Politique migratoire : le gouvernement a-t-il changé de discours ?

Politique migratoire : le gouvernement a-t-il changé de discours ?

L’émigration a longtemps été perçue comme un phénomène irrégulier, voire illégal, que les autorités sénégalaises ont cherché à endiguer. Durant des années, le discours officiel s’est orienté autour de la nécessité de maintenir la jeunesse au pays pour contribuer à son développement. 
Les régimes successifs ont prôné la mobilisation de cette main-d’œuvre locale, et le message était clair : rester au Sénégal, c’est participer à la construction de l’avenir du pays. Cependant, un tournant semble aujourd’hui s’opérer, et cette volonté de retenir les jeunes semble être remise en question par une série d’annonces récentes qui privilégient l’émigration encadrée.
L’un des signes les plus évidents de cette évolution se trouve dans la politique de recrutement lancée par le gouvernement, visant à envoyer des jeunes sénégalais en Espagne pour participer à la cueillette des fruits. Cette initiative se déroule dans le cadre d’une campagne officielle de recrutement, censée offrir des opportunités d’emploi à des jeunes sénégalais dans des conditions encadrées, et donc légales. Les jeunes, à la recherche de perspectives de travail stables et rémunératrices, se précipitent vers les Centres d’Orientation et d’Assistance Sociale (COAS) – communément appelés « Boas » – pour s’informer et postuler. Ce phénomène, désormais visible dans les rues et quartiers du pays, montre un changement de perception notable : l’émigration n’est plus uniquement synonyme de fuite ou de désespoir, mais devient une possibilité de développement personnel et professionnel, soutenue par l’État lui-même.
Simultanément, une autre annonce du gouvernement a alimenté le débat : celle du Ministre du Travail, Abass Fall, qui a fièrement annoncé avoir sécurisé environ 1000 opportunités d’emploi pour des jeunes sénégalais au Qatar. Ce genre de nouvelles, bien que saluées par une frange de la population, interpelle sur le changement de paradigme. Si, dans le passé, les autorités faisaient tout pour empêcher la fuite des cerveaux et des talents, aujourd’hui, le gouvernement semble non seulement accepter, mais même encourager ces départs, à condition qu’ils soient contrôlés et sous forme d’opportunités légales.
Cette démarche, bien qu’elle réponde à une demande urgente de solutions pour un chômage de masse parmi les jeunes, soulève néanmoins de nombreuses questions sur l’impact réel sur le développement national. D’un côté, ces opportunités peuvent représenter un soulagement pour des milliers de jeunes désireux de travailler, de l’autre, elles peuvent aussi déstabiliser une politique de rétention de la main-d’œuvre, essentielle pour le développement économique à long terme. 
Si l’émigration légale et encadrée permet aux jeunes de bénéficier d’une expérience professionnelle et de revenus stables, elle risque aussi de vider peu à peu le pays de ses forces vives, nécessaires à la construction de son avenir.
L’émigration, jusque-là combattue, est désormais un levier que le gouvernement semble vouloir utiliser pour soulager une jeunesse en quête de débouchés. Les nouveaux dirigeants du Sénégal semblent avoir compris que, dans un monde globalisé, l’émigration légale, bien qu’ambiguë sur le plan moral et économique, peut devenir un atout pour les jeunes, tout en permettant au pays de recevoir des devises en retour. Mais cela soulève un paradoxe : l’émigration contrôlée pourrait-elle à terme remplacer la nécessité de véritables réformes internes pour offrir des opportunités d’emploi sur place ? Ce double discours — un discours de rétention et un autre d’émigration — reflète-t-il une réelle stratégie de développement ou une simple réponse à une pression sociale et économique croissante ?
L’énigme reste ouverte. L’actualité récente et ces annonces semblent indiquer que l’émigration n’est plus seulement une « échappatoire » pour les jeunes sénégalais, mais aussi une stratégie gouvernementale pour soulager un marché de l’emploi saturé. Une forme de pragmatisme s’est donc installée, acceptant de facto que la main-d’œuvre sénégalaise puisse contribuer à d’autres économies tout en revenant, dans le meilleur des cas, enrichie d’une expérience internationale. 
Cependant, il reste à voir si cette nouvelle orientation sera réellement bénéfique à long terme, ou si elle ne fera que masquer les véritables enjeux structurels du marché de l’emploi au Sénégal.

Souare Mansour

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