Guinée : que sait-on des « objets volants non identifiés » retrouvés dans la région de Kankan ?
Deux
objets sont tombés du ciel dans la région de Kankan, en Guinée. Le
premier, qui ressemble à un « satellite », a été retrouvé au sol à
Soumankoï, et le second à Farako – des événements relayés dans la presse
locale entre le 28 décembre et le 1er janvier. Ces objets ont suscité
la curiosité et l’inquiétude chez les habitants. Ils ont rapidement été
récupérés par les autorités, qui n’ont pas communiqué à leur sujet.
Selon des experts contactés par notre rédaction, ces objets sont des
parties de ballons stratosphériques, et semblent même provenir du même
ballon. En revanche, le mystère demeure concernant son origine et sa
fonction.
Fin
décembre, un numéro guinéen a contacté notre rédaction, via WhatsApp,
pour nous parler d’un incident inhabituel dans son pays, images à
l’appui : « Le 28 décembre 2024, un objet volant non identifié,
ressemblant à un satellite ou à un aérostat, s’est écrasé dans une
plantation de manguiers à Soumankoï », une localité se trouvant dans la
région de Kankan (nord-est).
Plusieurs médias locaux ont également relayé l’information et les témoignages d’habitants assurant l’avoir vu tomber du ciel.
« On n’a pas l’habitude de voir ça »
Doussou, une femme qui travaille à Soumankoï, est allée voir cet étrange objet, après avoir été informée de sa chute :
Il
est tombé dans une sorte de potager, donc il y a eu peu de dégâts, et
aucun blessé. Il y avait beaucoup de monde, car on n’a pas l’habitude de
voir ça. Ça ressemblait à un satellite. On a appelé les autorités qui
se sont déplacées.
Selon
Facely Sanoh, journaliste pour Africaguinee.com à Kankan, les autorités
militaires ont rapidement récupéré l’objet : « À mon arrivée, elles
l’avaient déjà embarqué. Depuis, aucun communiqué n’a été fait par les
autorités. »
Un objet qui n’est pas un satellite
Plusieurs
médias locaux ont avancé la thèse d’un satellite qui se serait écrasé,
comme Africaguinee.com et Guineenews.org. Mais plusieurs spécialistes
consultés par notre rédaction jugent ce scénario impossible. Les
satellites se trouvent à une altitude comprise entre 160 et 36 000 km.
En cas de chute, ils sont donc extrêmement abîmés quand ils arrivent au
sol, voire complètement désintégrés, contrairement à l’objet retrouvé à
Soumankoï, dont les panneaux solaires en particulier apparaissent
relativement en bon état.
Une nacelle de ballon stratosphérique
De
son côté, Mediaguinee.com a relayé l’hypothèse du blogueur guinéen
Alimou Sow, qui estime qu’il pourrait s’agir d’une « montgolfière du
projet Loon de Google ». Ce projet avait été lancé par la société X, une
filiale de Alphabet Inc. (une holding comprenant notamment Google), afin
de développer l’accès à Internet dans les zones rurales, grâce à des
ballons stratosphériques. Le blogueur précise toutefois que ce projet a
pris fin en 2021. Il est donc peu probable que l’objet retrouvé à
Soumankoï soit lié au projet Loon.
En
revanche, selon François Pajot, astrophysicien à l’Institut de
recherche en astrophysique et planétologie (Irap) de Toulouse, cet objet
est bien une nacelle de ballon stratosphérique, en raison de plusieurs
éléments qu’il parvient à distinguer sur les images.
Capture
d’écran d’une vidéo de l’objet retrouvé à Soumankoï, dans la région de
Kankan, en Guinée, le 28 décembre 2024. On y distingue différents
éléments repérés par François Pajot : protections thermiques en feuille
d’aluminium contre le rayonnement du soleil pour protéger l’électronique
(en rouge), panneaux solaires au-dessus de la charge utile (les
instruments à bord – en vert), amortisseurs pour amortir les chocs à
l’atterrissage (en bleu foncé), pivot au départ de la chaîne de vol (en
jaune), cornière en aluminium (en orange), objet ressemblant à un petit
parachute au bout des sangles de la chaine de vol (en bleu clair). ©
Africaguinee.comSelon
le site du Centre national d’études spatiales (CNES), les ballons
stratosphériques s’élèvent « jusque dans la stratosphère, entre 20 et 40
km d’altitude », soit plus haut que les drones et les avions, et plus bas
que les satellites. Ils sont notamment utilisés pour « étudier la Terre
ou scruter l’Univers », à l’aide d’instruments embarqués dans leurs
nacelles, attachées sous le ballon.
