UCAD : des étudiants dans le désarroi après des mois d’arriérés de bourses
Fallou,
étudiant sénégalais de 26 ans, erre devant l’un des restaurants de
l’université de Dakar en espérant qu’un de ses camarades lui offrira le
déjeuner.
Le
ticket repas ne coûte que 100 francs CFA, mais même à ce prix Fallou,
qui n’a pas voulu donner son nom de famille, n’est pas en mesure de
l’acheter.
Il
fait partie des nombreux étudiants en Master 1 de l’Université Cheikh
Anta Diop de Dakar (Ucad), l’une des plus grandes de l’Afrique de
l’Ouest avec quelque 90.000 inscrits qui courent derrière plusieurs mois
d’arriérés de bourses. Conséquence: il est sans le sou depuis quelques
jours.
« C’est
toujours comme ça depuis plusieurs semaines », raconte-t-il, après avoir
réussi à trouver un bienfaiteur, dans les longues files d’attente
devant le restaurant. « Mais heureusement que je peux compter sur la
solidarité de mes camarades, sinon je n’allais pas manger », ajoute-t-il,
soulagé.
« Difficultés de trésorerie »L’Ucad
a été la semaine passée le théâtre d’affrontements entre forces de
l’ordre et étudiants en année de Master 1 qui réclament plus de 500.000
FCFA d’arriérés de bourses.
Ces bourses allouées par l’Etat peuvent s’élever jusqu’à 60.000 FCFA par mois.
Les
étudiants ont manifesté leur colère pendant plusieurs jours, tentant de
barrer la principale route passant devant l’université ou en jetant des
pierres aux policiers qui ont riposté par des tirs de gaz lacrymogènes.
Ces
retards de paiement concernent la période d’octobre 2023 à septembre
2024, avait indiqué vendredi le directeur des bourses du Sénégal Jean
Amédé Diatta dans une émission de télévision. Il avait assuré que les
paiements commenceront « en début de semaine et se feront
progressivement ».
Le
ministre de l’Enseignement supérieur expliquait déjà en octobre 2024
cette situation par « des difficultés de trésorerie », mais également par
l’instabilité depuis plusieurs années du calendrier universitaire.
Selon
lui, le paiement de tous les rappels de bourses en début de rentrée
s’élevait à 15 milliards de FCFA sur un seul mois. Or, « nous n’avons pas
cette somme pour payer tout en même temps », avait-il justifié dans la
presse.
Les
affrontements entre forces de l’ordre et étudiants pour le paiement des
bourses sont relativement courants au Sénégal. En 2018, des heurts à
l’Université Gaston Berger de Saint-Louis à cause de retards du paiement
des bourses avaient fait un mort. Un étudiant avait été tué en août
2014 à l’Ucad, lors de manifestations pour les mêmes causes.
L’Ucad
a également été le théâtre de destructions et de scènes de chaos en
juin 2023 pendant les émeutes qui ont secoué le Sénégal après la
condamnation de l’ancien opposant Ousmane Sonko, désormais Premier
ministre. S’en était suivie la fermeture pendant neuf mois par l’ancien
régime de ce temple du savoir qui a formé plusieurs générations de
cadres du continent, dont des chefs d’Etat.
Les
étudiants avaient décidé en début de semaine de suspendre leur
mobilisation, alors que certains d’entre eux avaient commencé à
percevoir leur argent. D’autres en revanche attendent toujours d’être
payés.
La
vie avait également repris son cours normal dans le campus social où
ils sont logés et nourris. Les principales allées de l’université
fourmillaient de monde et les cours se déroulaient normalement au campus
pédagogique.
Fallou fait partie des laissés-pour-compte. Comme nombre de ses camarades, il avait pris part aux heurts de la semaine dernière.
Temps dursIl
raconte venir d’une famille défavorisée dans le centre du pays et ne
compte que sur sa bourse pour assurer ses dépenses et parfois même
celles de ses parents.
« Sans
les bourses on ne peut pas vivre et on ne peut pas étudier
correctement. C’est avec elles qu’on achète nos tickets repas, nos
cours, qu’on paie nos logements ou nos frais de transports », liste-t-il,
se disant prêt à retourner manifester si son argent ne tombe pas d’ici
la fin de semaine.
Les
nouvelles autorités « doivent tout faire pour essayer de payer les
bourses avant le 15 de chaque mois pour éviter que des affrontements
pareils ne se répètent », plaide Abdoulaye Ba, un des représentants des
étudiants de la faculté des sciences.
Mais
les temps sont durs. Le président Bassirou Diomaye Faye, élu en mars
sur la base d’une rupture, et son Premier ministre Ousmane Sonko ont
martelé à plusieurs reprises ces derniers mois avoir trouvé le pays dans
une situation catastrophique.
« On
peut comprendre nos nouveaux dirigeants: c’est une équipe jeune qui n’a
pas encore d’expérience et qui a hérité des problèmes laissés par
l’ancien régime », dit Arouna Dia, étudiant de 25 ans, qui attend
toujours son rappel de bourse. « Mais cela n’empêche qu’ils doivent nous
payer nos bourses car eux continuent de percevoir leurs salaires. »