Macky Sall dans le viseur : Haute trahison ou règlement de comptes politique ?
Le
gouvernement sénégalais hausse le ton contre l’ancien président Macky
Sall (2012-2024), accusé de « falsifications » dans la gestion des
finances publiques. « Il ne peut échapper à des poursuites judiciaires
», a affirmé vendredi 28 février 2025 Moustapha Ndjekk Sarré, ministre
de la Formation professionnelle. Alors que la Haute Cour de justice
vient d’être réactivée, l’ex-chef de l’État, aujourd’hui résidant au
Maroc, se dit prêt à affronter la justice. Mais peut-il réellement être
poursuivi, et que signifie la « haute trahison » au Sénégal ?
Des accusations graves venues du sommet
«
Je ne lui accorde aucune circonstance atténuante. Tout s’est déroulé
sous ses ordres. On peut même le considérer comme le chef d’un gang
ayant commis des actes criminels. Les poursuites sont inévitables », a
déclaré Moustapha Ndjekk Sarré, relayant la position officielle du
gouvernement. Ces accusations s’appuient sur un récent rapport de la
Cour des comptes, qui met en lumière des « faux chiffres » dans les
finances publiques sous l’administration Sall.
De
son côté, Macky Sall rejette ces allégations avec vigueur. Dans un
entretien accordé à Jeune Afrique, il dénonce une « cabale politique ». «
Nous avons travaillé en toute transparence avec nos partenaires. La
Cour des comptes a certifié nos finances chaque année. Prétendre
aujourd’hui que tout était faux est absurde », martèle-t-il, ajoutant : «
Je n’ai peur de rien. S’ils veulent me poursuivre, qu’ils le fassent. »
Plusieurs de ses anciens collaborateurs, déjà incarcérés pour
escroquerie et blanchiment, renforcent toutefois les soupçons pesant sur
son régime.
La Haute Cour de justice, une arme à double tranchant
Le
gouvernement envisage de traduire Macky Sall devant la Haute Cour de
justice, réactivée récemment par l’Assemblée nationale. Selon l’article
101 de la Constitution sénégalaise, le président ne peut être tenu
responsable de ses actes dans l’exercice de ses fonctions « qu’en cas de
haute trahison ». Une mise en accusation nécessite un vote à la
majorité des trois cinquièmes des députés, suivi d’un jugement par cette
juridiction spéciale.
Mais
qu’est-ce que la haute trahison ? « Ni la Constitution ni la loi
organique ne la définissent précisément », explique le juriste
Mouhamadou Ngouda Mboup. « Ce sera aux députés de qualifier les faits. »
Pour Mamadou Salif Sané, autre expert, un président doit gérer le pays «
en bon père de famille ». « S’il a agi contre l’intérêt national – par
corruption ou détournement massif de fonds publics –, cela pourrait
relever de la haute trahison », précise-t-il. Il ajoute que des
atteintes à la sécurité nationale, en tant que chef des armées, ou des
tentatives antidémocratiques de transmission du pouvoir pourraient aussi
être invoquées.
Une notion floue, des précédents politiques
À
l’étranger, la haute trahison est parfois mieux encadrée. « Au Bénin ou
en France, la jurisprudence peut servir de référence », note Sané. Au
Sénégal, elle reste un concept flou, laissant une large marge
d’interprétation à la Haute Cour. Sané évoque des faits potentiellement
imprescriptibles – corruption, détournements ou violations des droits
humains entre 2021 et 2024 – qui échapperaient à la loi d’amnistie
adoptée sous Sall. Un rapport mentionnant un possible détournement de 1
000 milliards de FCFA pourrait, s’il est prouvé, asseoir une accusation
solide.
Historiquement,
la Haute Cour n’a siégé qu’une fois, en 1963, pour juger l’ancien
Premier ministre Mamadou Dia et quatre ministres, dont Valdiodio
N’Diaye. Condamnés pour une supposée tentative de coup d’État, ils
furent victims d’un procès perçu comme une purge orchestrée par Léopold
Sédar Senghor. En 2005, Idrissa Seck, accusé d’irrégularités dans les
chantiers de Thiès sous Abdoulaye Wade, échappa à un procès grâce à un
non-lieu, malgré une mise en accusation initiale.
Un destin suspendu aux urnes et aux preuves
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Macky Sall impliquerait de démontrer sa responsabilité directe dans des
actes qualifiés de haute trahison, une tâche à la fois juridique et
politique. L’Assemblée nationale, dominée par la coalition de Bassirou
Diomaye Faye depuis les législatives de novembre 2024, détient la clé de
cette mise en accusation. Mais les précédents montrent que la Haute
Cour peut être instrumentalisée à des fins politiques.
L’avenir judiciaire de Macky Sall dépendra donc de la solidité des preuves – notamment celles du rapport de la Cour des comptes – et de la volonté du régime actuel de pousser cette confrontation jusqu’au bout. Entre défi et incertitude, l’ex-président joue gros.