Selon
François Pajot, ces appareils peuvent être utilisés à des fins
scientifiques ou militaires : « Les vols scientifiques sont toujours
programmés au-dessus des zones à très faible densité de population, afin
d’éviter des accidents lors de descentes non contrôlées, comme cela
semble être le cas ici. » D’après lui, au vu de la présence de panneaux
solaires, « il s’agit peut-être d’un ballon ‘longue durée’ amené à voler
plusieurs jours ». Il ajoute : « Compte-tenu des courants stratosphériques
à cette époque de l’année et à cette latitude, le déplacement se fait
d’est en ouest. Une provenance d’Inde ou d’un autre pays d’Asie est
possible. »
Mystère autour de l’origine et de la fonction de ce ballon
Cependant,
François Pajot estime qu’il est difficile d’établir l’origine précise
et la fonction du ballon retrouvé à Soumankoï sans avoir inspecté les
instruments présents à son bord.
Notre
rédaction a donc appelé le colonel Moussa Condé, le gouverneur de la
région de Kankan, à ce sujet : il n’a pas souhaité s’exprimer et nous a
renvoyé vers la gendarmerie. Nous avons ensuite contacté le général
Balla Samoura, le haut-commandant de la gendarmerie et directeur de la
justice militaire en Guinée, de même que le colonel Sékou Tidiane
Camara, coordinateur général du service de renseignements à la
présidence, mais nous n’avons obtenu aucune réponse à nos questions.
« Cette nacelle a pu être fabriquée n’importe où »
En
2024, 82 ballons stratosphériques ont officiellement réalisé des vols,
selon les données publiées par le site Internet StratoCat. L’immense
majorité a été lancée depuis les États-Unis. Le site ne recense aucun
ballon lancé depuis l’Asie fin décembre.
À
ces 82 vols s’ajoutent possiblement d’autres vols – militaires,
espions, etc. En février 2023, l’affaire du « ballon espion chinois »
au-dessus des États-Unis avait ainsi défrayé la chronique.
Stéphane
Louvel, chef de mission des vols Ballons Stratosphériques Ouverts au
CNES, indique : « Officiellement, les vols sont réalisés par les agences
nationales, aux États-Unis (Nasa), en France (CNES), au Japon, en Chine…
Mais il y a peut-être aussi des start-ups qui s’amusent à faire ce
genre de vols. Cette nacelle a pu être fabriquée n’importe où. »
Contactée
par notre rédaction, la Nasa a déclaré « ne pas être impliquée dans la
conduite d’activités scientifiques en ballon au-dessus de cette zone ».
De
son côté, Frédéric Courtade, manager du Groupe d’études et
d’informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés (Geipan),
un service du CNES, indique : « Il ne s’agit ni d’un ballon ni d’une
nacelle du CNES. D’autres acteurs existent, mais ils sont peu nombreux
dans le monde. Les États-Unis et la France sont les plus actifs, avec la
Russie. Il y a aussi eu des nouveaux entrants chinois ou autres ces
dernières années. Quoi qu’il en soit, légalement, aucun vol ne peut être
engagé sans avoir obtenu les autorisations de survol et d’atterrissage
de tous les pays concernés. »
Un second incident dans la région de Kankan
Quelques
jours après la découverte de l’appareil tombé à Soumankoï, les médias
guinéens ont évoqué, le 1er janvier 2025, la présence d’un second objet
mystérieux qui serait aussi tombé du ciel, dans la même région, à une
quarantaine de kilomètres plus au sud, à Farako. Mais selon une source
de Cheick Sékou Berthe, journaliste pour Guineenews.org à Kankan,
l’engin avait en réalité été découvert plusieurs jours avant le 1er
janvier.
Là
encore, les médias guinéens ont précisé que les autorités avaient
récupéré l’objet et qu’elles s’étaient montrées peu loquaces sur sa
nature. De son côté, au vu des images, Stéphane Louvel estime qu’il
s’agit d’un « ballon en polyéthylène de petite taille ».
L’objet
retrouvé à Farako, dans la région de Kankan, en Guinée. Stéphane Louvel
indique : « Le système conique (en rouge) est probablement le système de
séparation, et la plaque circulaire (en jaune) est certainement le pôle
au sommet de l’enveloppe. » © Guineematin.comS’agit-il
du ballon relié à la nacelle retrouvée quelques jours plus tôt à
Soumankoï ? Selon les experts consultés par notre rédaction, il est
possible que le ballon ait dérivé sur plusieurs dizaines de kilomètres
avant de toucher le sol. « Je pense que les deux objets sont tombés à
quelques dizaines de minutes d’intervalle, et que le ballon a peut-être
été retrouvé un petit peu plus tard », estime Stéphane Louvel.
En
conclusion, les deux objets retrouvés à Soumankoï et Farako semblent
provenir du même ballon stratosphérique, au vu du déroulé des
événements, même si son origine et sa fonction restent floues pour le
moment.