avoir été arrêté en janvier puis condamné
avec deux co-prévenus à deux mois de prison « pour un slogan appelant à
libérer un journaliste ».
Lui
et deux autres membres d’un mouvement citoyen dirigé par le rappeur
Abdou Karim Guèye, célébrité critique du pouvoir, venaient de participer
à une rencontre entre le Premier ministre Amadou Bâ et des
représentants de la société civile réclamant la lumière sur
l’utilisation des fonds contre le Covid-19, relate-t-il.
Ils ont été interpellés quand, à leur sortie, ils ont scandé : « Libérez Pape Alé Niang ».
Pape
Alé Niang, patron du site d’informations Dakar Matin, est lui aussi
connu comme un détracteur de la présidence. Il a été incarcéré en
novembre.
Anciennes promessesLes
autorités lui reprochent d’avoir diffusé des messages de sécurité
confidentiels et de « fausses nouvelles » en lien avec la mise en cause de
l’opposant Ousmane Sonko dans une affaire de viols présumés. Il a été
relâché en janvier et placé sous un contrôle judiciaire rigoureux.
Les
défenseurs des droits ne se sont pas privés de rappeler à Macky Sall,
élu en 2012 et réélu en 2019, ses paroles de 2015 dans une interview :
« Vous ne verrez jamais, pendant ma gouvernance au Sénégal, un
journaliste mis en prison pour un délit de presse ».
Mardi
pourtant, un autre journaliste, Pape Ndiaye, de la télévision Walf TV, a
été inculpé à son tour et écroué après avoir mis en cause
l’indépendance de la justice dans le dossier Sonko.
L’affaire
Sonko et l’hypothèque qu’elle fait peser sur sa candidature à la
présidentielle sont sources de tensions depuis deux ans. Outre les
préoccupations socio-économiques, il y a aussi le doute que le président
Sall entretient sur son intention de passer outre ou non des objections
constitutionnelles et de briguer un troisième mandat.
La
mise en cause de M. Sonko, personnage rétif dont le discours contre les
élites est populaire chez les jeunes, a contribué en 2021 à plusieurs
jours d’émeutes mortelles, moment charnière de la vie politique
nationale.
Par
ailleurs, un ex-Premier ministre, Cheikh Hadjibou Soumaré, était
interrogé jeudi par la police, a appris l’AFP auprès d’un responsable
policier.
M.
Soumaré a récemment interpellé dans une lettre le président Macky Sall
sur la véracité ou non d’un « don financier » en faveur d’une
« personnalité politique française », sans citer de nom.
Le
gouvernement sénégalais a, dans un communiqué mardi, démenti tout « don
financier » en faveur de la responsable du Rassemblement national Marine
Le Pen, reçue le 18 janvier par le président Macky Sall à Dakar.
« On
note une détérioration des droits humains depuis plus de deux ans au
Sénégal à travers plusieurs violations de la liberté d’expression, de
réunion pacifique, de mouvement et de la presse », affirme à l’AFP
Ousmane Diallo, chercheur au bureau régional d’Amnesty à Dakar.
Il déplore de nombreuses arrestations dont « la plupart sont des proches de l’opposition et des critiques du gouvernement ».
Fatals émojisLe Sénégal, 73e sur 180 au dernier classement établi par Reporters sans frontières, a perdu 24 places par rapport à 2021.
L’opposition
accuse le pouvoir de se servir de la justice. Elle l’accuse d’interdire
presque systématiquement ses manifestations, comme en février un
rassemblement autour de M. Sonko à Mbacké (centre-ouest). Des dizaines
de personnes ont été arrêtées après des heurts, des scènes de saccage et
de pillage.
Interrogé
par l’AFP, le ministère de la Justice a répondu par écrit que les
interdictions de manifestation avaient toujours des « motifs valables »,
qu’il s’agisse de prévenir des troubles ou de protéger les personnes et
les biens.
Seules 136 demandes d’autorisation de manifester sur 4.633 ont été refusées en 2022, soit environ 3%, dit le ministère.
Le
Sénégal « reste une terre des droits de l’Homme » où le pouvoir « protège
les libertés publiques » et « garantit (leur) exercice », a-t-il dit.
Un
opposant actif sur les réseaux sociaux, Outhmane Diagne, dit avoir
passé cinq mois en détention après avoir partagé sur Facebook une
publication de Unes de journaux détournées aux dépens du pouvoir et y
avoir ajouté des émojis souriants.
« Je
suis le seul homme dans l’histoire condamné pour avoir partagé des
émojis », ironise M. Diagne, sous contrôle judiciaire depuis janvier.